La taille et la notoriété d’un groupe, aussi international soit-il, ne veut pas dire que l’on fait ce que l’on veut de ses marques. Le choix d’un dépôt national ou européen relève d’une décision stratégique. Tout comme sa capacité de brandstreching. Elle impacte en effet l’avenir de la griffe, mais aussi sa valorisation. Petits rappels à la faveur des efforts de Zara qui peine à étendre sereinement son enseigne au domaine de la restauration.
Par Hermine Coudry et Karine Mamou, associées et conseils en propriété industrielle (Miip)
Le groupe Inditex est à nouveau bloqué dans sa tentative de diversification de ses activités sous sa célèbre marque de vêtement et de linge de maison Zara. En effet, la société espagnole a ouvert en novembre dernier, à Madrid, un premier café dénommé Zacaffè, relié au nouveau magasin Zara Man situé dans le quartier de Salamanca.
Dans le cadre de ce projet, elle a déposé trois nouvelles marques de l’Union européenne en octobre portant sur Zacaffè, pour désigner notamment des boissons, produits alimentaires et services de restauration (Cf. logo 1 et 2). La société italienne ZiCaffè Spa vient, toutefois, de former opposition contre ces trois dépôts sur la base de ses marques antérieures ZiCaffè visant l’Union Européenne et protégées pour des produits du café (Cf. logo 3 et 4), en revendiquant d’une part l’existence d’un risque de confusion et d’autre part l’atteinte à la renommée de ses marques en Italie.
A ce stade, les procédures d’opposition sont en phase dite de négociation. Cette période expire le 4 avril. Inditex n’a donc pas d’autres choix que de négocier un accord ou de se défendre en (i) contestant la similarité des signes et des activités et en (ii) demandant à la partie adverse des preuves d’usage de ses marques ; celles-ci ayant été enregistrées il y a plus de cinq ans, elles sont vulnérables en cas de non-usage. Un tel litige peut durer plusieurs années.
Or, si la société espagnole venait à perdre ses dépôts en raison de la reconnaissance d’un risque de confusion par l’office communautaire, elle s’exposerait à une action judiciaire et des dommages-intérêts non négligeables, puisque l’activité a déjà été lancée. Il lui faut donc trouver un plan B rapidement.
Ce n’est pas le premier coup d’essai malheureux de ce groupe qui avait déjà tenté, en mars 2010 de déposer une marque de l’Union européenne Zara pour divers produits alimentaires en classes 29 (fruits et légumes en conserve, congelés, séchés et cuits, gelées, confitures, compotes, produits laitiers, huiles et graisses comestibles), en classe 30 (riz, tapioca, sagou, farines et préparations faites de céréales, pain, pâtisserie, levure, poudre pour faire lever, sel, moutarde, vinaigre, sauces – condiments –, épices, en-cas à base de riz), en classe 31 (légumes frais), en classe 32 (jus de fruit), en classe 35 (vente au détail et en gros), en classe 43 (services de restauration).
A l’époque, c’est la société italienne Ffauf Italia Spa qui avait engagé, avec succès, les hostilités en formant opposition sur la base de ses marques antérieures Le Delizie Zara enregistrée pour de l’huile d’olive, du riz, des gressins, du vinaigre balsamique et des sauces pour pâtes alimentaires, et aussi pour des pâtes fraîches, sèches, conservées, surgelées, prêtes à l’emploi. La Chambre des recours, puis le Tribunal de l’Union Européenne ont reconnu l’existence d’une similarité et complémentarité entre les produis et les services visés à l’exception des légumes frais en classe 31 et des jus de fruit en classe 32.
De la même manière ils ont reconnu la similitude des signes en cause en raison de la reprise de l’élément dominant et distinctif Zara au sein des signes en conflit, l’élément d’attaque Le Delizie au sein de la marque verbale Le Delizie Zara et la partie graphique représentant une femme tenant une gerbe de blé au sein de la marque semi-figurative invoquée bénéficiant d’un faible caractère distinctif au regard des produits visés (Cf. logo 5).
Partant de là, le raisonnement se déroule de façon classique et constante : Zara constitue l’élément le plus susceptible de retenir l’attention du consommateur. Il ressort donc que, visuellement et phonétiquement, les signes présentent des ressemblances d’ensemble. Le risque de confusion entre les signes en conflit est retenu, le consommateur pouvant être conduit à faire le lien entre ce nouveau dépôt Zara et les marques existantes de la société Ffauf Italia Spa. La demande de marque de l’Union Européenne Zara est donc rejetée partiellement.
Le groupe Inditex a bien tenté de soulever sa renommée et sa notoriété, mais sans succès. Ce critère ne peut être pris en compte que pour les marques antérieures servant de base à l’opposition. La tentative de pourvoi devant la Cour de justice de l’Union européenne n’a également pas pu aboutir. Le groupe espagnol a ainsi bien du mal à étendre sereinement son enseigne Zara au domaine de la restauration.
Premier enseignement et rappel : avant tout dépôt et exploitation, une recherche d’antériorité est recommandée, et pas uniquement de façon identique mais de manière similaire. Il en va pour toutes les classes du projet envisagé, quand bien même on dispose déjà d’une marque connue pour certaines activités.
Second enseignement : le recours à la marque de l’Union européenne ne doit pas se faire à la légère. C’est un choix stratégique qui doit être évalué et mesuré. En effet : un tel dépôt peut se voir opposer des antériorités provenant de vingt-sept pays différents. Aussi, la recherche d’antériorité s’impose et une protection séparée dans le territoire principal d’implantation est fortement recommandée.
Troisième enseignement : les difficultés auxquelles se heurte Inditex afin d’étendre son monopole Zara dans le domaine des produits alimentaires et des services de restauration ne sont pas sans conséquences. Cela impacte la valeur de cette marque, le pouvoir de brandstretching d’une marque étant un critère d’évaluation extra-financière pris en compte lors de sa valorisation.
Conclusion : procéder à une recherche d’antériorité entraîne une conséquence à la fois sur la faisabilité du projet mais également sur la valeur de la marque.

