L’interdépendance contractuelle doit inspirer méfiance et vigilance. Bien conçue et anticipée, elle est un outil formidable pour réaliser des opérations d’envergure impliquant plusieurs contrats : bail, franchise, crédit-bail, financement, locaux contigus, vente d’immeuble et promesse de bail… L’exploitation des groupes de contrats n’est pas une promenade de santé, une clause d’autonomie entre eux n’étant elle-même pas une garantie de succès. Les conséquences de l’un sur l’autre pouvant être des moins certaines, comme par exemple, la délivrance d’un congé régulier sur le contrat de franchise auquel le bail était lié, surtout si le congé est donné par le preneur…
Par Sarah Bros, professeur à l’Université Paris Dauphine-Psl
Les opérations impliquant deux contrats ou plus, dont au moins un bail commercial, sont fréquentes mais source de contentieux. L’origine du contentieux est double. Elle tient, d’une part, à l’identification des cas où les contrats sont liés. Elle concerne, d’autre part, les effets de la disparition d’un contrat sur celui auquel il est lié.
Les situations rencontrées en pratique sont extrêmement variées. Parfois, deux baux se trouvent liés en raison de la configuration des lieux : le bail d’un local commercial implique celui du local contigu. D’autres fois, la connexité entre les contrats est recherchée en vue de réaliser une opération plus large, par exemple le financement d’un projet immobilier ou la mise en place d’un réseau de distribution. Ainsi, des groupes de contrats peuvent associer un contrat de vente d’immeuble à construire et une promesse de bail commercial, un contrat de crédit-bail immobilier et un bail commercial, ce dernier étant consenti par le crédit-preneur qui en cède les loyers au crédit-bailleur. Peuvent également se trouver liés le bail conclu par un commerçant et le contrat de franchise fondant l’activité qu’il exerce dans le local commercial.
Quelle que soit l’opération recherchée, il est par principe permis de lier des contrats entre eux de manière interdépendante pour faire en sorte que l’existence de l’un soit conditionnée par celle de l’autre. Il est parfois question d’indivisibilité ou de connexité, la situation est la même. La liberté contractuelle autorise toute sorte de montages destinés à coordonner juridiquement des contrats. La principale difficulté pèse alors sur le juriste qui doit rédiger les clauses organisant l’interdépendance des contrats. Si l’intérêt de la coexistence des contrats apparaît évidente tant que chaque contrat est exécuté de manière conforme, les effets de cette coexistence sont rarement anticipés lorsque survient une difficulté, qu’elle soit liée à un défaut affectant la formation de l’un des contrats ou son exécution.
Il arrive aussi que l’interdépendance des contrats ne soit pas voulue par les contractants qui entendent au contraire préserver l’autonomie respective des contrats réalisant l’opération. Comment sécuriser l’interdépendance ou l’autonomie des contrats participant à la même opération ?
Dans certains cas, le choix n’est pas permis. Pour le crédit-bail et la location financière, la jurisprudence décide que les contrats composant l’opération sont interdépendants, de sorte que la disparition de l’un entraîne la caducité de l’autre (pour le crédit-bail, Cass. ch. mixte 13 avril 2018 n° 16-21345 ; pour la location financière, Cass. ch. mixte 17 mai 2013, n° 11-22768).
Dans tous les autres cas, l’article 1186 du Code civil, applicable aux contrats conclus à compter du 10 octobre 2016, invite à dissocier deux situations. Lorsque l’exécution d’un contrat est impossible sans l’exécution d’un autre contrat, les contrats sont interdépendants. Si cette condition n’est pas remplie, l’interdépendance peut néanmoins résulter de ce que l’exécution d’un contrat est la condition déterminante du consentement d’un participant. Dans les deux hypothèses, il convient de vérifier la connaissance, par celui auquel l’interdépendance est opposée, de «l’existence de l’opération d’ensemble lorsqu’il a donné son consentement».
La preuve de ces éléments ou de leur absence n’est pas aisée. La preuve du lien entre les contrats résulte idéalement d’une clause stipulant leur interdépendance ou leur indivisibilité, ou faisant d’un contrat une condition d’un autre contrat. En l’absence de clause, les juridictions ont pu la déduire d’éléments tels que la date de conclusion des contrats, ou leur durée lorsqu’elle était identique (par exemple, Cass. civ. 3e , 8 juin 2017, n° 16-17494) ; la référence d’un des contrats à l’autre ; l’identité de contractants, etc. Aucun élément n’est déterminant, ni dirimant, sauf une clause explicite.
La stipulation d’une clause d’autonomie entre les contrats ne produit pas non plus nécessairement son effet (par exemple, Cass. com. 10 janvier 2024, n° 22-20466), la jurisprudence vérifiant la cohérence et l’équilibre de l’opération.
Des incertitudes similaires se retrouvent en cas de difficulté d’exécution. S’il est admis de manière uniforme, en vertu de l’article 1186 du Code civil depuis la réforme du droit des contrats opérée en 2016, que la disparition de l’un des contrats entraîne la caducité de l’autre, et que cela exclut l’application des clauses prévues en cas de résolution ou de résiliation (Cass. ch. mixte 13 avril 2018, n° 16-21345), en revanche, les conséquences de la survenance d’un autre événement sont beaucoup moins certaines. Par exemple, l’effet de la délivrance d’un congé régulier sur le contrat de franchise auquel le bail était lié n’est pas clairement établi, surtout si le congé est donné par le preneur ; les conséquences de la résiliation d’un contrat, quel qu’il soit, sur le bail commercial auquel il était uni est encore moins prévisible, dès lors que les délais pour donner congé ne sont pas respectés.
L’interdépendance contractuelle doit inspirer méfiance et vigilance mais, bien conçue et anticipée, elle est un outil formidable pour réaliser des opérations d’envergure impliquant plusieurs contrats.
