Nous ne sommes plus en 2020. Nul franchisé ne doit pouvoir croire (ou feindre de croire) que le «quoi qu’il en coûte» serait toujours d’actualité. Et les franchiseurs doivent être d’autant moins enclins à devenir les banquiers de leurs franchisés, qu’il s’agit de droit de la concurrence envers les enseignes tierces et d’éventuel soutien abusif au regard du Code monétaire et financier. Générosité ? Attention, danger !
Par Me Rémi de Balmann, avocat au Barreau de Paris (D, M & D), membre du Collège des experts de la Fédération française de la franchise
Dans un récent numéro de «La Correspondance de l’Enseigne» et avec la clairvoyance qu’on lui connaît, notre ami Alain Boutigny lançait un cri d’alarme en soulignant que : «Si quelques franchisés décident de ne plus payer leurs royalties, c’est la chaîne entière de l’enseigne qui se rompt, et avec elle celle de toute la franchise» (1).
Et de poser la question «existentielle» pour les franchiseurs : «Les franchisés sortent des rails et le franchiseur, hébété, ne sait plus s’il doit ou non appliquer la clause résolutoire : les virer ou les garder. Les virer, ce qu’il devrait faire au moins pour l’exemple, c’est fabriquer des soldats perdus et prendre le risque de détricoter le filet un nœud après l’autre. Garder ces invalides, mal pris par la tempête, tient du soutien abusif. C’est aussi entériner un comportement délictueux propre à faire tache d’huile, mettre en péril le contrat et l’édifice entier et ne plus encaisser de quoi faire tourner la machine. Impossible ! II n’y a que des mauvais choix. (…)».
Cruel dilemme en effet ! Mais quitte à devoir faire un «mauvais choix», qu’il soit celui de la fermeté et du retour au respect des fondamentaux. Car il n’appartient nullement aux franchiseurs de se substituer aux pouvoirs publics pour prolonger une politique de soutien qui leur serait mortifère. L’heure n’est plus au «quoiqu’il en coûte» qui s’imposait en temps de pandémie mais qui n’est plus d’actualité lorsqu’il s’agit de lutter contre les déficits. Qui peut imaginer que les franchiseurs devraient «jouer» le rôle de banquier au profit de franchisés qui en viendraient à considérer que le paiement des redevances ne serait plus une priorité ?
Souvenons-nous que dans son fameux ouvrage sur les contrats de franchisage, le Pr. Philippe Le Tourneau rangeait l’obligation de «payer» parmi les quatre obligations essentielles des franchisés (avec l’obligation de «se former», l’obligation d’«investir» et l’obligation d’«exploiter»). Et l’éminent professeur de souligner que le franchisé doit acquitter une redevance initiale forfaitaire (Rif), «contrepartie de prestations de services (fournies par le franchiseur) avant l’ouverture de l’établissement et de la communication du savoir-faire».
Curieux slogan à cet égard que celui des têtes de réseaux (heureusement ultra minoritaires) se vantant de n’exiger de leurs membres : «ni droit d’entrée, ni redevances» ! A l’évidence, pas de franchise sans redevance initiale, «tout contrat de franchisage ne prévoyant pas le versement d’une redevance initiale forfaitaire (n’étant) pas a priori un véritable contrat de cette nature mais une concession (…) (ou un franchisage médiocre, dont le concept est illusoire» (2). Et une fois la redevance initiale forfaitaire réglée, il est du devoir du franchisé d’acquitter ponctuellement les redevances d’enseigne et de communication, sans imaginer que l’obligation d’assistance du franchiseur lui permettrait d’y échapper.
Un ouvrage aussi sérieux que le «Lamy Droit Economique» a avancé l’idée que «l’intérêt commun qui préside à l’exécution du contrat de franchise implique de la part du franchiseur une attitude active destinée à favoriser le redressement de l’entreprise franchisée» («Lamy Droit Economique» 2020, «Les contrats de franchise,» p. 1686). Et de souligner que «la cour d’appel de Paris a estimé en 2014 qu’un franchiseur engageait sa responsabilité «en refusant d’aider son cocontractant à sortir de l’impasse économique» (C.A. Paris, 19 mars 2014, n° 12/12046)» (3). C’est oublier de préciser que la cour n’a aucunement posé dans cet arrêt du 19 mars 2014 un principe général de devoir d’assistance des franchiseurs, mais a jugé que «le franchiseur doit intervenir quand le franchisé rencontre des difficultés liées à la mise de la franchise». Et le franchiseur a été sanctionné non pas pour n’avoir pas aidé le franchisé à «sortir de l’impasse économique» mais parce qu’il a «refusé obstinément d’aider son cocontractant à sortir de l’impasse économique qu’il a largement contribué à provoquer».
La précision est de taille puisque, notamment et dans cette espèce, le franchiseur n’avait pas hésité, «pour couvrir les redevances retenues par le franchisé, (…) à actionner la garantie à première demande du contrat d’approvisionnement qui ne visait que le paiement des produits et non le recouvrement des redevances» et «qu’aucune solution viable n’a été proposée au franchisé, un contrat d’affiliation assorti du paiement de redevances identiques ne constituant pas une telle solution».
Et dans un autre arrêt de la cour d’appel de Paris en date du 27 septembre 2017, c’est bel et bien à nouveau «la mauvaise foi caractérisée du franchiseur, qui refuserait obstinément d’aider son cocontractant à sortir de difficultés (qu’il) aurait lui-même contribué à créer (qui) est de nature à engager sa responsabilité». Etant bien précisé par ailleurs «qu’il ne relève pas du franchiseur, dans l’hypothèse où le franchisé rencontre des difficultés financières, de s’immiscer dans la gestion du franchisé et il ne saurait être mis à la charge du franchiseur l’obligation d’indemniser le franchisé de son manque à gagner, ou de redresser l’entreprise» (4). Halte dès lors à ce nouvel axiome qui semble se répandre et qui voudrait que les franchiseurs seraient tenus d’aider les franchisés en procédure de sauvegarde en s’abstenant de réclamer les redevances !… Certains franchisés déloyaux allant jusqu’à «faire de la trésorerie» «sur le dos» du franchiseur en prévision de «coups durs»…
Ainsi qu’il en a été jugé, «un franchiseur n’a pas vocation à supporter les risques financiers inhérents à l’activité du fonds de commerce du franchisé» (5). Et la Cour de cassation a approuvé une cour d’appel qui avait notamment jugé que «le franchisé est un entrepreneur indépendant qui assume et porte la responsabilité de ses résultats d’exploitation, financiers, et commerciaux, l’obligation du franchiseur ne s’étendant pas à la prise en charge des pertes du franchisé (…)» (6). Les franchiseurs doivent en outre avoir à l’esprit que – dans une période de tensions économiques – il est de leur devoir de respecter les règles d’une concurrence loyale. «Fermer les yeux» sur des retards de règlements récurrents des franchisés pourrait exposer un franchiseur à l’action de concurrents qui y verraient une pratique déloyale quand eux feraient le choix de la fermeté à l’égard du réseau.
On attend à cet égard ce qu’il résultera de l’action – toujours en cours – opposant deux célèbres enseignes de pizzas, l’une reprochant à l’autre d’avoir abusivement soutenu ses franchisés en leur accordant des facilités de paiements et des prêts. Rappelons que, dans cette affaire et par arrêt en date du 15 janvier 2020, la chambre commerciale de la Cour de cassation a annulé l’arrêt de la cour d’appel de Paris à qui reproche a été fait de s’être déterminée «sans rechercher, comme il lui était demandé, si les facilités en cause ne revêtaient pas la qualification de prêts prohibés par l’article L. 511-5 du Code monétaire et financier, sans pouvoir entrer dans la dérogation prévue par l’article L. 511-7, I, 3°, du même code, et par conséquent, sans se prononcer sur le caractère fautif des pratiques suivies par la société (franchiseur) en matière de prêts accordés à ses franchisés» (7).
Grief a par ailleurs été fait à la cour d’appel de Paris de n’avoir «pas recherché, comme elle y était invitée, si l’octroi de délais de paiement illicites et de prêts, en méconnaissance du monopole bancaire, n’avait pas pour effet d’avantager déloyalement les franchisés de la société Dpf, au détriment des franchisés de la société Srp, et ainsi de porter atteinte à la rentabilité et à l’attractivité du réseau concurrent exploité par la société Srp (…)».
Or et sans préjuger de l’issue de ce litige, il faut savoir que la cour d’appel de renvoi a désigné expert aux fins «d’une manière générale (de) fournir tous éléments utiles permettant (…) d’apprécier l’existence d’une violation de la réglementation relative aux délais de paiement par les sociétés Dpf et French Pizza» et de «fournir à la cour tous éléments utiles lui permettant de se prononcer, le cas échéant, sur les divers chefs de préjudices invoqués par la société Abc Food du fait de la concurrence déloyale alléguée exercée par les sociétés Dpf et French Pizza en raison de la violation alléguée de la règlementation relative aux délais de paiement (…)» (8).
Une affaire loin d’être terminée mais qui – quelle qu’en soit l’issue – doit rendre les franchiseurs plus que jamais soucieux de veiller au strict respect des délais de paiements des franchisés.
Notes
1. La Correspondance de l’Enseigne, N° 1689, page 8
2. Philippe Le Tourneau, «Les contrats de franchisage», éd. Litec, 2007, p. 269
3. Lamy Droit Economique 2020, «Les contrats de franchise», page 1686
4. C.A. Paris, 27 sept. 2017, n° 15/03296
5. C.A. Toulouse, 14 oct. 2015, n° 13-00325
6. Cass. com, 7 janv. 2014, pourvoi n° 12-17154
7. Cass. com, 15 janv. 2020, pourvoi n° 17-27778
8. C.A. Paris, 23 nov. 2022, n° 22/08306
