Le mieux est l’ennemi du bien… Pour avoir tenté d’obtenir de la Cnac un permis modificatif valant modification substantielle de l’Aec d’origine de son projet de Valbonne, la Compagnie de Phalsbourg a sans doute voulu bien faire les choses. Mais elle a encore poussé notre Commission nationale, tellement attachée à limiter la consommation d’espace et l’artificialisation, à se contredire. Ici, la Sci Brutus plante en effet un poignard dans ses principes cardinaux… Car, en toute logique, la réduction d’un programme réduit celle de ses nuisances, avait déjà relevé le sénateur Vaugrenard, et le Conseil d’Etat avait clairement souligné que la réduction importante d’un hypermarché et la suppression d’une moyenne surface annexe ne constituaient nullement une «modification substantielle».
Par Me Antony Dutoit, avocat au Barreau de Paris (Antony Dutoit Avocat)
Les malheurs de Sophia… C’est en ces mots que l’aventure de la Compagnie de Phalsbourg à Valbonne aurait pu se terminer. Sur les hauteurs cannoises, le village de Sophia (Open Sky à l’origine du projet) veut mêler nature, numérique et shopping.
C’était sans compter sur les vicissitudes urbanistiques et commerciales que rencontrent ce projet.
Deux ans après la création de la Zac des Clau-sonnes, la Sci Brutus (Compagnie de Phals-bourg) sollicite une autorisation d’exploitation commerciale pour la création d’un pôle commercial de 42 959 m2 se décomposant en 14 346 m² d »équipement de la maison, 9 888 m² d’équipement de la personne, 9 547 m² de culture loisirs, 5 633 m² de boutiques et 3 545 m² de commerces alimentaires sur le territoire de la commune de Valbonne. L’Aec est accordée à l’unanimité le 16 octobre 2014 par la commission départementale d’amé nagement commercial des Alpes-Maritimes. L’arrêté de permis de construire ce projet est signé le 4 novembre 2016. Jusqu’ici tout va bien…
Prétextant un affichage tardif, c’est seulement à la fin de l’année 2019 qu’il fait l’objet de recours gracieux des associations France Nature Environnement et MySophiaAntipolis.
Le contentieux suit. Ces dernières se rendent finalement à l’évidence en cours de procédure, l’affichage du permis de construire était régulier et leur recours ne sera pas recevable. Par ordonnance en date du 16 juin 2020, le tribunal administratif de Nice acte le désistement de l’association. Le permis de construire ce projet devient définitif.
La même année, Joseph Cesaro est élu maire de Valbonne Sophia Antipolis, avec l’objectif de faire baisser le nombre de mètres carrés du projet Village de Sophia. En suivant, la Compagnie de Phalsbourg envisage de baisser la superficie des espaces commerciaux et un permis de construire modificatif est déposé en ce sens. Cette réduction d’environ 30 % du projet conduit la Sci a solliciter une nouvelle demande d’autorisation d’exploitation commerciale considérant la modification substantielle de son projet telle que définie à l’article L 752-15 du Code de commerce.
Le 17 janvier 2024, la commission départementale d’aménagement commercial des Alpes Maritimes donne un avis favorable à la modification substantielle portant diminution de la surface de vente de l’ensemble commercial et, plus précisément, la diminution de la surface de vente de l’ensemble commercial Village de Sophia de 42 959 m2 à 30 303 m2 . Malgré cette réduction, plusieurs associations demeurent vent debout contre le projet. Saisie de quatre recours (1), la Commission nationale d’aménagement commercial se réunit le 13 juin 2024 et émet un avis défavorable à cette réduction du projet.
Les opposants au projet se réjouissent et clament même la caducité du permis de construire pensant le village de Sophia mort et enterré. Rien n’est moins sûr. Il est donc particulièrement intéressant de revenir sur les délais de validité de permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale et sur un exemple assez rare de réduction substantielle d’un projet d’urbanisme commercial.
Des délais de validité du PC et de l’Aec
Bien que le permis de construire un tel projet vaille également autorisation d’exploitation commerciale, les délais de validité de l’un et de l’autre peuvent… ne pas coïncider.
– S’agissant du permis de construire, par principe (R. 424-17 du Code de l’urbanisme), un permis de construire en ce qu’il vaut autorisation de construire est valable trois ans. Il peut être prorogé deux fois d’une année. En cas de recours, le délai court à compter du prononcé d’une décision juridictionnelle irrévocable. En outre, passé le délai précité, le permis de construire se périme si les travaux sont interrompus pendant un délai supérieur à un an. Ici, rien n’indique que le permis de construire, en ce qu’il vaut autorisation de construire, soit périmé. – S’agissant de l’autorisation d’exploitation commerciale, le délai de validité dépend de la taille du projet. Aux termes de l’article R. 752-20 du Code de commerce, pour les projets soumis à permis de construire d’une surface de vente supérieure à 6 000 m 2 , l’autorisation d’exploitation commerciale a une durée de validité de sept ans à compter du caractère définitif du permis de construire. Un recours contre le permis de construire a donc pour effet de prolonger la durée de validité de l’autorisation d’exploitation commerciale. En l’espèce et considérant la décision du tribunal administratif de Nice rendue en 2020, l’autorisation d’exploitation commerciale serait donc valable jusqu’en 2027. A cette date, il conviendra d’avoir ouvert les surfaces de vente au public. Pour les surfaces qui n’auront pu ouvrir avant cette date, l’autorisation d’exploitation commerciale se trouvera périmée. Pour pouvoir ouvrir ensuite, elles devront disposer d’une nouvelle autorisation d’exploitation commerciale. Alors même que le Code de commerce autorise une mise en œuvre partielle de l’autorisation d’exploitation commerciale, la Sci Brutus a souhaité obtenir une autorisation d’exploitation commerciale traduisant sa volonté de réduire les surfaces de son projet.
De la modification substantielle et des conséquences de l’opposition de la Cnac
Elle a considéré que la modification envisagée devait être regardée comme une modification substantielle de son projet initial autorisé en 2014 par la Cdac. Pour mémoire, aux termes de l’article L. 752-15 du Code de commerce : «Une nouvelle demande est nécessaire lorsque le projet, en cours d’instruction ou lors de sa réalisation, subit, du fait du pétitionnaire, des modifications substantielles au regard des critères énoncés à l’article L. 752-6.». Une telle démarche est assez rare et les réductions de la taille des projets ne font pas souvent l’objet d’une nouvelle demande d’autorisation d’exploitation commerciale. Parfois, une telle démarche est utilisée aux fins d’obtenir une nouvelle autorisation d’exploitation commerciale et de faire courir un nouveau délai de validité. Il est ici rappelé que l’article R. 752-20 du Code de commerce vise explicitement l’hypothèse de l’ouverture d’une partie seulement des surfaces de vente autorisées. Cet article prévoit alors que l’Aec est périmée pour les surfaces qui n’ont pas été ouvertes au public. De cette manière, la réduction de la taille des projets est envisagée par le législateur et les conséquences sont clairement décrites, sans qu’il soit évoqué le recours à une nouvelle autorisation d’exploitation commerciale. Cette position avait, sans équivoque, été confirmée lors des débats sur la loi Actpe devant le Sénat en 2014. Monsieur Vaugrenard, rapporteur, avait alors indiqué à l’occasion d’un amendement déposé pour modifier l’article L. 752-15 du Code de commerce et viser expressément les modifications à la baisse, que : «Lorsqu’un projet voit sa taille réduite, les perturbations qu’il est susceptible d’exercer sur son environnement sont, on peut le supposer, elles-mêmes réduites. C’est donc plutôt les projets d’extension que les projets de réduction qu’il est important de soumettre à la Cdac.» En jurisprudence, le Conseil d’Etat a pu juger que la réduction (importante) de la surface de vente d’un hypermarché et la suppression d’une moyenne surface ne constitue pas une modification substantielle (CE, 21 juin 1985, Sci La Dullague, n° 18969 ) : «le permis modificatif du 2 décembre 1973 a eu pour objet d’abaisser de 35 000 à 28 000 m2 les superficies à construire – soit une réduction de 20 % des constructions autorisées – par une réduction de la superficie de l’hypermarché et la suppression d’une surface de vente de matériaux de construction ; que ces modifications n’ayant pas dénaturé le projet initial tel qu’il avait été soumis à la commission départementale d’urbanisme commercial», le préfet était en droit d’accorder le permis modificatif du 2 décembre 1973 sans consulter à nouveau cette commission).
La société Brutus avait donc voulu faire les choses bien, et son application n’a pas été récompensée : en sollicitant l’autorisation de réduire son projet, elle a dû faire face à quatre recours (cinq avant un désistement) et à l’examen de son projet par la Commission nationale d’aménagement commercial. Cette dernière n’a fait preuve d’aucune bienveillance et lors de sa réunion du 13 juin 2024, elle émettait un avis défavorable au projet amendé et réduit à 30 303 m2 . Par la même, elle a peut-être également manqué de clairvoyance.
En effet, cet avis défavorable ne se substitue pas à l’avis favorable originel de 2014 accordé pour une surface de vente supérieure. En effet, les termes de l’article L. 752-15 sont clairs. La substitution ne s’opère qu’en cas d’obtention d’un avis favorable définitif : lorsqu’elle devient définitive, l’autorisation de modifier substantiellement le projet se substitue à la précédente autorisation d’exploitation commerciale accordée pour le projet. La première autorisation demeure donc et compte tenu des recours dirigés contre le permis de construire, elle ne semble, pour l’heure, pas périmée.
Dès lors, in fine, l’avis défavorable de la Cnac ne saurait empêcher d’exploiter le projet initialement autorisé. On en revient à l’hypothèse d’une exploitation partielle. La sanction sera alors la péremption de l’autorisation uniquement pour les surfaces de vente non ouvertes dans le délai. Aucune obligation donc d’exploiter tous les mètres carrés initialement autorisés. On peine donc à comprendre la stratégie de la Commission nationale d’aménagement commercial, d’habitude tellement attachée à limiter la consommation d’espace et l’artificialisation. A vouloir trop bien faire, cette commission en vient ici à contraindre le promoteur à faire plus grand.
Brutus n’est pas mort et Philippe (Journo) pourrait bien remporter la bataille…
Notes (1) Par M. Christophe Dubly, membre de la cdac, par la société Lunadis (Leclerc) qui s’est désistée, par la Fédération des associations de commerçants et artisans de Cagnes-sur-Mer et l’Association Cagnes Grand Centre et par l’association En Toute Franchise.
> Lire l’avis rendu par la Commission nationale d’aménagement commercial en date du 13 juin 2024 sur largusdelenseigne.com

