Attaquer un permis de construire ou une autorisation d’équipement commercial, c’est souvent s’en prendre à une concurrence à venir.
Il s’agit de lui barrer la route ; à tout le moins, à en retarder les conséquences économiques, comme manifestement dans le cas présent de McDo attaquant le PC de Burger King au nord de la très touristique petite ville bretonne de Guérande.
Mais, en réalité, la motivation juridique ne peut être que celle du contrôle de la légalité, rappelle Me Gwenaël Le Fouler.
Par Me Gwenaël Le Fouler, avocate-associée (Letang Avocats)
Cela fait de trente ans au moins – peut-être plus – que les pouvoirs publics tentent de mettre un terme aux recours abusifs contre les autorisations d’urbanisme, freins aux projets de constructions. Il a ainsi été institué au fil du temps tout un arsenal de mesures visant à favoriser des jugements plus rapides, à limiter le nombre de requérants potentiels, voire à créer des obstacles procéduraux. Tout ceci afin de permettre de juger, pense-t-on plus efficacement, et de favoriser la mise en œuvre plus rapide des projets d’urbanisme.
Construire crée de l’emploi et permet de favoriser l’activité économique. Il est ainsi aisé de comprendre la motivation politique, derrière les mesures mises en place, pour limiter les recours abusifs. Il faut cependant le rappeler, le droit à contester en justice une autorisation administrative, telle un permis de construire, est un droit constitutionnellement protégé et sa limitation ne peut être trop restrictive, au risque d’écarter des requérants dont la sincérité est réelle.
Cette situation trouve son explication dans l’instrumentalisation de la justice, par certains, à des fins étrangères au seul contrôle de la légalité de l’autorisation attaquée, pour en faire un outil au service d’un autre objectif : l’obtention d’un avantage financier, le frein à l’arrivée ou au développement d’un concurrent, en sont les principaux exemples.
En parallèle, la sanction de l’abus d’agir en justice se développe. D’abord avec l’inscription d’une procédure spécifique en ce sens dans le Code de l’urbanisme, permettant au juge administratif de condamner le requérant abusif. Pour autant, les montants des condamnations restent, sauf exception, relativement modestes et ceci pour éviter de restreindre le droit fondamental au recours. Ensuite, en maintenant la compétence du juge judiciaire en la matière, la Cour de cassation l’a confirmé.
Sanctionner les actions répétées
Le Code civil demeure applicable en matière de recours abusif en permettant de sanctionner cet abus de droit. En général plus sévère, le juge judiciaire sanctionne les actions répétées de requérants qui ne justifient pas en quoi l’autorisation attaquée leur ferait grief. C’est ainsi que Burger King a récemment obtenu satisfaction contre les actions répétées et infondées en droit de son concurrent McDonald’s (T. Com. Saint-Nazaire, 24 septembre 2025, n° 2024002126).
Grâce à certains mécanismes vertueux mis en place par le législateur, le recours en justice permet d’offrir, au titulaire du permis de construire attaqué, la possibilité de procéder à sa régularisation en cours d’instance. En d’autres termes, sans l’exercice de recours contentieux, l’irrégularité dont le permis de construire était entaché n’aurait jamais été corrigée. Le recours est donc un facteur positif, permettant de rendre les projets plus conforme au droit. A contrario, l’existence de ce mécanisme peut avoir un effet pervers. Il offre la possibilité au pétitionnaire d’obtenir un permis de construire, dont il sait pertinemment qu’il est illégal. Si l’illégalité passe inaperçue au moment de l’instruction, et qu’il n’y a pas de recours, le titulaire de ce permis de construire pourra ainsi réaliser son projet, même s’il ne respecte pas totalement la règle.
S’il y a un recours et que le moyen est identifié, il apportera la correction nécessaire au moyen d’un permis de construire modificatif. Il y a donc un «jeu» stratégique qui peut se développer, rendu possible par la propension du juge administratif à prononcer des annulations partielles ou à sursoir au jugement pour obtenir un permis de construire modificatif. Ceci ne va donc pas dans le sens voulu par le législateur : favoriser la réalisation rapide des projets de construction et désencombrer les prétoires.
Urbanisme : les règles ont changé
En matière d’urbanisme commercial, la situation n’est pas moins complexe. Cette législation avait été conçue en 1973 comme une «police économique» de protection des petits commerces face au développement des nouvelles formes de distribution. Depuis 2008, sous l’impulsion de la commission européenne, les règles du jeu ont changé.
Considérant que l’application de critères économiques et concurrentiels constituait une entrave au principe de liberté d’établissement, les critères d’appréciation des projets sont désormais principalement urbanistiques et environnementaux. Cependant, le droit à contester les autorisations d’exploitation commerciales reste, sans changement depuis 1973, restreint aux seuls concurrents, fermant cette possibilité au voisinage.
Nous voyons ici un cas frappant de schizophrénie juridique. Le recours contre une autorisation d’urbanisme ne doit pas être dirigé à des fins autres que celles du contrôle de la légalité. En matière d’urbanisme commercial, il s’agit de critères d’appréciation urbanistiques et environnementaux. Pourtant, un concurrent situé dans la zone de chalandise économique, bien qu’éloigné de plusieurs dizaines de kilomètres du projet, est recevable à contester une autorisation d’exploitation commerciale. Le voisin immédiat, n’exerçant pas d’activité commerciale concurrente, est en revanche dénué d’intérêt pour agir.
Le concurrent pourra donc contester le projet, mais uniquement sur des motifs urbanistiques (et non économiques), alors même que le bâtiment au sein duquel le commerce sera exploité est éloigné de plusieurs kilomètres de son champ de vision ! L’incohérence apparaît ici flagrante. Le dommage subi par le concurrent du fait du projet sera de nature exclusivement économique. Or, dans le cadre d’un recours contre une autorisation d’exploitation «commerciale», il ne sera recevable qu’à soulever des moyens tirés de l’urbanisme et de l’environnement et non du contexte concurrentiel et économique.
> Lire la décision rendue par le tribunal de commerce de Saint-Nazaire le 24 septembre 2025 sur largusdelenseigne.com

