La mise à jour du concept n’est pas qu’un principe général. Il doit s’appliquer concrètement aux clauses du contrat de franchise, souligne la cour d’appel de Toulouse… La vente par Internet, par exemple, fût chez Naturhouse, interdite, puis proposée par avenant.
Les magistrats omettent simplement de passer à l’acte et de chiffrer le préjudice en noyant son impact dans d’autres causes ayant entraînées la baisse du chiffre d’affaires. Notamment l’évolution des modes de consommation et le contexte économique du… Covid. Une paille !
Par Me Sophie Bienenstock, avocate au Barreau de Paris (Bsm Avocat)
L’arrêt de la cour d’appel de Toulouse du 2 juillet 2024 (R.G n° 22/00188) concernant le réseau de franchise Naturhouse, aborde un aspect central des relations franchisés-franchiseur : la question de la vente en ligne dans le cadre d’un réseau de distribution. Cette décision met en lumière les tensions potentielles entre la stratégie de distribution adoptée par le franchiseur (usage de canaux digitaux) et les dispositions contractuelles (en particulier le territoire exclusif accordé au franchisé). Alors que le contrat de franchise prévoyait une exclusivité territoriale, le franchiseur avait mis en place, durant la crise sanitaire de 2020, un système de vente en ligne de ses produits diététiques ainsi que la possibilité de consultations en ligne avec des diététiciennes. Le développement de la vente en ligne a bouleversé l’équilibre préexistant au sein du réseau de franchise.
Ce phénomène n’est pas unique à Naturhouse et reflète au contraire la tendance générale du recours croissant à la vente en ligne. Cette tendance s’est accentuée dans le contexte de la crise du Covid-19, pour faire face à l’obligation de fermeture imposée aux commerces. En effet, la vente en ligne représente pour les franchisés une concurrence directe et potentiellement déloyale, dans la mesure où des produits identiques sont proposés sur le site du franchiseur souvent à des conditions plus avantageuses. Une avancée majeure… en théorie L’un des points centraux de l’arrêt porte sur l’interprétation de l’article 2 du contrat de franchise. Il stipule que «la vente des produits par Internet est également interdite». Cet article se trouve dans une section qui ne précise pas explicitement que l’interdiction concerne uniquement les franchisés. En l’absence de précision, la cour a estimé que cette clause s’appliquait aussi bien au franchiseur qu’au franchisé. Dès lors, le franchiseur n’avait pas le droit de développer la vente en ligne. Cette interprétation est conforme au Code civil qui précise qu’une clause ambigüe doit s’interpréter en faveur de celui qui s’engage. Dans le cas des contrats de franchise, c’est le franchisé qui s’engage. La cour a écarté l’argument du franchiseur qui soutenait que la création d’un site de vente en ligne constituait une mise en œuvre de son obligation d’adaptation et d’actualisation du concept. Dans le contexte de la crise sanitaire, l’argument était astucieux, mais n’a pas convaincu les juges. Ces derniers ont estimé que l’obligation de mettre à jour le concept et le savoir-faire ne pouvait en aucun cas se faire au détriment d’autres stipulations du contrat, comme en l’espèce l’interdiction de la vente en ligne. Cette précision est importante : le franchiseur ne peut pas s’abriter derrière des obligations générales du contrat pour enfreindre une obligation plus spécifique.
L’arrêt souligne également que le franchiseur avait tenté de régulariser cette situation en proposant un avenant autorisant la vente en ligne.
Selon la cour, cet élément montre que Naturhouse avait conscience que la vente en ligne n’était pas compatible avec le contrat initial et cherchait à le faire évoluer pour permettre une évolution de sa stratégie de distribution.
Au-delà de la question de la distribution sur Internet, la décision commentée est riche d’enseignements. Les magistrats ont estimé que Naturhouse avait violé d’autres obligations contractuelles comme le manque de collaboration et d’assistance, aggravant ainsi la rupture de confiance avec ses franchisés. La cour d’appel a, par exemple, considéré que la mise en place d’un système de consultation d’une diététicienne en ligne constituait un manquement du franchiseur à son obligation de bonne foi.
Le concept Naturhouse repose en effet sur la combinaison de la vente en magasin d’une part ; d’une consultation avec une diététicienne d’autre part. Proposer une consultation en ligne constitue dans ce contexte selon la cour un manquement à l’obligation de bonne foi dans la mesure où le franchisé est défavorisé. Le recours à la notion de bonne foi est suffisamment rare pour que cet arrêt soit salué.
Une indemnisation insuffisante
Plusieurs manquements du franchiseur ayant été constatés, la cour d’appel de Toulouse a confirmé la résiliation du contrat aux torts exclusifs de Naturhouse.
Si cette décision est encourageante au vu des principes qu’elle énonce, l’appréciation du préjudice subi par le franchisé reste très décevante.
La cour a estimé que le franchisé ne rapportait pas la preuve d’un lien de causalité entre le manquement du franchiseur à ses obligations et la baisse d’activité.
Elle a notamment estimé qu’une multitude de facteurs ont eu une incidence sur l’activité du franchisé, si bien qu’il n’était pas possible d’attribuer la baisse du chiffre d’affaires au développement de la vente en ligne par le franchiseur. S’il est évident que la baisse du chiffre d’affaires s’explique par de nombreux facteurs (contexte économiques, évolution des modes de consommation etc.), il est regrettable que les juges n’aient pas, malgré tout, considéré que la vente en ligne par le franchiseur a nécessairement eu un impact sur cette évolution.
A l’instar de la jurisprudence bien établie en droit de la concurrence en matière de concurrence déloyale, il aurait été possible d’énoncer que le développement de la vente en ligne en violation du contrat de franchise cause nécessairement un préjudice au franchisé.
> Lire l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Toulouse le 2 juillet 2024 sur largusdelenseigne.com

