Le droit de repentir du bailleur est régi par l’article L. 145-58 du Code de commerce. Il s’agit d’une arme redoutable permettant au propriétaire de se soustraire au paiement de l’indemnité d’éviction, moyennant le respect de certaines conditions. Reste que ce joker doit être utilisé dans un délai précis. Un preneur qui s’apprêtait à quitter les lieux moyennant une contrepartie financière l’a d’ailleurs appris à ses dépens dans une affaire tranchée par la Cour de cassation en début d’année (Cass. Civ. 3e, 9 mars 2023, n° 21-16.064).
Par Me Jean-Marc Noyer, avocat au Barreau de Paris (Cabinet Noyer)
La fixation d’une indemnité d’éviction commerciale est un véritable parcours du combattant tant pour le bailleur que pour le locataire. Il arrive pourtant, même après plusieurs années de procédure, qu’un propriétaire change son fusil d’épaule et abandonne son projet d’éviction. Le statut des baux commerciaux lui octroie cette possibilité : il s’agit du « droit de repentir ».
Après avoir brièvement présenté ce mécanisme, nous nous intéresserons au délai dans lequel celui-ci peut être employé. En effet, si le propriétaire dispose d’une ultime cartouche, encore faut-il que celle-ci soit utilisée en temps et en heure. Dans le cas d’espèce, le locataire estimait, à tort, que son bailleur était hors délai.
Explications…
Le repentir ou le droit de faire machine arrière
Ce mécanisme consiste pour le bailleur à abandonner le refus de renouvellement du bail préalablement notifié à son locataire. Cette renonciation revient ainsi à accorder un nouveau bail au preneur.
On devine aisément qu’un propriétaire aura tout intérêt à se repentir lorsque l’indemnité d’éviction (estimée par un expert ou fixée judiciairement) atteint une somme qu’il estime trop élevée. L’article L. 145-58 précité n’impose d’ailleurs pas au bailleur de justifier d’un quelconque motif pour exercer ce droit, ce qui le rend particulièrement accessible.
Cette porte de sortie a néanmoins un coût : le propriétaire doit prendre en charge tous les «frais de l’instance» engagés par le locataire pendant la procédure d’éviction (il s’agit, sans que cette liste ne soit limitative, des honoraires d’avocat ou encore des frais d’expertise).
Surtout, la rigueur est de mise puisqu’il s’agit d’une arme à un seul coup : le repentir est irrévocable.
L’inefficacité du repentir en cas de fixation définitive de l’indemnité d’éviction
L’article L. 145-58 du Code de commerce précise que « le propriétaire peut, jusqu’à l’expiration d’un délai de quinze jours à compter de la date à laquelle la décision est passée en force de chose jugée, se soustraire au paiement de l’indemnité ». Dans l’arrêt de la Cour de cassation commenté, le locataire arguait que son bailleur était dans l’impossibilité de se repentir au motif que 15 jours s’étaient écoulés depuis la décision « reconnaissant le droit du locataire de prétendre au versement d’une indemnité d’éviction ».
Or, l’article L. 145-58 du Code de commerce ne précise pas de quelle « décision » il s’agit. Est-ce l’ordonnance désignant l’expert pour estimer l’indemnité à laquelle peut prétendre le locataire ? Le jugement en ouverture de rapport fixant le montant de cette dernière ?
Le locataire, dans le cas d’espèce, soulevait, à tort, que le délai était expiré 15 jours après le jugement rendu le 14 décembre 2010, confirmé par un arrêt d’appel du 17 octobre 2012, dans lequel l’ancien tribunal de grande instance de Paris avait constaté la rétractation, par les bailleurs, de leur offre de renouvellement formulé 24 février 2010 mais ouvert au preneur le droit au paiement d’une indemnité d’éviction.
Pourtant, à cette date, le bailleur n’avait aucune visibilité sur le montant de l’indemnité d’éviction qui, rappelons-le, est évolutif puisque le préjudice doit s’apprécier au plus proche de l’éviction.
Force est d’ailleurs de constater que le propriétaire a utilisé ce joker peu après le dépôt du rapport d’expertise judiciaire, sans doute car l’indemnité estimée lui paraissait excessive. En tout état de cause, fixer le point de départ du délai du repentir à compter du jugement reconnaissant uniquement le « droit » du locataire à pouvoir prétendre à une indemnité contreviendrait à l’esprit du législateur.
La cour d’appel saisie du litige (CA Paris 20 mai 2020, n° 18/16917) s’est d’ailleurs prononcée sans détours sur la régularité de l’exercice du repentir du propriétaire : la notification pouvait valablement intervenir puisque l’indemnité n’avait même pas encore été fixée par une décision de justice passée en force de chose jugée. Confirmant en quelque sorte, la Haute juridiction a estimé qu’il n’y avait pas lieu de statuer, car le pourvoi n’était manifestement pas de nature à entraîner la cassation. Par conséquent, la «décision» visée par l’article L. 145-58 du Code de commerce n’est pas celle reconnaissant au locataire le droit de réclamer le paiement d’une telle indemnité et donc ne fait donc pas courir le délai légal de 15 jours.
C’est d’ailleurs l’occasion de rappeler que « force de chose jugée » signifie que la décision n’est plus susceptible de recours. Le délai pendant lequel ce droit de « faire machine arrière » part donc de la date d’effet du congé avec refus de renouvellement (date à partir de laquelle le preneur perd sa qualité de locataire et bénéficie d’un droit au maintien dans les lieux jusqu’à obtenir paiement de l’indemnité) et court jusqu’à l’expiration des 15 jours suivant la fixation définitive du montant de ladite indemnité.
La période pendant laquelle il peut être activé est donc confortable. Mais pas éternelle !
Bailleurs, rien ne sert donc de courir : il faut savoir se repentir à point !
> Lire l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 9 mars 2023
