L’analyse de l’existence d’un déséquilibre significatif au sein d’un contrat de franchise et d’un contrat de location-gérance est effectuée de manière précise par les magistrats, qui valident les contraintes imposées au franchisé lorsqu’elles sont nécessaires à l’uniformité et l’identité du réseau, et à la protection du savoir-faire. L’usage de ce fondement à tort expose le franchisé au paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive, comme le fait la cour d’appel de Paris à l’égard du liquidateur d’un ex-La Mie Câline.
Par Me Cécile Peskine, avocate à la Cour et associée (Link&A)
Depuis son introduction dans le Code de commerce en 2008, le déséquilibre significatif est un fondement juridique couramment brandi dans le cadre des litiges franchiseurs/franchisés. La menace n’est toutefois pas systématiquement accueillie par les juridictions, loin s’en faut. L’article L. 442-1, I, 2° du Code de commerce sanctionne ainsi le fait, pour une partie, de soumettre ou tenter de soumettre son cocontractant «à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties».
A titre d’exemple : les juridictions françaises ont pu considérer qu’étaient significativement déséquilibrées les clauses restreignant l’approvisionnement du franchisé auprès de fournisseurs non référencés et lui imposant la détention d’un stock minimum ne trouvant pas leur justification dans la nécessité de préserver l’homogénéité du réseau ou la transmission du savoir-faire. Le franchiseur imposait en l’occurrence un approvisionnement en produits non spécifiques, à des conditions tarifaires non avantageuses (1). De la même manière, la clause imposant au franchisé une ouverture 7 jours sur 7 pour un minimum de 98 h par semaine, dès lors qu’elle était non négociable et ne tenait pas compte de la localisation du point de vente (2).
Ces deux illustrations s’inscrivent dans des contextes d’ensembles contractuels particulièrement déséquilibrés. Il ne saurait pour autant en être déduit une tendance des juridictions à considérer comme systématiquement significativement déséquilibrées les clauses imprégnant les contrats de franchise. Nombreuses sont les décisions refusant d’accueillir cette qualification.
L’arrêt rendu le 6 décembre 2023 par la cour d’appel de Paris en constitue une illustration particulièrement efficace. En l’espèce, un franchisé locataire-gérance avait cru bon soutenir qu’une litanie de dispositions contractuelles devaient être regardées comme significativement déséquilibrées.
La démarche convaincu n’a la toutefois cour pas d’appel de Paris, qui valide l’ensemble des clauses incriminées, parmi lesquelles :
1. les clauses d’approvisionnement exclusif et de non-concurrence, dont les magistrats relèvent qu’elles assurent l’uniformité et l’identité du réseau et visent à protéger le savoir-faire transmis au franchisé ;
2. la transmission des données comptables au franchiseur – propriétaire du fonds de commerce, laquelle est nécessaire notamment pour permettre au franchiseur de prodiguer l’assistance qui lui incombe et calculer les redevances dues par le franchisé ;
3. la clause imposant au franchisé d’utiliser le logiciel de gestion désigné par le franchiseur, elle aussi nécessaire pour permettre une assistance efficace au franchisé ;
4. la clause attributive de compétence au profit de la juridiction du ressort du siège social du franchiseur.
La cour d’appel effectue ainsi une analyse juste et précise de la situation, veillant à étudier la pertinence de chaque clause mise à la charge du franchisé. Loin de se limiter au rejet des demandes du franchisé, l’arrêt condamne le liquidateur judiciaire de la société franchisée au paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive : pendant toute la durée de la procédure, le locataire-gérant avait conservé le fonds de commerce, empêchant son propriétaire d’en reprendre possession.
De quoi mettre en garde les tentatives de faire de la notion de déséquilibre significatif l’arme fatale des franchisés.
Notes
1. CA Paris, pôle 5 – ch. 4, 5 janv. 2022, n° 20/00737
2. Tribunal de commerce de Paris, 13 octobre 2020, RG 2017005123
> Lire l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris le 6 décembre 2023
