Si les normes du décret Tertiaire s’appliquent aux bâtiment neufs et constituent une clause suspensive à la signature des baux, alors la démonstration est faite qu’il s’agit d’une simple mise en conformité au regard de la règlementation : une obligation de délivrance, donc, qui ne peut en aucun cas entrer dans les aménagements… et dans la facturation qui va avec. La finalité du texte est du reste d’une toute autre ampleur. Elle est de cesser le gâchis énergétique, soulève l’auteur qui appelle les enseignes à la vigilance quant aux petits suppléments contenus dans ces green leases, qui pourraient leur tomber sur la tête !
Par Me Gilles Hittinger-Roux, avocat-associé (HB&Associés)
L’essentiel dans une loi, c’est son esprit, son idéologie. Au cas présent, il s’agit de cesser les gâchis énergétiques et maintenir notre planète bleue pour ceux qui nous survivront. Vouloir s’exonérer de ses obligations par une simple convention paraît impensable à l’égard des enjeux climatiques. Difficile de trouver dans notre vocabulaire juridique un tel comportement. La bienséance nous libérera de son appellation.
I. La loi et les lois
Dès la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement dite «loi Grenelle II», en son article L. 111-10-3 inséré dans le Code de la construction et de l’habitation, le ton était donné. Le domaine portait sur les travaux d’amélioration de la performance énergétique réalisés sur des bâtiments existants à usage tertiaire ou dans lesquels s’exerce une activité de service public dans un délai de huit ans, à compter du 1er janvier 2012.
Le calendrier était d’ores et déjà fixé et les lois qui suivirent se sont toutes inscrites dans la même philosophie. Bailleurs comme locataires ont mis en place une annexe environnementale, et ce en fonction de la superficie. De nombreuses conférences se sont tenues et nos amis australiens ou néozélandais nous présentaient déjà les «green leases», ces derniers étaient les précurseurs dans ce domaine.
Puis, la loi du 17 août 2015, relative à la transition énergétique, est venue modifier le précédent texte en définissant le niveau de performance à atteindre pour réduire la consommation énergétique. La loi Elan du 23 novembre 2018 a fixé les mécanismes «les actions de réduction de la consommation d’énergie finale». Ces dispositions étant toutes d’ordre public, les textes subséquents ne feront que perfectionner et préciser le domaine et les dates d’application.
Ainsi, il est possible de lister :
1) Le décret du 23 juillet 2019 relatif aux obligations d’action, de réduction de la consommation d’énergie finale dans les bâtiments à usage tertiaire.
2) L’ordonnance du 29 janvier 2020 codifiant le livre I du Code de la construction et de l’habitation (intégration de l’article L. 110-10-3 dans un nouvel article L. 174-1 dudit code).
3) La loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.
4) Le décret du 29 septembre 2021 modifiant les articles R. 174-27 et R. 174-28 du Code de la construction et de l’habitation.
Dans la mesure où la lecture de ces textes permet de constater que les obligations s’attachent aux bâtiments et immeubles proprement dits, il ne paraît pas possible de faire participer financièrement les preneurs à ces prescriptions. Ainsi, vouloir contractualiser ces textes d’ordre public dans un contrat privé paraît un non-sens.
Cette contractualisation semble pour le moins choquante puisqu’il faut considérer que la loi du 18 juin 2014, dite Pinel, a traité définitivement les dispositions qui s’attachent aux grosses réparations, à savoir l’article 606 du Code civil. Il faudrait faire preuve d’une audace hors du commun que de considérer que les travaux exigés par les enjeux climatiques devraient être des dépenses d’aménagement ou autre, permettant une refacturation au locataire.
La lecture des lois successives nécessite l’accompagnement du locataire auprès du bailleur, en termes de transmission des dépenses de consommation, ce qui a été prescrit dans le cadre de l’article R. 174-27 (CCH), à savoir sur la plateforme Operat.
Ainsi, le législateur a entendu encadrer très précisément par des lois ou des décrets, notamment l’article 13 de l’arrêté du 10 avril 2022, lequel permet au locataire de renseigner sur le plan d’action.
II. Une annexe en dehors du bail
Les bailleurs ont été mal habitués. Au cours des trente dernières années, ils ont tenté de faire supporter aux preneurs des dépenses qui naturellement étaient du ressort du propriétaire. C’était la fameuse déclaration d’un loyer «triple net». La loi Pinel est venue corriger ou réduire le champ d’action du bailleur, mais on a toujours du mal à changer les mauvaises habitudes.
Déjà, certaines foncières entendent contractualiser le partage des coûts qui relèvent de la loi Elan et les glissent subrepticement dans le bail. Cette situation est totalement inadmissible, d’autant que les travaux devant être réalisés sur ces bâtiments devraient être considérés comme des travaux de mise en conformité qui relèvent naturellement aux bailleurs et ce conformément à l’article 1719 du Code civil, à savoir l’obligation de délivrance.
Il est déjà constaté dans les charges locatives des frais afférents à des honoraires d’expertise sur ces travaux destinés aux économies d’énergie, ce qui ne peut être accepté.
En conséquence, si les preneurs ne sont pas vigilants, ils vont par une contractualisation de la loi Elan devoir s’acquitter d’une quote-part des coûts indispensables pour ces bâtiments. La loi Elan et tous les textes qui ont suivi n’évoquent jamais une contribution ou une répartition sur le financement de ces actions.
Dorénavant, aucun nouvel immeuble commercial ne pourra obtenir les autorisations nécessaires d’ouverture sans respecter les règles édictées par la loi Elan. L’exclusion sera de mise pour les immeubles qui ne se conforment pas à cette nouvelle législation.
Aucune enseigne ne s’implantera si ce dispositif n’est pas appliqué, il s’agira ni plus ni moins d’une condition suspensive. Aucune institution financière n’acceptera d’accompagner une opération qui ne satisferait pas à ces dispositifs.
La morale de chacun pourrait faire le reste.
