Faut-il encadrer les loyers de commerce ou permettre l’application de la valeur locative ? Quand les loyers sont supérieurs à la valeur locative de marché, rendre celle-ci applicable est la solution, tant pour les bailleurs que pour les locataires. Cela implique une vraie réforme du Code de commerce, dont l’auteur suggère ici une réforme salutaire où, servant de plafond, la valeur de marché ferait son apparition.
Elle pérenniserait l’activité des locataires tout en préservant les investissements des bailleurs. Un consensus est possible, affirme-t-il.
Par Patrick Colomer, expert près la cour d’appel de Paris, agréé par la Cour de cassation, chartered surveyor Mrics Vr
Le commerce a considérablement évolué depuis le décret de 53 : apparition des centres commerciaux et des parcs d’activité commerciale, du e-commerce… les réformes successives du Code de commerce n’ont pas intégré ces évolutions. La liberté contractuelle convient tant aux bailleurs qu’aux locataires ; mais la jurisprudence a dû régler de nombreuses problématiques avec souvent des controverses qui créent des incertitudes, notamment sur les loyers binaires (fixe + quote-part du chiffre d’affaires), lesquels n’existaient pas il y a soixante-dix ans, et ne figurent toujours pas dans le Code de commerce.
La propriété commerciale n’est pas la protection du locataire, mais de son activité à travers le droit au renouvellement. Le principe est que, si le propriétaire et le locataire ne sont pas associés, ils sont toutefois liés.
Il existe un écart entre la valeur locative de marché, qui correspond au prix d’une location nouvelle pour une boutique vide, et la valeur locative de renouvellement ou de révision prévue par le Code de commerce. La valeur locative de marché n’existe pas dans le code, seul un des cinq critères entraîne une minoration par rapport au marché dans les bons emplacements : la prise en compte des niveaux de prix pratiqués dans le voisinage (article R. 145-7). Le marché doit être prévu dans le bail pour être applicable.
Le contexte est une augmentation des indices en période de baisse des valeurs locatives, le bail étant un contrat à exécution successive, cela crée un déséquilibre. Les loyers dépassent la valeur locative de marché dans la plupart des emplacements. Cela conduit les locataires à rendre les clés, donc à perdre leur investissement ; les bailleurs à ne pas relouer pour ne pas inscrire la baisse dans leurs comptes, la valeur vénale consistant en un multiple du loyer.
Le blocage des loyers crée des défaillances d’entreprises, une réduction d’activité, des suppressions d’emploi, et de la vacance En l’état actuel des textes, il n’existe que deux possibilités pour modifier un loyer en cours de bail : une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné une variation de plus de 10 % de la valeur locative ou une clause d’échelle mobile avec une variation de plus de 25 %. Cela apparaît restrictif, dans l’objectif louable de protéger l’investissement du bailleur pendant la vie du bail. Baisser le seuil à 15 % pourrait être une solution, mais tous les baux ne comprennent pas une clause d’échelle mobile. Seule une limitation existe en cours de bail : lors des révisions triennales légales, l’indice n’est applicable que dans la limite de la valeur locative. Ainsi les locataires peuvent-ils refuser son application, ou la limiter selon les cas ? Ainsi le loyer ne doit pas dépasser la valeur locative, mais il ne peut pas baisser.
Lors du renouvellement, le principe est la valeur locative dans la limite du plafonnement, c’est à dire qu’il faut un motif pour augmenter le loyer au-delà de l’indice, qui constitue le plafond, d’où le terme déplafonner. Actuellement les loyers plafonnés sont souvent supérieurs à la valeur locative. Il n’y a pas de condition à la baisse, sauf si le bail prévoit un plancher.
Trois problèmes se posent quand la valeur locative devient inférieure au loyer :
– L’augmentation annuelle du loyer quand le bail comprend une clause d’indexation,
– La quasi impossibilité de ramener le loyer à la valeur locative tous les trois ans compte tenu des conditions de recevabilité restrictives du Code de commerce,
– Le blocage des loyers à l’occasion des renouvellements, lorsque le bail comprend une clause plancher. Le loyer ne devrait pas excéder la valeur locative de marché, laquelle doit être définie Lorsque le loyer est supérieur à la valeur locative de marché, la régulation à la baisse par le marché permet de :
– Bloquer l’indexation si elle conduit à un loyer supérieur au marché,
– Rendre recevable l’action en révision, mais au marché,
– Supprimer les clauses plancher lors des renouvellements, mais par rapport au marché. Cela ne met pas en péril les investisseurs dès lors que les locataires rendent les clés quand le loyer est supérieur à la valeur locative de marché, les locaux ne pouvant être reloués qu’au prix du marché.
Le Code de commerce ne prévoit pas le marché, mais une valeur locative minorée par la prise en compte des différents niveaux de prix couramment pratiqués dans le voisinage (article R. 145-7). La régulation à la baisse ne doit pas pouvoir s’effectuer par rapport à la valeur locative minoré du Code de commerce, mais par rapport au marché, ce qui implique de l’introduire dans le Code de commerce. Il suffit de modifier les termes de comparaison en ne prévoyant pas la prise en compte des différents niveaux de prix couramment pratiqués dans le voisinage mais uniquement le marché.
Il convient de retenir les prix pratiqués pour les locations nouvelles ; les droits d’entrée et les droits au bail pouvant être réintégrés s’ils constituent des loyers en capital. C’est favorable au bailleur de définir le marché, le juge ne le connaissant pas.
En cours de bail, les règles sont inchangées à la hausse, celle-ci devant rester motivée par une évolution matérielle des facteurs locaux de commercialité ou l’inflation. La valeur locative de marché devrait s’appliquer uniquement à la baisse quand le loyer le dépasse de 15 %, en gardant la règle actuelle de révision tous les trois ans. Lors des renouvellements, les loyers ne devraient pas être supérieurs au marché.
En contrepartie, il faut également assouplir les règles pour modifier un loyer à la hausse lors des renouvellements, afin de rétablir l’équilibre entre les bailleurs et les locataires dans ce sens. La période est propice, car les valeurs de droit au bail sont en forte diminution. Il faudrait limiter le plafonnement à 18 années, soit deux baux, et modifier l’étalement de l’augmentation en cas de déplafonnement (suppression des paliers de 10 %, étant précisé que le lissage est actuellement limité à 3 ans si le bailleur demande la révision à l’indice) ; l’augmentation de loyer devrait être étalée sur la première période triennale, comme cela résulte de la pratique lors des accords amiables.
Depuis la crise sanitaire l’usage est privilégié à la détention, ce qui entraîne des locations au prix du marché sans versement d’un droit d’entrée et des diminutions des valeurs de droit au bail. Cela rend pertinent ce projet tant pour les bailleurs que les locataires Le système actuel de blocage des loyers ne permet pas aux locataires de négocier avec les bailleurs. Cela satisfait ces derniers, mais c’est une vision de court terme, qui pourrait conduire à leur encadrement.
L’introduction de la valeur locative de marché comme plafond dans le Code de commerce est indispensable pour rétablir un équilibre. Elle sauverait et pérenniserait, l’activité des locataires, tout en préservant les investissements des bailleurs. Un consensus est possible, les propositions comprenant des concessions réciproques dans un esprit constructif et positif.
La notion de loyer économique doit également être introduite : le prix pratiqué correspond à celui effectivement payé par le locataire et perçu par le bailleur, en tenant compte notamment des mises à disposition anticipées, des réductions et franchises de loyer, des participations du bailleur aux travaux du locataire et des réductions de charges locatives. Les experts non judiciaires retiennent les loyers faciaux ce qui conduit à des surestimations tant des loyers que des valeurs des murs. Le décalage est actuellement important entre les valeurs d’expertise et la valeur des actions des sociétés cotées.
En période de baisse des valeurs locatives et d’augmentation de l’indice, réguler la baisse par l’introduction de la valeur locative de marché dans le Code de commerce est la meilleure solution. Cela ne pénalise pas les bailleurs, cela évite aux locataires de perdre leur fonds de commerce quand les loyers sont supérieurs à la valeur locative de marché. L’assouplissement des règles pour pouvoir augmenter les loyers est une juste contrepartie pour les bailleurs, l’immobilier commercial devant rester attractif pour les investisseurs. L’encadrement des loyers n’est pas la solution, ce sont les emplacements où ceux-ci sont les plus élevés qui sont les plus recherchés et où il y a le moins de vacance…
Il ne faut pas encombrer les tribunaux par l’augmentation des contentieux, mais rendre les actions des locataires recevables va permettre d’ouvrir des discussions amiables, et il est plus simple de déterminer la valeur locative de marché que celle du Code de commerce.
L’enseigne en règle… 1,350 ! Demeure 1,9, compris l’ajustement du dépôt de garantie. Un référé le condamne à régler le solde, écartant en outre tout lissage Pinel.
Le preneur conteste. L’appel maintient ce que la Cassation confirmera le 16 octobre dernier. Fin d’une histoire où il va de soi que les conséquences d’une hausse brutale sont, certes, néfastes. Mais, ce qui l’est plus, c’est de faire le mort en espérant tirer parti de son vieux bail de neuf ans et laisser passer le délai de douze par tacite prolongation.
Car, au-delà de cette limite, le déplafonnement n’est dû qu’à l’oubli du locataire…
Et le lissage Pinel ne s’applique plus !
> Lire l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 16 octobre 2025, n° 23-23.834 sur largusdelenseigne.com

