Les clauses de non-affiliation sont soumises aux critères posés par l’article L. 341-2 du Code de commerce… et même en matière de services, estime la Cour de cassation dans un arrêt du 5 juin dernier (Cass. Com., n° 23-15.74) portant sur la querelle entre un franchisé et son ex-franchiseur Century 21. Ou comment, par une interprétation extensive, la jurisprudence adopte une position revenant à nier le légitime souci de protection du savoir-faire dans les réseaux de services.
Par Me Cecile Peskine, avocate à la Cour (linkea-avocats.com)
Après plus de vingt-cinq années de relations contractuelles, et l’ouverture de plusieurs agences immobilières, la relation entre un franchiseur et son franchisé prend fin. Le franchisé passe sous enseigne concurrente – au mépris de la clause de non-affiliation mise à sa charge, aux termes de laquelle il était prévu que : «dans le cas de cessation pour quelque cause que ce soit du contrat de franchise, le franchisé s’engage expressément à ne pas s’affilier, adhérer ou participer de quelque manière que ce soit à une chaîne concurrente du franchiseur, ou en créer une lui-même, et plus généralement à se lier à tout groupe : organisme ou entreprise directement ou indirectement concurrent du franchiseur.
Cette interdiction sera effective pour une durée d’un an pour le ou les départements dans lequel le franchisé a son agence et ses succursales éventuelles».
Celui-ci conteste la validité de cette clause. Il soutient qu’elle ne répond pas aux conditions posées par l’article L. 341-2 du Code de commerce, qui conditionne notamment leur validité à leur limitation aux locaux à partir desquels l’exploitant exerçait son activité. La Cour est dans ce contexte amenée à trancher deux questions de principe :
1. Les dispositions de l’article L. 341-2 du Code de commerce, qui encadrent la liberté de commercer, s’appliquent-elles aux activités de service ?
Après avoir relevé que ces dispositions ne s’appliquent qu’aux «commerces de détail», et que cette notion n’est pas définie par les textes, la Cour précise qu’elle doit s’interpréter au regard de la finalité du texte. Ce dernier poursuit un objectif général de mettre un terme aux pratiques des réseaux restreignant la liberté d’entreprendre, sans opérer de distinction entre les activités de vente et celles de service. Cette position est clairement contestable, notamment, car si le législateur avait souhaité viser les activités de services, il ne fait nul doute qu’il aurait pensé à les inclure dans le dispositif législatif.
Ceci est d’autant plus regrettable que cela revient à nier le légitime souci de protection du savoir-faire, en particulier pour les franchiseurs dont le concept porte sur une activité de «service» où le franchisé n’exploite pas à partir d’un local sous enseigne ouvert au public, mais dans le cadre d’une activité itinérante sous enseigne.
Ainsi, dans une pareille hypothèse et à en suivre ce raisonnement, l’ancien franchisé pourrait poursuivre l’usage du savoir-faire et s’affilier à un réseau concurrent.
2. Le franchiseur est-il en droit de faire peser le respect de l’obligation de non-affiliation sur toute personne «ayant à un moment quelconque du contrat exercé des fonctions dans la société» ainsi «qu’à tout ayant cause, à titre universel et particulier» ?
A cette question, la Cour répond par la négative, considérant que cette formulation est disproportionnée, ce d’autant qu’environ 50 % des agences immobilières en France sont exploitées en réseau. De quoi réduire
de facto et de façon considérable le nombre des successeurs susceptibles d’être intéressés par l’achat du fonds. Les demandes du franchiseur tendant à réduire la portée de la clause sont ainsi écartées, les magistrats relevant que la clause portait une atteinte excessive à la liberté du franchisé, outrepassant la protection des intérêts légitimes du franchiseur.
De là en déduire que si la clause n’avait pas été rédigée de manière aussi extensive (comme s’appliquant à toute personne ou ayant-droit), et sous réserve que l’activité concernée puisse également être exploitée sans adhérer à un réseau, alors les juges auraient pu en réduire la portée géographique, sans en prononcer la nullité il n’y a qu’un pas… qui mérite d’être envisagé !
> Lire l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 5 juin 2024 sur largusdelenseigne.com

