Fréquente est la tentation, pour les têtes de réseaux, de fonder leur déploiement sur un contrat intitulé «licence de marque» ou «partenariat», au motif que ces modèles seraient moins contraignants que celui de la franchise. La démarche ne trompe personne, surtout pas les juridictions, qui examinent la réalité de la relation nouée entre les parties afin de lui apporter son exacte qualification juridique.
Par Me Cécile Peskine, avocate à la Cour et associée (Link&A)
Deux arrêts d’appel rendus en fin d’année 2023 (cour d’appel d’Amiens, 26 octobre 2023, n° 21/01124 et cour d’appel de Grenoble, 30 novembre 2023, n° 21/04338), illustrent la nécessité «d’appeler un chat un chat», et de prendre le temps de déterminer le véhicule juridique adapté à ses ambitions, sans se cacher derrière un contrat prétendument plus léger.
La première affaire concerne un réseau de confiserie (Chocolat&Gourmandises), ayant fait le choix de proposer un développement au travers de «contrats de partenariat».
Le contrat de partenariat est (en droit commercial privé) un contrat sui generis, autrement dit «mou», dont l’appellation laisse à penser que les parties doivent se comporter en «partenaires», s’engageant à des obligations réciproques. Aucune définition n’est toutefois précisément donnée par les textes en vigueur. Aussi cette qualification est-elle prisée d’une partie des réseaux, notamment si aucune autre formule contractuelle ne permet de décrire les engagements des parties.
En l’espèce, l’un des «partenaires» prétend avoir été dupé. Il sollicite la requalification du contrat de partenariat en contrat de franchise, relevant que les ingrédients propres à la franchise étaient présents :
1. mise à disposition d’une marque à titre d’enseigne,
2. engagement d’approvisionnement exclusif,
3. prestation de formation et d’assistance, et
4. paiement d’un droit d’entrée.
Le raisonnement n’emporte toutefois pas la conviction des magistrats dont l’analyse est la suivante : si le contrat de partenariat empruntait certaines des caractéristiques de la franchise (une organisation de la distribution exclusive de produits à marque et la présence de l’enseigne sur un site annuaire des réseaux de franchise), ces éléments sont insuffisants à en entraîner la requalification en raison de sa souplesse, et de son caractère peu onéreux. Ainsi, les magistrats considèrent que le fait que le contrat soit facilement résiliable, que le partenaire soit autorisé à commercialiser d’autres produits, et qu’il ne paye qu’un droit d’entrée et service d’accompagnement, suffisent en l’espèce à lui permettre d’échapper à la qualification de contrat de franchise. On regrettera néanmoins que la cour n’ait pas développé davantage sa motivation sur l’absence ou l’existence de l’imposition du respect d’un savoir-faire. En effet, en présence de deux des ingrédients du contrat de franchise (mise à disposition d’une marque à titre d’enseigne, et d’une collection de produits), il aurait été utile de vérifier si le savoir-faire, troisième élément propre à la franchise, était présent. Ce d’autant que la tête de réseau remettait à ses partenaires un «guide des bonnes pratiques», et s’engageait à leur dispenser un apprentissage relatif à des «méthodes de commercialisation», ainsi qu’un «service d’accompagnement». Autant d’engagements laissant supposer l’existence d’un embryon de savoir-faire.
Pour autant, et bien que la demande de requalification n’ait pas été accueillie, le contrat de partenariat n’en est pas pour autant valable : la tête de réseau avait remis un document d’informations précontractuelles (Dip) qui ne comprenait pas l’ensemble des informations requises :
1. il n’était pas fait état dans le Dip de ce que le réseau en était à ses débuts de développement ;
2. l’état général et l’état local n’étaient pas joints.
L’annulation du contrat de partenariat est ainsi prononcée, permettant de rappeler que le Dip n’est pas l’apanage de la franchise. Sa remise est obligatoire en amont de tout contrat prévoyant la mise à disposition d’une marque à titre d’enseigne en exigeant de l’autre partie qu’elle exerce son activité dans le cadre d’une exclusivité ou quasi-exclusivité.
La seconde affaire porte sur un contrat de licence de marque (Beauty Success, venant aux droits de Sud Esthétique, elle-même venant à ceux de Relooking Concept), dans le domaine de l’amincissement et des soins du corps. En l’espèce, le concédant promettait la mise à disposition d’un concept «clef en main», et accordait à son licencié le droit d’exploiter une «méthode», transmise dans le cadre d’une formation initiale et permanente. Ce qui permet aux magistrats grenoblois de conclure à la nécessité de requalifier la licence de marque en contrat de franchise, considérant que ces éléments traduisaient la transmission d’un savoir-faire.
Il est intéressant de relever à cet égard que la cour d’appel de Grenoble adopte une analyse opposée à celle de la cour d’appel d’Amiens : la première considère que l’absence de droit d’entrée et de redevances prévus au contrat était indifférente sur sa qualification ; alors que la seconde avait estimé que le caractère peu onéreux du contrat faisait (entre autres éléments) obstacle à sa requalification. L’analyse paraît rigoureuse : il ne suffit en effet pas de prévoir des conditions financières plus légères ou différentes de celles classiquement rencontrées dans les contrats de franchise, pour échapper à la requalification.
Faire l’économie de murir, et penser sa stratégie de développement en réseau peut ainsi se révéler particulièrement préjudiciable a posteriori pour une enseigne qui tenterait de s’extraire artificiellement du régime juridique de la franchise, tout en prétendant transmettre un véritable concept et des méthodes commerciales. Le contrat de licence ainsi requalifié en franchise est annulé, faute pour le franchiseur d’avoir remis une information précontractuelle répondant aux exigences légales et règlementaires (1). Le franchiseur avait en effet fait l’impasse sur la présentation de l’état du marché, et avait communiqué au franchisé un compte d’exploitation prévisionnel «manifestement irréaliste» au regard des résultats constatés dans le réseau, frappé par la fermeture de plusieurs centres.
L’occasion de rappeler ici qu’il ne suffit pas de remettre un Dip : encore faut-il veiller à ce que celui-ci soit réalisé avec attention, sans fausse promesse ni carence.
Note
1. Prévues aux articles L. 330-3 et R. 330-1 du Code de commerce.
> Lire l’arrêt rendu par la cour d’appel d’Amiens le 26 octobre 2023
> Lire l’arrêt rendu par la cour d’appel de Grenoble le 30 novembre 2023
