Si l’enfer du Conseil national du commerce est pavé de bonnes intentions, les propositions faites par la ministre du Commerce en matière d’ouverture et de réaménagements de commerces dans une galerie marchande, de cession des autorisations d’exploitation commerciale, d’alignement des délais d’Aec et de Pc et de limitation des recours abusifs, notamment, font plutôt penser à des réécritures à la marge. Analyse critique des dispositions envisagées, de leur redondance et de leurs éventuelles qualités.
Par Me Gwenaël Le Fouler, avocate-associée (Letang Avocats)
Le 5 mars 2024, l’instance consultative interministérielle qu’est le Conseil national du commerce (Cnc) a présenté une première série de mesures destinées à préparer l’avenir du commerce face aux enjeux environnementaux et économiques. Ces mesures devraient se retrouver dans les prochaines évolutions législatives, et notamment dans le projet de loi Pacte II destiné à accroître les mesures de simplification des normes qui entravent la croissance des entreprises. Mais cette annonce prometteuse dissimule un dispositif souvent redondant avec l’existant.
Faciliter les nouvelles implantations dans des cellules existantes
Lorsqu’un commerce en remplace un précédent, les gondoles changent de place et le cloisonnement de la cellule peut être modifié. Le Code de la construction et de l’habitation prévoit qu’une autorisation préalable aux travaux d’aménagement doit être obtenue auprès du maire de la commune et après avis des pompiers, de sorte à contrôler les mesures prises pour éviter le risque incendie et de panique. L’instruction de cette autorisation est de 4 mois lorsqu’un permis de construire n’est pas nécessaire.
La proposition formulée par le Cnc consiste à remplacer cette autorisation par une procédure de déclaration pour les cellules commerciales de moins de 300 m² des plus grands établissements recevant du public (catégories 1, 2 et 3). Cela serait possible dès lors que la déclaration est certifiée par un bureau de sécurité agréé par le ministère de l’Intérieur et que l’activité n’évolue pas (un commerce reste un commerce, et ne devient pas un restaurant).
Nous supposons que la surface indiquée correspond à la surface de l’ensemble de la cellule, et non à celle de la surface de vente.
En pratique les travaux commencent bien souvent avant même que cette autorisation soit demandée. Il n’est en conséquence pas certain que cette formalité constitue un réel frein à la nouvelle commercialisation d’une cellule vacante. Pour les établissements de la 4e à la 1re catégorie, l’ouverture est permise par une autorisation délivrée après contrôle des travaux réalisés. Les plus petits commerces relevant de la 5e catégorie échappent à cette dernière autorisation. C’est l’obtention de cette autorisation d’ouverture qui est souvent plus difficile à caler dans le calendrier de l’opération, puisqu’une visite de réception préalable à l’ouverture doit être effectuée par le service d’incendie et de secours.
De plus, selon la configuration du bâtiment au sein duquel la cellule commerciale est située (intercommunications, isolement aux tiers), les contraintes réglementaires peuvent être plus ou moins exigeantes, faisant changer la catégorie de l’établissement. Les centres commerciaux sont concernés en tout premier lieu.
Sur ce point, la ministre a opposé de façon curieuse les petits commerces donnant sur la voie publique à ceux situés en galerie marchande, considérant que les premiers ne font l’objet que d’une simple déclaration. Une telle affirmation est surprenante, puisqu’aucune déclaration de ce type n’est prévue par le Code de la construction et de l’habitation…
Nous voyons dans la proposition du Cnc une nouvelle manifestation de l’affaiblissement des mesures de contrôle des obligations législatives et réglementaires par l’administration. A nouveau, il est reporté sur le secteur privé le soin de certifier les mesures prises par ses propres clients, avec les dérives que cela peut parfois impliquer. S’agissant de mesures de sécurité nous pouvons nous interroger sur la pertinence d’une telle proposition.
Assouplir le réaménagement des galeries marchandes
La ministre a indiqué que les «regroupements» (selon ses termes il s’agirait des déplacements de magasins au sein d’une galerie marchande), ne nécessiteront plus d’autorisation d’exploitation commerciale (Aec). A nouveau, cette mesure ne manque pas de surprendre par son imprécision.
Le Code de commerce qualifie de «regroupement de surface de vente» la réunion de magasins voisins (c’est-à-dire l’agrandissement par absorption de la cellule voisine). Ces regroupements sont permis en franchise d’une nouvelle Aec sous certaines conditions. Il semble cependant que dans l’esprit de la ministre ce «regroupement» ne consiste pas à modifier la surface des commerces concernés, mais à les déplacer au sein de la galerie marchande, à surface de vente identique. Nous comprenons que cette mesure, à la façon d’un jeu de taquin, permettra de libérer certaines parties d’une galerie marchande vétuste pour y permettre d’en faciliter la rénovation lourde. Or, déjà aujourd’hui un tel déplacement n’est pas proscrit par les textes et se trouve admis de longue date par la jurisprudence (1). La proposition paraît donc inutile.
Favoriser la cession des autorisations d’exploitation commerciale
«La cession partielle de l’Aec sera aussi possible à titre gratuit», a indiqué la ministre. Cela signifie-t-il en creux que la cession à titre onéreux sera admise ? Les autorisations administratives pourraient donc se monnayer ? Si en pratique cela fait longtemps que des projets immobiliers sont cédés moyennant finances, cela n’a jamais été admis de façon aussi franche par l’administration elle-même.
L’Aec est clairement attachée aux murs depuis la disparition de la notion de transfert en 2008. La cession de l’autorisation d’exploitation est donc nécessairement couplée avec celle de ces derniers. De plus aucune disposition n’interdit aujourd’hui une telle cession à titre gratuit… Les motivations qui ont présidés à une telle proposition restent donc à éclaircir.
En outre, le caractère partiel de cette cession ne risque-t-il pas de se heurter aux conditions de mise en œuvre et au contrôle des commissions d’aménagement commercial sur les implantations ? Cette mesure soulève donc plusieurs questions bien éloignées de la volonté de simplification annoncée.
Alignement des délais d’Aec et de permis de construire
La ministre a ensuite présenté une mesure tendant à aligner les délais de validité des autorisations d’exploitation commerciale avec ceux des permis de construire. Une telle mesure est en effet souhaitée de longue date par les acteurs du secteur. Aujourd’hui, le délai de mise en œuvre du permis de construire dépasse parfois de plusieurs années le délai dans lequel les commerces doivent ouvrir… alors qu’un commerce ne saurait ouvrir alors que les travaux de construction n’ont pas commencé ! Sur ce point, l’importance de favoriser les programmes mixtes, mêlant logements et commerces a été mise en avant.
Si nous ne pouvons que nous féliciter de cette mesure, la ministre n’a cependant pas précisé si le délai dans lequel les travaux doivent commencer sera raccourci, allongé ou s’il bénéficiera d’une durée variable selon la surface autorisée, comme le connaît actuellement l’autorisation d’exploitation commerciale.
Limiter (encore) les recours
Enfin, le projecteur s’est à nouveau braqué sur la problématique des recours formés contre les autorisations d’exploitation commerciales. La ministre a souligné qu’ils avaient pour effet de «plomber» les plans de développement du fait de la grande insécurité juridique qui en résultait. Elle a pointé le fait que 90 % des recours étaient le fait des concurrents. Elle semble avoir omis de considérer qu’à l’exception des associations de défense des commerçants, les concurrent s sont les seuls qui ont intérêt pour agir ! Les associations de défense de l’environnement ont été écartées par la loi Pinel de 2014, alors même que l’un des critères d’autorisation tient au développement durable. Le juge administratif ayant quant à lui interdit depuis quelques années l’accès au prétoire des propriétaires-bailleurs souhaitant protéger leurs preneurs de l’arrivée de nouveaux commerces. Toute personne qui ne parvient pas à démontrer que le projet commercial porterait atteinte à son activité professionnelle n’a pas intérêt pour agir.
La situation est schizophrénique : les recours des concurrents sont indésirables car ils freinent les projets nouveaux pour des raisons économiques, mais ce sont les seuls qui sont autorisés à saisir le juge. Désormais, il semble qu’il sera exigé du requérant qu’il justifie que le projet affecte son activité de manière significative, directe et certaine pour avoir intérêt à agir.
Mais le mode d’emploi a été oublié : comment démontrer – avec certitude – l’impact d’un commerce dont on ne connaît que le secteur d’activité (dominante alimentaire ou non alimentaire), dont l’enseigne n’est pas connue et pour lequel l’ouverture n’aura pas lieu avant plusieurs années ? L’exploitant constatant la délivrance d’une nouvelle Aec dans sa zone de chalandise éprouve de grandes difficultés à fournir une telle démonstration et ni les membres des commissions d’aménagement commercial, ni le juge administratif n’ont les compétences pour apprécier un impact économique futur… et certain ! En d’autres termes, les possibilités de contrôle des autorisations d’exploitation commerciales par le juge se réduisent comme peau de chagrin laissant ouverte la question du droit au recours effectif dont la valeur constitutionnelle est établie de longue date.
Les commissions d’aménagement commercial devant appliquer des critères dont l’appréciation est subjective n’ont pas su trouver une ligne directrice cohérente dans leurs décisions. Le juge administratif n’est guère plus régulier. L’aléa est fort pour le pétitionnaire qui sollicite une telle autorisation, et ouvre la voie à la contestation… Ne sachant de quel côté la pièce tombera, le requérant tente sa chance ! La solution est donc peut être davantage à trouver dans la solidité des avis rendus et dans l’application des critères que dans la réduction de l’accès au juge.
Dans un contexte où l’administration reporte son contrôle sur le secteur privé, en recourant à des organismes agréés et à des dispositifs déclaratifs, le contrôle du juge demeure essentiel pour éviter les dérives.
Note
1. CE, 20 mars 2000, n° 191418 ; CAA Bordeaux, 28 déc. 2017, n° 15BX03116, 15BX03119
