De non-choix en saupoudrage pour tenter d’arranger les choses, la «France moche» est restée telle qu’elle est. Mais la périphérie où 70 % des Français s’approvisionnent mérite mieux, nous dit Arnaud Ernst. Il propose donc quatre facteurs de succès pour aller de l’avant : instaurer des gouvernances des sites à traiter rassemblant «tous» les acteurs, travailler sur la «vision» de l’intercommunalité, faire en sorte que le montage résiste aux alternances politiques éventuelles, se souvenir que le but est de transformer et non pas de détruire la valeur que le site représente pour tous : les propriétaires, les enseignes et les clients.
Par Arnaud Ernst, directeur-associé du cabinet de conseil en urbanisme commercial Aid
En septembre 2023 le gouvernement (du moment) lançait le premier Plan de transformation des zones commerciales. Doté d’un budget de 24 millions pour des dépenses en ingénierie et en investissements, ce plan piloté par l’Agence nationale de la cohésion des territoires (Anct) devait retenir une quinzaine de sites pilotes. Ce plan s’inscrit plus largement dans le cadre de l’acte 2 du programme national Action cœur de ville, qui ambitionne d’accélérer le passage à l’opérationnel des projets, en apportant un accompagnement à la revitalisation des 234 villes moyennes de métropole et d’outre-mer sélectionnées en 2017. Ce volet élargit notamment les secteurs d’intervention aux entrées de villes et aux quartiers de gare.
Le Plan de transformation des zones commerciales vise alors à encourager et faciliter la réalisation des programmes opérationnels de transformation en contribuant :
– à la sobriété foncière et l’optimisation des surfaces artificialisées transformées (dans un contexte de trajectoire de réduction de l’artificialisation Zan devenue Trace),
– à diversifier les usages tout en les accompagnant d’un niveau de services publics adapté (transports collectifs, aménagements) pour mettre fin à sa mono-activité,
– à améliorer la qualité environnementale des espaces (performance énergétique des bâtiments, insertion paysagère et architecturale, réversibilité du bâti…).
Les projets lauréats devaient être annoncés fin novembre 2023.
Finalement – après de nombreuses pressions des maires à leurs députés et sénateurs respectifs – l’expérimentation annoncée sur 15 sites pilotes s’est transformée en mars 2024 en un «non choix» de 90 lauréats et une petite rallonge budgétaire portant l’enveloppe d’accompagnement à 32 millions. Sur ce total, 75 territoires bénéficient d’une subvention – majoritairement de 75 000 € – pour engager les études préalables et mobiliser une ingénierie adaptée, et seulement 15 projets bénéficieront d’un financement de déficit d’opération.
Difficile dans ce contexte de saupoudrage de réussir à appréhender le principal enjeu, l’équilibre global dans la durée du bilan d’une opération de transformation.
Mais quelle est la situation ?
N’en déplaise aux urbains, 70 % du commerce de détail physique français transite par les 1 500 zones commerciales du territoire. Pas moches pour tout le monde alors ! Et même si la vacance y progresse globalement (tout particulièrement dans les galeries) et que leur fréquentation baisse, ces lieux demeurent essentiels dans les habitudes de consommation des Français.
ous les observateurs confirment aussi que nous disposons en France de trop de mètres carrés de commerce physique au regard des évolutions sociodémographiques, des marchés de consommation et de l’évolution du e-commerce. Et, depuis la loi Royer en 73 et les différentes tentatives de régulation des implantations, ce sont des millions de mètres carrés qui ont été créés, là où il y avait du foncier disponible et là où les Français sont partis vivre, autour de nos villes.
Et oui, ces zones commerciales sont globalement peu vertueuses et vieillissantes : essentiellement fréquentées en voiture, avec une importante artificialisation des sols par des nappes de parking, un faible rapport entre bâti et foncier, une très faible densité immobilière, des constructions vieillissantes et énergivores, peu de mutualisation, pas de place pour les modes actifs et des espaces publics et végétalisés anecdotiques…
Ces morceaux de ville n’ont que 50 ans, mais les défis sont énormes pour redynamiser ces territoires et répondre aux attentes de la clientèle d’aujourd’hui et de demain.
Et s’ils veulent continuer à être fréquentés ces espaces périphériques devront accueillir des nouvelles fonctions, se densifier, améliorer leur paysage, être plus vertueux, moins consommer de foncier, mutualiser, se serrer…
Mais ça, ce n’est pas juste avec un joli plan guide ou schéma directeur paysager que cela se décrète. Chez Aid, nous travaillons déjà depuis de nombreuses années sur ces évolutions et ces transformations d’entrées de ville, comme par exemple sur la «Route de Vannes» à Saint Herblain (44), sur la «Route du Meuble» lyonnaise – RD 306 Est à Saint-Priest / Saint-Bonnet-de-Mure / Saint-Laurent-de-Mure (69) ; ou plus récemment encore sur la zac des 2 Vallées à Givors (69), juste avant qu’elle ne soit inondée le 17 octobre par la crue exceptionnelle du Gier.
Pour nous, les principaux facteurs de succès sont au nombre de 4 :
1. Tous les acteurs économiques doivent être parties prenantes de la démarche. Ces zones appartiennent dans leur quasi-intégralité à des propriétaires privés pour le foncier et à de nombreux commerçants pour les fonds et les baux. Faire sans eux serait irréaliste ! Il faut installer une gouvernance partenariale et favoriser l’implication de l’ensemble des acteurs dès l’amont du projet, en écoutant tout le monde et en respectant chaque ambition, chaque trajectoire…
2. Mais il faut aussi avoir une vision supra ! Et c’est la collectivité, les villes et leurs intercommunalités, qui doivent construire la vision stratégique d’intérêt général pour le devenir des entrées de villes avec leurs équipes d’Ama.
3. Et cette stratégie doit résister au temps long, aux crises, aux alternances politiques… et doit être traduite dans les documents d’urbanisme pour installer les conditions de la transformation et mener des opérations «à tiroirs», par phases, prenant appui sur une stratégie foncière définie.
4. Enfin, ces espaces commerciaux ont de la valeur, pour les propriétaires, pour les commerçants, pour les clients… Un plan de transformation réussi est un plan qui transforme cette valeur, mais ne la détruit pas !
Alors, on réservera les belles images pour la campagne municipale qui démarre. Mais pour des projets réalistes et opérationnels, tout le monde se remonte les manches et on avance, pas à pas. L’essentiel est de garder le cap en tentant à chaque occasion de faire converger l’intérêt général et la trajectoire individuelle des acteurs économiques.
