On comprend mal, en effet, comment la Cour de cassation peut valider le même jour la procédure du Dip d’Ucar, quand un franchisé se plaint d’informations incomplètes antérieures à la signature du contrat, et trouver à redire pour l’autre, au motif que la cour d’appel n’aurait pas recherché si – après la remise du Dip – la tête de réseau n’avait pas dissimulé des informations – au demeurant tout à fait accessibles au public – et d’autant plus à un prétendant au statut de chef d’entreprise. Commentaires des arrêts de la chambre commerciale du 26 juin 2024 (pourvois n° 23-14.085 et 23-11.499)
Par Me Rémi de Balmann, avocat au barreau de Paris (D, M & D), membre du Collège des experts de la Fédération Française de la Franchise
Deux litiges factuellement très proches et classiques. Et pourtant deux arrêts de la chambre commerciale de la Cour de Cassation rendus le même jour et qui apportent deux solutions diamétralement opposées ! Une raison d’y regarder à deux fois et de plus près pour tenter de comprendre cette (apparente ?) contradiction sur l’information précontractuelle due au candidat franchisé au regard de la «présentation du réseau».
Dans l’une et l’autre de ces espèces, la Cour de Cassation a rendu ses arrêts au visa de l’article 1116 du Code civil qui, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016, disposait que «Le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manœuvres pratiquées par l’une des parties sont telles, qu’il est évident que, sans ces manœuvres, l’autre partie n’aurait pas contracté». Et la Cour de cassation – reprenant une formule vieille d’une cinquantaine d’années (Cass. com, 3e civ., 15/01/71, pourvoi n° 69-12.180, Publié au bulletin) – de préciser que : «Le dol peut être constitué par le silence d’une partie dissimulant à son cocontractant un fait qui, s’il avait été connu de lui, l’aurait empêché de contracter».
Faut-il – pour apprécier l’existence d’éventuelles manœuvres dolosives du franchiseur – que les juges aillent au-delà de la loi Doubin et des informations visées à l’article R. 330-1 du Code de commerce ?
A cet égard, l’on sait que cet article fait obligation au franchiseur de communiquer notamment dans le document d’information précontractuelle transmis au candidat franchisé «une présentation du réseau d’exploitants qui comporte : a) La liste des entreprises qui en font partie avec l’indication pour chacune d’elles du mode d’exploitation convenu ; b) L’adresse des entreprises établies en France avec lesquelles la personne qui propose le contrat est liée par des contrats de même nature que celui dont la conclusion est envisagée ; la date de conclusion ou de renouvellement de ces contrats est précisée ; (…) ; c) Le nombre d’entreprises qui, étant liées au réseau par des contrats de même nature que celui dont la conclusion est envisagée, ont cessé de faire partie du réseau au cours de l’année précédant celle de la délivrance du document. Le document précise si le contrat est venu à expiration ou s’il a été résilié ou annulé». Si le document d’information précontractuelle comporte toutes ces informations, est-il légitime d’aller au-delà et d’exiger du franchiseur qu’il en dise plus, sauf à être suspecté d’avoir «caché» une information déterminante ? L’examen comparé des deux arrêts du 26 juin 2024 montre la limite de l’exercice. Dans l’une et l’autre des espèces ayant conduit à ces deux arrêts de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 26 juin 2024, les franchisés confrontés à des diffi cultés financières – l’un des deux ayant purement et simplement été placé en liquidation judiciaire – avaient introduit à l’encontre du franchiseur une action tendant à l’annulation de leurs contrats. Dans l’un et l’autre cas, les franchisés se disaient victimes de dol, notamment en raison de dissimulations par le franchiseur du nombre de procédures collectives ayant affecté le réseau. La différence résidait dans le fait que cette dissimulation était invoquée, dans un des litiges, pour la période antérieure et, dans le deuxième litige, pour la période postérieure à la remise du document d’information précontractuelle. Dans la première espèce, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé à l’encontre de l’arrêt de la cour d’appel de Versailles qui avait jugé que «si, selon la société (franchisée), sur la période antérieure de douze mois au mois d’octobre 2014, dix sociétés auraient fait l’objet d’une procédure collective, la société Ucar justifie que seules cinq sociétés ont fait l’objet d’une telle procédure au cours de l’année précédant la remise du Dip».
Le franchisé ne s’arrêtait toutefois pas là et invoquait le fait que pas moins de «vingt-deux sociétés auraient été placées en redressement judiciaire ou en procédure collective en 2013-2014». Ainsi donc, le franchisé faisait «remonter» la dissimulation au-delà des douze mois précédant la remise du document d’information précontractuel.
La Cour de cassation ne va toutefois rien trouver à y redire, jugeant que : «En l’état de ces seules constations et appréciations, dont il résulte que le franchiseur a informé le franchisé, de manière sincère, du nombre d’entreprises ayant fait l’objet d’une procédure collective dans les douze mois précédant la remise du Dip, la cour d’appel, devant laquelle était uniquement contestée l’exactitude de ce nombre, a pu retenir que le franchisé ne démontrait pas l’existence d’une réticence dolosive du franchiseur».
Inversement et dans la seconde espèce, la Cour de cassation va faire grief à la cour d’appel de Paris d’avoir jugé que les franchisés ne démontraient pas «en quoi ils auraient eu communication d’informations insincères du franchiseur, ne leur permettant pas d’apprécier la pertinence économique de l’opération, ce qui leur aurait causé préjudice» et estimé que «le document d’information précon-tractuel (Dip) remis par la société Ucar (…) est conforme aux dispositions des articles L. 330-3 et R. 330-1 du Code de commerce, qu’il présente l’état général du marché de la location courte durée de véhicules de façon suffisante, que la société Ucar y a, de surcroît, mentionné le nombre d’entreprises ayant, dans les douze mois antérieurs, cessé de faire partie du réseau en raison de l’expiration ou de la résiliation des contrats ou de la cession du fonds de commerce, ainsi qu’en raison d’une procédure collective, (…)».
Pour la Cour de cassation : «En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la société Ucar n’avait pas gardé intentionnellement le silence sur les procédures collectives survenues dans le réseau après la remise du Dip et avant la signature du contrat de franchise et si cette information n’aurait pas dissuadé la société Rouen Sud avenir location de contracter, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision».
Vérité en-deçà, erreur au-delà ? (1)
La position de la Cour de cassation est d’autant plus singulière qu’à partir de la remise du document d’information précontractuelle et dès lors qu’il dispose des données sur l’état du réseau, c’est au candidat franchisé de faire son enquête et de se préoccuper de savoir si des procédures collectives sont «survenues dans le réseau après la remise du Dip». Il s’agit là en effet d’informations accessibles au public, les procédures collectives donnant lieu à jugements publiés au Bodacc et mis en ligne sur le site Infogreffe !
A quel titre le franchiseur devrait-il «actualiser» la présentation de l’état du réseau entre la remise du Dip et la signature du contrat de franchise ? Et si l’on peut admettre qu’un franchisé puisse «invoquer un dol alors même que le franchiseur a remis un document d’information précontractuelle complet» (2), il convient de ne pas aller trop loin et de s’en tenir à des données non accessibles au public. A l’évidence et s’il s’agissait pour le franchiseur de taire au candidat le projet de cesser à moyen terme le développement en franchise ou encore celui de privilégier les ventes par Internet, on conviendrait qu’il puisse y avoir dissimulation. Toutes informations non accessibles au public et susceptibles d’affecter la décision du candidat doit être révélée.
Mais il ne saurait en être de même pour toutes les informations qu’il appartiendrait au candidat de vérifier. Et l’on ne saurait trop se souvenir – comme l’a écrit avec talent un éminent spécialiste du droit de la franchise -que : «En présence d’informations erronées ou omises de nature à altérer gravement son consentement, le franchisé demandeur à l’action en nullité pour vice du consentement doit encore faire la preuve qu’il n’était pas raisonnablement possible de déceler, dans le délai de 20 jours, la fausseté des informations fournies : le franchisé est un entrepreneur, il ne peut se comporter comme un animal encagé à qui on apporte la nourriture. Il doit aller à la chasse aux informations. Il a le devoir de s’informer, vérifier, recouper, valider les renseignements reçus». (3)
Notes 1. «Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà» Blaise Pascal, «Les Pensées» 2. N. Dissaux et Ch. Bellet, Le Guide de la Franchise, éd. Dalloz 2023-2024, p. 117 3. J.-M. Leloup, Droit et pratique de la franchise, éd. Delmas, Delmas, 4e édition, p. 190
> Lire les deux arrêts rendus par la Cour de cassation le 26 juin 2024 sur largusdelenseigne.com

