C’est un vieux rêve d’Homo commercialus que le transfert des droits d’autorisation d’exploitation commerciale – sans passage en Cdac. Le voici devenu réalité avec la loi Industrie verte. Mais le Buisson ardent pointe quelques épines. Le texte – adopté en un temps record – prévoit bien sûr quelques obligations : se trouver dans une grande opération d’urbanisme (Gou), déménager dans la même zone, à iso mètres carrés et ne pas artificialiser le sol, bien sûr… Elle suppose toutefois un «regroupement de commerces» sans dire mot d’une diminution éventuelle de surface et impose un déplacement en moins de trois ans… Mais en même temps une expérimentation plus simple de trois ans démarre pour tout projet situé dans une Zae. Tout espoir est permis.
Par Me Elsa Sacksick, avocate-associée, spécialiste en droit public (Adden Avocats)
La loi du 23 octobre 2023 relative à l’Industrie verte a pour objectif, comme une partie de son nom l’indique, l’accélération de la réindustrialisation de la France. Et pourtant des dispositions relatives à l’urbanisme commercial s’y cachent… Ce sont donc celles que nous commenterons ici. Le projet de loi a été présenté au Conseil des ministres le 16 mai 2023 par Bruno Le Maire, ministre de l’Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, par Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires et par Roland Lescure, ministre délégué chargé de l’Industrie. Le texte avait été adopté en première lecture, avec modifications, par le Sénat le 22 juin 2023, puis par l’Assemblée nationale le 21 juillet 2023. La procédure accélérée a été engagée par le gouvernement. Le 9 octobre 2023, la commission mixte paritaire trouvait un accord sur une version finale. Le 24 octobre, la loi était publiée sans saisine préalable du Conseil constitutionnel. On peut dire que cette loi a été adoptée dans un temps record. Alors que la loi Industrie verte vise à accélérer les procédures d’obtention des autorisations administratives des projets industriels, son article 22 prévoit un dispositif de transfert de droits d’exploitation commerciale d’un foncier à un autre sans passage en commission d’aménagement commercial. Bien entendu, ces transferts sont soumis à conditions. Mais, on peut, à titre liminaire, noter le caractère remarquable de cette disposition législative libérale. A quelles conditions sont soumis ces transferts sans autorisation ? La loi prévoit deux cas de figure distincts : l’un prévu dès le projet de loi et l’autre provenant d’un amendement sénatorial.
1. Le transfert sans autorisation dans une grande opération d’urbanisme (Gou).
Cinq conditions sont à remplir pour pouvoir bénéficier de cette exemption d’autorisation d’exploitation commerciale.
La première condition : une grande opération d’urbanisme.
La loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite loi Elan a introduit un nouvel outil de contractualisation de l’urbanisme remettant l’Etat au cœur d’un aménagement des territoires décentralisés : la grande opération d’urbanisme (Gou), laquelle doit obligatoirement s’inscrire dans le cadre d’un contrat de projet partenarial d’aménagement (Ppa) associant des partenaires publics et des partenaires privés. Ces Gou n’ont pas rencontré un franc succès contrairement à un autre dispositif contractuel issu du plan Action cœur de ville, opération de revitalisation des territoires (Ort). On peut penser que la perte par les maires de la compétence pour délivrer les permis de construire au profit des présidents des établissements publics de coopération intercommunale (communautés d’agglomération, communautés urbaines…) explique le… manque de goût pour les Gou ! La nouvelle loi règle ce problème. On aurait pu espérer une solution plus simple mais elle a tout de même le mérite de prévoir que le maire peut retrouver la compétence pour délivrer les autorisations d’urbanisme. Ainsi, le nouvel article L. 312-5-1 du Code de l’urbanisme prévoit que, par dérogation, la compétence pour délivrer le permis de construire, d’aménager ou de démolir et pour se prononcer sur un projet faisant l’objet d’une déclaration préalable peut être exercée par le maire dans le périmètre de la Gou. «Cette possibilité est ouverte par l’acte décidant de la qualification de grande opération d’urbanisme prévu à l’article L. 312-4 ou par tout acte ultérieur pris dans les mêmes formes». Grâce à ce tour de passe-passe, il est à parier que nous ne manquerons plus de… Gou à l’avenir ! La Gou est donc une opération d’aménagement prévue par un contrat de projet partenarial d’aménagement et dont la réalisation requiert un engagement conjoint spécifique de l’Etat et d’une collectivité territoriale ou d’un établissement public, en raison des dimensions ou des caractéristiques de cette opération. Une opération est qualifiée de Gou par délibération de l’organe délibérant de la collectivité territoriale ou de l’établissement public cocontractant du Ppa, après avis conforme des communes concernées et avec l’accord du préfet. La Gou est prévue pour une durée limitée, sur un périmètre précis et avec une densité minimale de constructions. Non seulement le projet de transfert de surfaces commerciales doit être situé dans le périmètre d’une Gou, c’est-à-dire que les commerces vacants et les futurs commerces doivent être installés dans ce périmètre, mais aussi le déplacement de ces commerces doit contribuer aux objectifs de la Gou.
La seconde condition : être dans une zone d’activité économique (Zae).
Sont considérées comme des zones d’activité économique, les zones d’activité industrielle, commerciale, tertiaire, artisanale, touristique, portuaire ou aéroportuaire (article L. 318-8-1 du Code de l’urbanisme). Depuis la loi Climat et résilience du 22 août 2021, un inventaire des Zae est en cours sur l’ensemble du territoire national.
La troisième condition : un objectif de mixité fonctionnelle.
En général, la Gou comporte déjà un objectif de mixité fonctionnelle. Ainsi, cette condition est, dans la plupart des cas, superfétatoire. En effet, au regard des nouveaux enjeux, les politiques d’aménagement du territoire doivent privilégier la mixité de fonction. Rappelons que l’article L. 101-2 du Code de l’urbanisme prescrit que l’action des collectivités publiques en matière d’urbanisme vise parmi les objectifs à atteindre «la diversité des fonctions urbaines et rurales et la mixité sociale dans l’habitat, en prévoyant des capacités de construction et de réhabilitation suffisantes pour la satisfaction, sans discrimination, des besoins présents et futurs de l’ensemble des modes d’habitat, d’activités économiques, touristiques, sportives, culturelles et d’intérêt général ainsi que d’équipements publics et d’équipement commercial, en tenant compte en particulier des objectifs de répartition géographiquement équilibrée entre emploi, habitat, commerces et services, d’amélioration des performances énergétiques, de développement des communications électroniques, de diminution des obligations de déplacements motorisés et de développement des transports alternatifs à l’usage individuel de l’automobile». Notons surtout au sujet de cette condition que l’implantation d’une industrie n’est pas obligatoire pour bénéficier de l’exemption, la loi ayant fait usage de l’adverbe «notamment».
La quatrième condition : transfert sans création de surfaces.
Il faut donc que l’exploitation soit régulière, c’est-à-dire qu’elle ait été autorisée par la commission d’aménagement commercial. La loi ne prévoit que le transfert par regroupement de surfaces de vente mais qu’en est-il si le transfert ne s’accompagne pas d’un regroupement, voire porte sur l’installation d’un magasin plus petit que celui transféré ? Cette exemption s’applique à compter de la publication de l’acte décidant de la qualification de Gou et pendant toute la durée de l’opération. Un point qui pourra rendre ce dispositif d’exemption finalement inutilisable : pour pouvoir transférer des droits, il faut qu’ils soient encore en cours de validité. Or, dans les ensembles commerciaux de plus de 2 500 m² de surfaces de vente, cela implique que la fermeture au public soit inférieure à 3 ans. Autrement dit, entre le dernier ticket de caisse sur l’emplacement initial et le premier ticket de caisse dans le nouveau magasin sur le nouveau lieu. Ainsi, tout dépend du phasage des travaux et de la vacance commerciale.
La cinquième condition : l’absence d’artificialisation des sols.
Le projet commercial ne doit pas engendrer une artificialisation des sols au sens du neuvième alinéa de l’article L. 101-2-1 du Code de l’urbanisme qui dispose que : «l’artificialisation est défi nie comme l’altération durable de tout ou partie des fonctions écologiques d’un sol, en particulier de ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques, ainsi que de son potentiel agronomique par son occupation ou son usage». Seule l’artificialisation nette est prise en compte puisque seule une augmentation de la superficie des terrains artificialisés par rapport à l’état de ces terrains à la date de la promulgation de la loi Climat peut conduire à considérer que le projet engendre une artificialisation. L’article R. 752 du Code de commerce issu du décret du 13 octobre 2022 précise effectivement «qu’est considéré comme engendrant une artificialisation des sols en matière d’aménagement commercial un projet d’équipement commercial dont la réalisation engendre, sur la ou les parcelles cadastrales sur lesquelles il prend place, une augmentation des superficies des terrains artificialisés au sens du neuvième alinéa de l’article L. 101-2-1 du Code de l’urbanisme, par rapport à l’état de ces mêmes parcelles à la date du 23 août 2021». Et, la notice de présentation du décret du 13 octobre lors de sa soumission à consultation publique précisait expressément que «l’état des parcelles à la date de promulgation de la loi sera déclaratif, les preuves quant à la situation du terrain pouvant être apportées, en cas de contestation par les services instructeurs ou par des tiers, par tout moyen». Ainsi, en cas d’artificialisation nette des sols, le projet de transfert sera soumis à autorisation d’exploitation commerciale quand bien même le projet serait situé en Zae sur une Gou.
2. Le transfert sans autorisation en Zae.
Un amendement sénatorial – d’abord supprimé en première lecture par l’Assemblée nationale avant d’être réintégré par la commission mixte paritaire – est venu ajouter un cas de transfert de droits d’autorisation d’exploitation commerciale avec des conditions beaucoup moins drastiques que celles que nous venons d’exposer, à titre expérimental et pour une durée de trois ans à compter de la promulgation de la présente loi, soit jusqu’en octobre 2026. Conditions moins drastiques tout simplement parce qu’il n’est pas nécessaire d’avoir contractualisé un Ppa et délimité un périmètre de Gou. En revanche, les quatre autres conditions développées supra sont reprises : – Opération dans une Zae, – Objectif de mixité fonctionnelle mais là uniquement pour une implantation industrielle, – Transfert de surfaces de vente autorisées sans création de surfaces complémentaires, – Absence d’artificialisation nette des sols. Notons toutefois que cette exemption est prévue exclusivement au profit d’une implantation industrielle. Autrement dit, des magasins peuvent être transférés d’un foncier à un autre dans une Zae, voire même d’une Zae à une autre, pour libérer un terrain, afin uniquement d’y installer une activité industrielle. Face aux difficultés que rencontrent les maîtres d’ouvrage de commerce pour obtenir une autorisation en Commission nationale d’aménagement commercial ces derniers temps, et au lancement d’un Plan national de restructuration des entrées de ville, ces nouveaux dispositifs sont très séduisants et méritent qu’on s’y intéresse.
