Complexe, coûteux, technique et encore plus juridique, le décret Tertiaire du 23 juillet 2019 qui s’est manifesté par les premières déclarations de consommation énergétique sur la plateforme Operat le 31 décembre 2022, ressemble à un champ de mines que doivent traverser main dans la main propriétaires et locataires. Ce Cahier Spécial dresse un premier état des lieux. Une ébauche de carte d’état-major pour parcours du combattant !
par Alain Boutigny
Sérieux : ce voyage est sans retour. Le processus mis en place par le décret Tertiaire ne paye pas de mine : c’est pourtant un champ de mines, complexe et bien plus juridique que technique.
L’aspect matériel n’est déjà pas rien. La date butoir pour les déclarations de consommation énergétique et d’année de référence était le 31 décembre. A ce jour, la plateforme Operat qui les enregistre doit se contenter de 15 % des surfaces en cause…
Cette histoire est une prise de tête et d’abord une affaire de droit. C’est la raison pour laquelle «L’Argus de l’Enseigne» dresse aujourd’hui cette sorte d’état des lieux dans un Cahier Spécial propre à matérialiser le sujet dans son ensemble. Non pas à vider le sujet, dont personne ne pourrait prétendre en dessiner précisément les contours. C’est en tout cas le point de départ d’un parcours qui ne fait que commencer.
Pardi : on ne connaît même pas la route ! On sait pourtant qu’elle sera jalonnée de normes Rse que l’on découvrira chemin faisant et que l’on ne prendra conscience qu’en 2032 des engagements pris en fin d’année dernière ! Et d’ailleurs, dans dix ans, le bailleur sera-t-il encore le même ; le preneur n’aura-t-il pas changé ? Questions embarrassantes qui invitent à bien des conjectures. Voilà pourquoi ces pages valent par leurs questions autant que par leurs réponses.
Car le gouvernement n’a pas voulu trancher… Il a livré une tambouille mal cuite. Le décret n’établit aucune hiérarchie ou répartition des responsabilités entre le propriétaire et le locataire, comme le veut le Code civil. Il les laisse se débrouiller avec leur bail et ses obligations réciproques. Les voilà, siamois malgré eux, tenus serrés dans une même contrainte – au demeurant soumise à de lourdes amendes et de tout aussi pesantes vexations – même si l’opprobre du name&shame touchera moins les petits que les grandes entreprises…
Ce «mariage forcé», comme l’appelle ici Me André Jacquin, est à l’évidence porteur de scènes de ménage. Marcher à l’unisson pour économiser l’énergie ? Certes ! Mais qui fera quoi, qui déclarera quoi et, surtout, qui paiera quoi ? Première anicroche ! Mais aussi, les transformations et installations nécessaires seront-elles qualifiées de modifications notables ou d’améliorations, emportant donc augmentations du loyer ? Seconde anicroche !
Alors qu’un immeuble neuf sera forcément aux normes ou ne sera pas, montrant bien qui doit payer les violons du bal ! Troisième anicroche !
Quels sont les danseurs, du reste, quand on sait que 15 m2 peuvent faire de vous un assujetti parce qu’ils se trouvent dans un immeuble dépassant la barre fatidique des 1 000 m2 soumis à déclaration où lui font passer ce seuil ? Il y a le feu au lac. Les grands bailleurs sont l’arme au pied ; mais les autres, et les enseignes ? L’urgence est à l’ordre du jour : à se préparer mentalement, techniquement et… financièrement. Constitution des équipes, audit des baux, choix des prestataires, négociation à l’avance de la prise en charge des travaux…
Qu’on se le dise : des travaux, il y en aura… J’entends déjà les marteaux !
