Si les négociations sont libres et peuvent en principe être rompues, elles doivent néanmoins être menées de bonne foi, faute d’encourir la rupture abusive. La cour d’appel de Versailles a donc récemment rappelé que la bonne foi au stade précontractuel implique notamment de ne pas maintenir son partenaire dans l’illusion que le contrat sera conclu.
Par Me Sophie Bienenstock, avocate au Barreau de Paris, maître de conférences à l’Université Paris 1 (Cabinet Bsm)
Un manquement à la bonne foi sanctionné
Fin 2018, un candidat à la franchise Buffalo Grill voit sa candidature brusquement écartée, après pas loin de deux ans de négociations. Ne comprenant pas ce volte-face alors même qu’il pensait avoir été accepté définitivement au sein du réseau depuis plusieurs mois, le candidat éconduit assigne le franchiseur pour rupture abusive des pourparlers et réclame 500.000 euros de dommages-intérêts.
En première instance, il n’obtient que 20.000 euros, montant qu’il juge dérisoire au regard de son préjudice. Le franchiseur, qui conteste avoir commis la moindre faute, interjette appel. Il affirme avoir mené les pourparlers de bonne foi, sur une durée raisonnable, et soutient que le candidat savait pertinemment que la signature définitive du contrat n’était pas garantie.
Le candidat-franchisé avance pour sa part dans le cadre de la procédure d’appel qu’il a été encouragé pendant près de deux ans par de nombreux échanges avec le franchiseur, que ce dernier laissait entendre que le contrat serait conclu, et que la réalisation d’un stage d’immersion dans le réseau l’a entretenu dans cette croyance.
La cour d’appel, se livrant à une analyse très circonstanciée, a relevé que l’envoi d’un Sms du développeur de l’enseigne au candidat à la franchise avait confirmé la validation de sa candidature. Les juges ont également souligné que Buffalo Grill avait «fait durer les pourparlers de manière excessive». C’est là que réside la faute du franchiseur : avoir poursuivi les pourparlers alors qu’il savait que le contrat ne serait pas conclu.
Une sanction dérisoire
Toutefois, la somme allouée au candidat déçu est dérisoire tant au regard de la faute commise que du préjudice réellement subi. En effet, il n’était pas contesté que le candidat s’était pleinement investi dans le projet, y avait consacré plusieurs mois, avait suivi une formation et avait été plongé en «immersion» au sein du réseau.
Compte tenu du temps passé, les sommes allouées de 8.800 euros et de 20.000 euros, respectivement au titre du préjudice personnel et du préjudice moral semblent bien faibles…
Certes, le demandeur ne produisait pas de factures à l’appui de sa demande, sans doute excessive, de 500.000 euros. Néanmoins, le temps passé sur un projet ne mérite-il pas d’être indemnisé ? La somme de 8.800 euros est offensante au regard de l’investissement du candidat, qui n’était d’ailleurs pas contesté. Comme souvent, en matière de ruptures des négociations, l’arrêt commenté est extrêmement décevant concernant les montants alloués. Cette décision nous rappelle à quel point la jurisprudence est réticente à indemniser les préjudices découlant de la rupture de pourparlers, quand bien même cette rupture serait manifestement fautive.
> Lire l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Versailles le 26 septembre 2024, RG 22/02973
