C’est peut-être en contradiction avec l’esprit de la franchise ; mais aucun texte n’oblige un franchiseur à tester son concept dans une unité pilote. Reste que l’écran formé par la société exploitante, filiale de la maison mère (fût-elle espagnole), n’est ici d’aucun effet : la tête première du réseau demeure responsable. On regrettera pour la forme que, dans cette affaire de La Tagliatella, l’exemple soit escamoté par l’expérience manifeste du franchisé dans la restauration, qui dédouane d’une certaine manière l’enseigne de l’échec de son partenaire.
Par Me Sophie Bienenstock, avocate au Barreau de Paris (Bsm Avocats) et maître de conférences à l’Université Paris 1
L’arrêt rendu le 11 avril 2023 par la cour d’appel d’Angers est passé inaperçu. Il mérite pourtant que l’on s’y arrête pour faire le point sur les obligations respectives des parties à un contrat de franchise. Comme souvent, le franchisé insatisfait de l’exploitation soulevait l’absence de savoir-faire « lui procurant un avantage concurrentiel » ainsi que le manquement du franchiseur à son obligation d’information précontractuelle.
Le cas présentait toutefois une spécificité : le franchisé était le premier exploitant en France de l’enseigne La Tagliatella, mais le concept de restauration italienne avait été largement éprouvé en Espagne, où une centaine de restaurants étaient en activité lors de la signature du contrat. C’est ainsi la question de la validité en France d’un concept éprouvé à l’étranger, dans un contexte socio-économique différent, qui était posée.
1. La responsabilité de la société mère, tiers au contrat de franchise
La première question soulevée dans l’arrêt du 11 avril dernier, consistait à déterminer si la société mère détenant la société franchiseur pouvait voir sa responsabilité délictuelle engagée envers les franchisés, qui estimaient avoir subi un préjudice suite à la mauvaise gestion du réseau par le franchiseur contrôlé par une holding. Cette question en apparence très théorique est en réalité cruciale puisque c’est bien souvent la société mère qui est solvable.
La cour estime que l’action dirigée contre la société mère est recevable, en se livrant à une analyse extrêmement précise des faits. Elle retient notamment que «la personne chargée de la définition des stratégies de développement des marchés français et allemand était employée par la société » (holding).
Elle souligne en outre les liens capitalistiques entre la société franchiseur et la société mère. Et en déduit que la holding, dont l’implication dans la gestion du réseau est démontrée, peut voir sa responsabilité délictuelle engagée envers les franchisés. La cour rappelle au passage qu’il ne peut s’agir que d’une responsabilité délictuelle (bien que la faute ait trait à la gestion du réseau), la holding étant par hypothèse tiers au contrat de franchise.
Ainsi l’écran de la personnalité morale ne joue pas systématiquement : il convient de déterminer, au cas par cas, le degré d’implication de la société mère dans la gestion du réseau du franchise.
2. Les obligations des parties avant la signature du contrat
L’arrêt du 11 avril est également l’occasion de revenir sur les obligations des parties au stade précontractuel. Le franchisé reprochait en premier lieu au franchiseur de ne pas lui avoir transmis un savoir-faire viable dans le contexte français. La cour indique à cet égard «qu’aucun texte n’exige du franchiseur qu’il ait exploité son savoir-faire dans une unité pilote avant la conclusion des contrats de franchise. »
On ne peut que déplorer cet argument, qui est en contradiction avec l’esprit de la franchise. Le savoir-faire doit être éprouvé, ce qui implique nécessairement l’existence d’un point pilote !
En revanche, il est vrai que le concept en l’espèce avait été largement testé en Espagne puisque le réseau comptait plus de 100 points de vente. Les juges auraient donc pu statuer différemment, en soulignant que le franchiseur n’est pas tenu de tester dans le contexte national un concept qui a déjà fait ses preuves à l’étranger, dès lors que le franchisé est parfaitement informé qu’il sera le premier dans l’hexagone.
Ce n’est pourtant pas la motivation retenue. En considérant de façon générale que le franchiseur n’a pas l’obligation d’exploiter une unité pilote, les juges angevins s’inscrivent dans la lignée d’une tendance regrettable, qui consiste à décharger progressivement le franchiseur de toutes ses obligations.
Par ailleurs, la cour d’appel, se livrant toujours à une analyse très casuistique, souligne à plusieurs reprises que les devoirs respectifs des parties au stade précontractuel dépendent de l’expérience du franchisé.
S’agissant de l’absence de savoir-faire éprouvé sur le territoire français, elle note que le franchisé disposait «personnellement d’une bonne connaissance du marché local pour avoir implanté son affaire précédente de restauration dans la même zone commerciale que celle choisie pour y ouvrir son futur restaurant exploité en franchise». De même, concernant les comptes prévisionnels, la cour a estimé que «la longue expérience professionnelle acquise par l’exploitant dans le monde des affaires et plus particulièrement dans le domaine de la restauration».
Ainsi le franchisé expérimenté doit être particulièrement vigilant ! On comprend évidemment la logique qui anime les juges, et qui semble de prime abord emprunte de bon sens. Pourquoi un franchisé aguerri et expérimenté bénéficierait de la même protection qu’un commerçant néophyte ?
La réponse est pourtant simple : même un franchisé expérimenté est dans une situation structurellement asymétrique avec la tête de réseau. Cette dernière dispose par hypothèse d’avantage d’informations notamment sur le réseau, le marché, l’état de la concurrence etc.
C’est précisément cette asymétrie structurelle qui justifie l’obligation légale d’information précontractuelle, et ce quel que soit le profil du franchisé.
> Lire l’arrêt rendu par la cour d’appel d’Angers le 11 avril 2023
