Si la citation d’Honoré de Balzac «un mauvais arrangement vaut mieux qu’un bon procès» est particulièrement d’actualité en raison de l’allongement des délais procéduraux, encore faut-il vérifier de quel type d’arrangement il s’agit. En effet, selon la nature de l’accord intervenu, les conséquences peuvent être drastiquement différentes. Pour les raisons ci-après exposées, il est vivement conseillé aux bailleurs de ne pas faire homologuer judiciairement l’accord éventuellement intervenu avec le locataire en matière d’expulsion. C’est l’enseignement tiré d’un arrêt rendu récemment par la cour d’appel de Paris. Décryptage.
Par Me Jean-Marc Noyer, avocat au Barreau de Paris (Cabinet Noyer)
Il s’agit d’une affaire on ne peut plus classique dans laquelle la bailleresse a assigné sa locataire aux fi ns de voir constater l’acquisition de la clause résolutoire et obtenir l’expulsion en raison d’impayés persistants. Un accord a ensuite été trouvé entre les parties au cours de la procédure. C’est dans ces circonstances qu’une ordonnance de référé (TJ Paris, référé 2 juin 2022, n° 22/51752) a été rendue.
Plus précisément, le président du tribunal a «constaté» que les parties s’accordent pour :
– fixer le montant de la dette locative à la somme de 6.785,64 € ;
– acter que la locataire s’acquittera de sa dette en plusieurs mensualités en sus du paiement du loyer et des charges courantes ;
– dire que les effets de la clause résolutoire ne joueront pas si la locataire se libère de sa dette selon les modalités ci-dessus définies ;
– dire qu’en cas de défaut de paiement à son échéance d’une mensualité, la preneuse sera condamnée à payer immédiatement l’intégralité de sa dette et pourra être expulsée des lieux loués.
Or, l’échéancier n’a pas été respecté par la preneuse, activant ainsi la clause de déchéance du terme prévue (mécanisme permettant, en principe, l’acquisition de la clause résolutoire et donc l’expulsion sans revenir devant le juge si le locataire ne règle pas une mensualité). Suivant procès-verbal établi le 10 janvier 2023, la bailleresse a récupéré les locaux.
C’est l’occasion de rappeler que le concours de la force publique est bien plus aisé à obtenir en matière commerciale qu’en matière d’habitation puisqu’il n’existe pas de trêve hivernale. D’humeur belliqueuse, l’ancienne locataire a saisi le juge de l’exécution aux fi ns d’obtenir, entre autres, la nullité du procès-verbal d’expulsion ainsi que sa réintégration au sein des locaux. Si elle a été déboutée de ses demandes, la solution aurait pu être différente si l’accord des parties avait été homologué et non pas constaté (TJ Paris, 23 février 2023, n° 23/80100).
Sur le caractère limitatif de l’article L. 411-1 du Cpce
L’article L. 411-1 du Code des procédures civiles d’exécution dispose que «sauf disposition spéciale, l’expulsion d’un immeuble ou d’un lieu habité ne peut être poursuivie qu’en vertu d’une décision de justice ou d’un procès-verbal de conciliation exécutoire et après signification d’un commandement d’avoir à libérer les locaux». Cette liste est ainsi limitative « sauf disposition spéciale ». Par exemple, en matière de saisie-immobilière, le jugement d’adjudication constitue un titre d’expulsion à l’encontre du saisi.
Dans le cas d’espèce, se posait donc la question de savoir si l’accord «constaté» par le juge des référés pouvait justifier l’expulsion de l’ancienne locataire. Le juge de l’exécution rappelle dans un premier temps que « l’expulsion ne peut pas être poursuivie en vertu d’une transaction rendue exécutoire par ordonnance du président du tribunal de grande instance, ce titre ne constituant aucun des deux titres exécutoires limitativement énumérés par l’article 61 de la loi du 9 juillet 1991 – devenu l’article L. 411-1 du Code des procédures civiles d’exécution ».
Il ajoute ensuite qu’une ordonnance de référé ne peut être assimilée « à une ordonnance d’homologation d’un accord transactionnel rendue sur requête sur le fondement de laquelle une mesure d’expulsion ne peut être poursuivie » et qu’une telle décision « constitue purement et simplement une décision de justice sur le fondement de laquelle une mesure d’expulsion peut être poursuivie ».
Le magistrat insiste ainsi sur la différence entre l’homologation et l’ordonnance constatant un accord, le premier ayant été négocié exclusivement entre les parties, tandis que le second est rédigé directement par le juge.
La cour d’appel de Paris a confirmé le jugement en soulignant que l’ordonnance de référé rendue ne pouvait être assimilée à une transaction au sens de l’article L. 111-37° du Code des procédures civiles d’exécution (CA Paris, 5 octobre 2023, n° 23/06130).
Sur la nécessaire intervention du juge ?
Tant la transaction que les actes établis suite à une médiation, une conciliation ou encore une procédure participative, sont des titres exécutoires à l’instar des décisions rendues par les juridictions de l’ordre judiciaire. Or, à moins de modifier l’article L. 411-1 du Code des procédures civiles d’exécution, le locataire bien avisé aura tout intérêt à solliciter l’homologation d’un protocole d’accord transactionnel puisque le bailleur n’aura d’autre choix que de saisir de nouveau le tribunal pour obtenir l’expulsion en cas de non-respect de l’échéancier accordé.
La sanction pourtant prévue est ainsi dépourvue d’efficacité et ce au détriment du bailleur. Sans doute l’intervention du juge est-elle le critère déterminant expliquant cette solution. En atteste la rédaction de l’article L. 111-3 du Code des procédures civiles d’exécution : «3° Les extraits de procès-verbaux de conciliation signés par le juge et les parties» (…) 7° Les transactions et les actes constatant un accord issu d’une médiation, d’une conciliation ou d’une procédure participative, lorsqu’ils sont contresignés par les avocats de chacune des parties et revêtus de la formule exécutoire par le greffe de la juridiction compétente».
Cela signifie-t-il que les transactions mais aussi les accords trouvés grâce à d’autres modes alternatifs de règlement de litige (conciliation, médiation, convention participative) sont inefficaces en matière d’expulsion ?
Tout porte à le croire…
Sauf procès-verbal de conciliation signé par le juge ou décision rendue par le tribunal, l’expulsion ne pourra avoir lieu. Morale de l’histoire, le mieux est l’ennemi du bien : bailleurs, inutile de rédiger un protocole aux fi ns d’homologation en matière d’expulsion. Laissez le soin au magistrat de constater l’accord afin d’éviter toutes déconvenues.
> Lire l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris le 5 octobre 2023
