Les ombrières sur les parkings des commerces et des centres commerciaux : on sait qu’il faut s’y mettre. Reste à savoir comment, dans quels délais et avec quels moyens ? Le législateur lui-même a été obligé de reprendre sa copie pour y voir clair. En laissant d’ailleurs, comme pour le décret Tertiaire, aux bailleurs et aux locataires le soin de se répartir une facture sur laquelle la loi Climat ne se prononce pas. Petit vade-mecum aimablement critique…
Par Me Delphine d’Albert des Essarts, avocate-associée et Adrien Reymond, (Wilhelm & Associés)
Au regard des enjeux liés au réchauffement climatique, le législateur s’est fixé l’objectif de décarboner l’économie. Le secteur immobilier entend y contribuer activement avec l’adhésion des professionnels aux obligations de verdir les constructions et de les rendre autonomes énergétiquement. La «solarisation» et la «végétalisation» sont devenues des préoccupations majeures pour les constructeurs et les propriétaires d’actifs immobiliers.
Les objectifs du législateur sont donc simples et clairs et les acteurs sont prêts à se mobiliser pour y répondre.
Malheureusement, les textes censés venir les concrétiser ne sont pas toujours à la hauteur des attentes. L’exemple des parcs de stationnement illustre assez bien cette discordance. Imposer des obligations de verdissement et de solarisation pour les parcs de stationnement, voilà un principe simple … comment le compliquer ? Existants ou à créer ? Couverts ou extérieurs ? De plus de 500 m² ou de plus de 1.500 m² d’emprise au sol ? Associés ou non à un bâtiment ? Dans quelle proportion et sous quel délai ?
Autant de questions que de textes que de types de parkings … et parmi ces textes, certains qui ne sont pas codifiés (1) ou qui n’existent que dans une version à venir (2)…
Les parlementaires eux-mêmes en ont perdu leur latin durant les débats sur la loi Climat du 22 août 2021 (n° 2021-1104) puis sur la loi Enr du 10 mars 2023 (n° 2023175).
Une tentative de clarification peut être esquissée si l’on aime les jeux de pistes…
Quelles obligations pour quels parkings et sous quels délais les mettre en œuvre ?
La première série de questions à se poser consiste à savoir (i) si le parc de stationnement est situé à l’extérieur ou s’il est couvert et (ii) s’il existe déjà ou s’il doit être créé intégralement. Schématiquement, en effet, la loi Climat du 22 août 2021 règlemente les parkings à créer à compter du 1er juillet 2023, tandis que la loi Enr du 10 mars 2023 s’occupe des parkings déjà existants à cette date.
Première catégorie : les parcs de stationnement intérieurs Tout d’abord, le législateur s’est intéressé aux parkings à créer de plus de 500 m² d’emprise au sol. L’article 101 de la loi Climat a ainsi introduit un article L. 171-4 (3) dans le Code de la construction et de l’habitation (Cch) en remplacement de l’ancien article L. 111-18-1 du même code. Ces parcs de stationnement doivent – à compter du 1er juillet 2023 (4) – intégrer (i) soit un procédé de production d’énergies renouvelables, (ii) soit un système de végétalisation permettant une isolation, (iii) soit tout autre système permettant de parvenir au même résultat. Ces obligations s’appliquent graduellement avec le temps : 30 % de la surface du parking devra posséder ces équipements dès le 1er juillet 2023, puis 40 % de la surface à compter du 1er juillet 2026, puis 50 % à compter du 1er juillet 2027.
Le législateur a – ensuite – étendu ces mêmes obligations aux parkings existants d’au moins 500 m² d’emprise au sol. L’article 43 de la loi Enr du 10 mars 2023 a, pour ce faire, introduit un article L. 175-1 dans le Cch (version à venir au 1er juillet 2028).
Seconde catégorie : les parcs de stationnement extérieurs Comme pour les parkings intérieurs, le législateur s’est – tout d’abord – intéressé aux parkings à créer (demandes d’autorisations déposées à compter du 1er juillet 2023). L’article 101 de la loi Climat a ainsi introduit un article L. 111-19-1 dans le Code de l’urbanisme, qui concerne les parcs de stationnement de plus de 500 m² mentionnés à l’article L. 171-4 du Cch (voir supra) et les nouveaux parcs de stationnement de plus de 500 m² ouverts au public. Ces parkings devront intégrer, pour au moins la moitié de leur surface (i) soit des ombrières photovoltaïques, (ii) soit des dispositifs permettant de rendre perméables les surfaces, (iii) soit encore des dispositifs végétalisés.
Ensuite, le législateur ayant «oublié» les parcs de stationnement existants, l’article 40 de la loi Enr du 10 mars 2023 (5) prévoit que les parkings de plus de 1.500 m² existants au 1er juillet 2023 (ou 12 mars 2023 si une demande d’autorisation d’urbanisme a été déposée) devront être équipés, sur au moins la moitié de leur superficie d’ombrières intégrant sur leur totalité un procédé de production d’énergies renouvelables. Ces obligations s’appliquent de manière différée selon la taille du parking, à savoir : dès le 1er juillet 2026 pour les parcs de stationnement de plus de 10.000 m² ou au 1er juillet 2028 pour les parkings d’une surface comprise entre 1.500 et 10.000 m² (les plus grandes installations devant, logiquement, être équipées en priorité).
A noter que ces dates de 2026 ou 2028 ont été choisies en lien avec un autre objectif du législateur : celui de la «zéro artificialisation nette» (Zan). En effet, dès lors qu’un objectif de consommation économe de l’espace a été prévu par la loi Climat, les porteurs de projet n’ont d’autre choix que d’étendre leurs bâtiments commerciaux sur le parking déjà artificialisé. Afin de ne pas faire obstacle à ces projets d’extension sur les parkings, il a été prévu une exception : les dispositions de l’article 40 ne s’appliquent pas aux parcs de stationnement dont la suppression ou la transformation totale ou partielle est prévue avant 2026 ou 2028 (6).
Quelles exonérations possibles ?
Pour les parcs de stationnement à créer – extérieurs (article L. 111-19-1 précité) ou intérieurs (article L. 171-4 du Cch précité) – le législateur a prévu trois grandes exemptions à l’obligation de végétalisation ou de solarisation si (i) il existe des contraintes patrimoniales ou (ii) des contraintes techniques, de sécurité, ou architecturales et si (ii) les travaux ne peuvent être réalisés dans des conditions économiquement acceptables.
Le décret n° 2023-1208 du 18 décembre 2023 et trois arrêtés du 19 décembre suivant (7) et du 5 mars 2024 (8) sont venus préciser ces exemptions (9). Là encore, il faut aimer les challenges pour déterminer si un projet remplit l’une ou l’autre des conditions d’exemption précitées (10).
Pour les parcs de stationnement existants – extérieurs (article 40 de la loi du 10 mars 2023) ou intérieurs (article 43 de la même loi) – des exemptions sont également prévues dans des termes similaires, mais les mesures d’application ne sont pas encore définies. (voir https://www.gide-realestate.com/vegetalisation-et-photovoltaique-fixation-des-seuils-dexoneration-pour-conditions-economiques-raisonnables-des-parcs-de-stationnement/#_ftnref4)
Qui prend en charge ces travaux ?
Les dispositions de la loi Climat évoquent seulement la nécessité d’intégrer au bâtiment et aux aires de stationnement associées des équipements pour assurer leur performance énergétique. Elles ne disent rien de la répartition des travaux à effectuer si le local est donné à bail commercial.
Les bailleurs et les preneurs n’ont pas encore fini de trancher la question du décret tertiaire qu’ils vont devoir enchaîner avec cette autre question délicate de la solarisation et du verdissement des parcs de stationnement.
Notes
1. L’article 40 de la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 n’est entré ni dans le Code de la construction et de l’habitation (Cch) ni dans le Code de l’urbanisme.
2. Article L. 175-1 du Cch, version à venir au 1er juillet 2028.
3. Article modifié ensuite par l’article 41 de la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 (Enr).
4. Les dispositions de l’article L. 171- 4 du Cch entrent en vigueur le 1er juillet 2023 mais le décret n° 2023-1208 du 18 décembre 2023 retient plutôt la date du 1er janvier 2024 : «Les dispositions des articles 1er et 3 du présent décret s’appliquent aux bâtiments et parties de bâtiments mentionnés à l’article L. 171-4 du Code de la construction et de l’habitation faisant l’objet de demandes d’autorisations d’urbanisme déposées à compter du 1er janvier 2024 ou, pour les travaux ne nécessitant pas d’autorisation d’urbanisme, lorsque la date d’acceptation des devis ou de passation des contrats relatifs aux travaux de rénovation est postérieure au 1er janvier 2024» .
5. Article non codifié, ni dans le Cch ni dans le Code de l’urbanisme.
6. Voir sur ce point l’avis de la ministre sur l’amendement 1585 : «Je serai brève. Si une transformation du parc de stationnement est envisagée à moyen terme, l’installation de panneaux photovoltaïques n’est pas obligatoire. Aucun porteur de projet n’installera des ombrières pour trois ans même si la réversibilité est possible ! Le projet de loi devrait être promulgué en 2023, ce qui ne laisserait pas le temps d’installer et de retirer des panneaux photovoltaïques d’ici à 2026 ou 2028. L’amendement prévoit deux cas de figure différents, mais cela a au fond peu d’importance. L’objectif est avant tout de soustraire aux obligations de l’article 11 les projets de transformation de parcs de stationnement déjà solidement établis» (Assemblée nationale, 3e séance du 9 décembre 2022, sur l’article 11).
7. Arrêté du 19 décembre 2023 portant application de l’article L. 171-4 du Code de la construction et de l’habitation, fixant la proportion de la toiture du bâtiment couverte par un système de végétalisation ou de production d’énergies renouvelables, et précisant les conditions économiquement acceptables liées à l’installation de ces systèmes (NOR : TREL2313126A). Et Arrêté du 19 décembre 2023 portant application de l’article L. 171-4 du Code de la construction et de l’habitation et fixant les caractéristiques minimales que doivent respecter les systèmes de végétalisation installés en toiture (NOR : TREL2309051A).
8. Arrêté du 5 mars 2024 portant application du décret n° 2023-1208 du 18 décembre 2023 portant application de l’article L. 171-4 du Code de la construction et de l’habitation et de l’article L. 111-19-1 du Code de l’urbanisme régissant les parcs de stationnement (NOR : TREL2323577A).
9. Voir sur ce point l’article de notre confrère Julien Leplat, «Obligation de solarisation ou végétalisation : du principe à la mise en œuvre», Revue Energie, Environnement, Infrastructures n° 4, avril 2024.
10. «Verdissement et solarisation des parkings : un arrêté fixe les seuils d’exonération», Sophie d’Auzon, Le Moniteur 6 mars 2024 ou l’article de notre Confrère Gossement «Solarisation des toitures et parkings : arrêté du 5 mars 2024 précisant les conditions de dispense des propriétaires de parcs de stationnement pour défait de «conditions économiquement acceptables» 6 mars 2024 (https://blog.gossement-avocats.com/blog/environnement/solaire-1-2).
> Lire le texte de loi n° 2023-973 du 23 octobre 2023 relatif à l’industrie verte
