Dans une récente décision affectant la bijouterie Lanthiez Joaillers, à Bourges, la Cour de cassation remet les pendules à l’heure d’une jurisprudence constante en matière de droit d’option, qui est la dernière carte que le bailleur peut jouer si le loyer de renouvellement fixé par le juge ne lui convient pas. Mais c’est l’occasion de rappeler aux locataires qui occupent des lieux, les conséquences d’un mécanisme pouvant conduire, par la longueur des délais de procédure et un déplafonnement, à une compensation annulant son indemnité d’éviction !
Par Me Olivier Jacquin, avocat à la Cour (Olivier Jacquin Avocats)
La singularité du statut des baux commerciaux, en France, est le droit pour un locataire au renouvellement de son bail, ou à défaut, le bénéfice d’une indemnité d’éviction. Ce même statut prévoit également un «droit d’option». Pour rappel, le droit d’option, tel qu’il résulte de l’article L. 145-57 du Code de commerce, permet à un bailleur, ayant dans un premier temps accepté le principe du renouvellement du bail, d’y renoncer, et de proposer le versement d’une indemnité d’éviction.
Dans la pratique, si le bail est renouvelé par principe par le bailleur, le preneur va régler un «loyer» pendant toute la procédure judiciaire de fixation du loyer de renouvellement. Or, si au cours de cette procédure judiciaire, le bailleur change d’avis et refuse le renouvellement du bail, celui-ci va prendre fin par l’exercice de ce droit d’option. Pendant toute la procédure de refus de renouvellement et de fixation de l’indemnité d’éviction, le preneur ne va plus régler un «loyer», mais une «indemnité d’occupation», telle que visée à l’article L. 145-28 du Code de commerce, laquelle est déterminée selon les mêmes paramètres de la valeur locative (loyer déplafonné – Art. L. 145-33 du Code de commerce). À la suite de l’exercice de ce droit d’option, un tas de questions vont alors se poser sur ses effets juridiques dans le temps, et notamment sur la date d’effet du refus de renouvellement et sur la qualification des «loyers» versés par le preneur antérieurement à l’exercice de ce droit, puisque le bail a pris fin.
Par un arrêt en date du 20 avril 2023, la cour d’appel de Bourges a eu l’occasion de se pencher sur ce sujet. Dans cette espèce, un preneur avait sollicité le renouvellement de son bail commercial le 23 octobre 2014, à effet du 1er janvier 2015. Dans un premier temps, le bailleur avait tacitement accepté le renouvellement du bail (puisqu’il n’avait pas répondu à la demande de renouvellement dans les 3 mois), et avait ensuite demandé le 7 octobre 2015 la fixation du loyer à la valeur locative, saisissant le juge des loyers commerciaux pour solliciter la fixation du loyer de renouvellement à la valeur locative (loyer déplafonné).
Par un arrêt du 1er décembre 2016, la cour d’appel de Bourges a rejeté la demande de déplafonnement du bailleur et a plafonné le montant du loyer de renouvellement selon l’évolution indiciaire. Insatisfait de cette décision, le bailleur a exercé son droit d’option le 26 janvier 2017, refusant à son locataire le renouvellement du bail. Ce faisant, le bailleur sollicitait le paiement d’une indemnité d’occupation (et non d’un loyer) au preneur, à compter du 1er janvier 2015, soit à la date de prise d’effet du renouvellement sollicité par le preneur.
C’est dans ce contexte que la cour d’appel de Bourges a considéré dans l’arrêt rendu le 20 avril 2023 (RG n° 22/00218), que :
– pour la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2015 : le bailleur aurait dû percevoir un loyer plafonné (comme si le bail préexistait alors qu’il avait pris fin par l’effet du droit d’option) ;
– pour la période du 1er janvier 2016 au départ du preneur : le bailleur aurait dû percevoir une indemnité d’occupation fixée à la valeur locative (loyer déplafonné).
En d’autres termes, la cour d’appel de Bourges a considéré, de manière peu compréhensible que le bailleur n’avait sollicité la fixation du loyer de renouvellement à la valeur locative que le 7 octobre 2015, à effet du 1er janvier 2016 conformément à l’article L. 145-11 du Code de commerce qui dispose que : «Le bailleur qui, sans être opposé au principe du renouvellement, désire obtenir une modification du prix du bail doit, dans le congé prévu à l’article L. 145-9 ou dans la réponse à la demande de renouvellement prévue à l’article L. 145-10, faire connaître le loyer qu’il propose, faute de quoi le nouveau prix n’est dû qu’à compter de la demande qui en est faite ultérieurement suivant des modalités définies par décret en Conseil d’État.» De ce fait, le montant de l’indemnité d’occupation ne courait, selon la cour d’appel de Bourges, qu’à compter du 1er janvier 2016 et non du 1er janvier 2015.
Saisie de la question, la Cour de cassation a, aux visas des articles L. 145-28 et L. 145-57 du Code de commerce, cassé cet arrêt au motif que :
– «Dès lors, lorsque le bailleur exerce son droit d’option, le locataire devient redevable d’une indemnité d’occupation, égale à la valeur locative, qui se substitue rétroactivement au loyer dû, et ce à compter de la date d’expiration du bail dont le bailleur avait d’abord accepté le principe du renouvellement.
– Pour rejeter la demande de la bailleresse tendant à la fixation d’une indemnité d’occupation selon la valeur locative pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2015 et ne retenir cette valeur qu’à compter du 1er janvier 2016, l’arrêt relève que la bailleresse a accepté tacitement le principe du renouvellement du bail à compter du 1er janvier 2015 et n’a formé une demande de nouveau prix que le 7 octobre 2015, et que sa demande de fixation de l’indemnité d’occupation à un autre montant que le loyer ne peut donc être accueillie qu’à compter du 1er janvier 2016, par application de l’article L. 145-11 du Code de commerce.
– En statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés.» En résumé, et pour la Cour de Cassation :
– Le droit d’option agit donc rétroactivement à la date de la prise d’effet de la demande de renouvellement ;
– L’indemnité d’occupation se substitue aux loyers, à compter de la date d’expiration du bail qui résulte soit de la demande de renouvellement, soit du congé comportant offre de renouvellement initialement notifié.
Cette décision est parfaitement conforme à la jurisprudence constante en la matière, mais c’est toujours utile de le rappeler (Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 17 juin 2021, 20-15.296, Publié au Bulletin ; Cour de cassation, Chambre civile 3, du 7 novembre 1984, 83-13.550, Publié au Bulletin). Le droit d’option, on ne le rappellera jamais assez, est une dernière carte que le bailleur pourra jouer, si le loyer de renouvellement judiciairement fixé ne lui convenait pas. Les conséquences pour les preneurs qui occupent des locaux, dont la valeur locative serait substantiellement supérieure au montant du loyer plafonné, pourraient être dramatiques dans la durée.
> Lire l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 27 février 2025 N° 23-18.219 sur largusdelenseigne.com
Le preneur serait alors débiteur d’une indemnité d’occupation rétroactivement, depuis le 1er juillet 2016, dont le montant annuel serait par exemple de 106.000 € ht et hc. Ainsi, le preneur serait débiteur du différentiel, sur une période de 8 années (procédure de fixation de loyer de renouvellement et procédure d’indemnité d’éviction), entre le montant du loyer plafonné (payé) et le montant de l’indemnité d’occupation (théoriquement due), soit une somme annuelle 50.000 €, soit sur huit années, une somme de 400.000 € ht et hc, dont le montant serait compensé avec le montant de l’indemnité d’éviction.
Dans certains cas, le preneur, par ce mécanisme de droit d’option, pourrait même ne percevoir aucune indemnité d’éviction par l’effet de la compensation entre cette indemnité d’éviction et l’indemnité d’occupation due.
Ainsi, et dès lors que le bailleur exerce son droit d’option, les preneurs doivent immédiatement faire estimer le montant de l’indemnité d’occupation et de l’indemnité d’éviction par un expert judiciaire pour savoir si le temps court en leur faveur ou non, afin de prendre la bonne décision (de rester ou de trouver rapidement un local de substitution).


