Le commerce répond à la justice, comme tous les citoyens. Mais le commerce répond d’abord au terrain. C’est l’analyse du tribunal judiciaire de Meaux dans un jugement rendu le 6 avril en matière de loyers Covid. «En focalisant son analyse sur la possibilité juridique d’exploiter les locaux, le bailleur omet de procéder à la démonstration de la faculté matérielle d’exploiter ceux-ci par le preneur. Ce faisant, il ne démontre pas s’être libéré entièrement de son obligation» (de délivrance). Les arrêts du 30 juin 2022 disaient qu’il faut payer. L’histoire rebrasse les cartes… Suivent les comptes, faisant droit à l’exception d’inexécution : défendu par Me Gilles Hittinger-Roux, le restaurateur-traiteur Noura, sommé par la Secovalde (Val d’Europe), «n’est pas redevable des loyers et charges provisionnelles (…) du 1er avril au 17 juin 2020 (…) et du 30 octobre au 1er juillet 2021». Si surprenant soit-il pour des juges, l’argument est simple et d’évidence. Reste à savoir si les éventuelles cours d’appel et de cassation se laisseront toucher par cette même foi du charbonnier… A. B.
Tribunal judiciaire de Meaux
1re chambre
Jugement du 6 avril 2023
Sarl Noura Val d’Europe c./Sci Société pour l’équipement commercial du Val d’Europe
Exposé du litige
Suivant acte sous seing privé du 29 mars 2005, la société Secovalde a donné à bail à usage commercial à la société Noura Val d’Europe des locaux dépendant du centre commercial Val d’Europe pour l’exploitation d’une activité de Restauration libanaise assise, snack et traiteur sous l’enseigne «Noura».
A compter du 15 mars 2020 et jusqu’au 17 juin 2020, puis du 30 octobre 2020 au 1er juillet 2021, le preneur s’est dit dans l’impossibilité d’exploiter les locaux en raison de la réglementation sanitaire prise dans le cadre de l’épidémie de Covid-19.
Le 6 octobre 2020, le bailleur a fait procéder à la signification d’une sommation de payer une somme de 187.318,84 euros.
Par acte du 2 novembre 2020, la société Noura Val d’Europe a fait procéder à l’assignation de la société Secovalde devant le tribunal judiciaire de Meaux aux fi ns qu’il soit jugé qu’elle n’est pas redevable des loyers et charges pour la période du 30 octobre 2020 et jusqu’à la réouverture du restaurant.
Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 5 septembre 2022, la société Noura Val d’Europe demande au tribunal de :
A titre principal,
– Juger que la société Noura Val d’Europe n’est pas redevable des loyers et charges provisionnelles du bail (en ce compris la provision pour impôt foncier) pour la période du 16 mars 2020 au 17 juin 2020, soit la somme de 98.256,48 euros Ttc.
– Juger que la société Noura Val d’Europe n’est pas redevable des loyers et charges provisionnelles (en ce compris la provision pour impôt foncier) du bail pour la période du 30 octobre 2020 jusqu’au 1er juillet 2021 pour un montant de 261.323,98 euros Ttc.
– Rejeter toutes les demandes reconventionnelles de la société Secovalde.
A titre subsidiaire,
– Accorder à la société Noura Val d’Europe un délai de 24 mois pour le règlement de toute somme qui pourrait être mise à sa charge, en vingt-quatre versements égaux, l’échéancier commençant à courir le 5e jour du mois suivant la signification du jugement à intervenir.
– Ecarter l’exécution provisoire de la décision à intervenir, s’agissant d’une question de droit extrêmement discutée et susceptible de recevoir une solution différente en fonction des juridictions saisies et de leur degré,
En tout état de cause
– Juger qu’il y a lieu, outre l’annulation des loyers et charges du 16 mars 2020 au 17 juin 2020 et du 30 octobre 2020 au 1er juillet 2021, à l’application d’un abattement de 50 % des conditions financières pour la période de la crise sanitaire soit du 17 juin au 30 octobre 2020 et du 1er juillet 2021 jusqu’à la reprise de l’exploitation normale du bail, matérialisée par la fi n de l’état d’urgence sanitaire,
– Juger que la sommation de payer du 6 octobre 2020 est sans effet ;
– Rejeter toutes les demandes contraires ou plus amples de la société Secovalde ;
– Condamner la société Secovalde à payer à la société Noura Val d’Europe la somme 10.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;
– Condamner la société Secovalde en tous les dépens, en application de l’article 699 du Code de procédure civile.
Au soutien de sa demande principale, la société Noura Val d’Europe fait valoir quatre moyens dont il ressort qu’elle est fondée à opposer une exception d’inexécution à la société bailleresse en raison du manquement de celle-ci à son obligation de délivrance, selon le deuxième moyen, divisé en deux branches, que le tribunal devra constater la suspension du contrat de bail en raison de la force majeure ; que les mesures prises ont entraîné la perte de la chose louée et qu’enfin, selon le cinquième moyen, que l’obligation de bonne foi contractuelle a été méconnue.
Sur le défaut de délivrance conforme, elle estime que la conformité qualitative recouvre l’aptitude de la chose à recevoir la destination convenue et l’état de permettre la réalisation de la destination qui doit être faite de la chose louée. Elle soutient que l’inaptitude du local à la destination contractuelle affecte incontestablement l’obligation de délivrance, même si la délivrance matérielle est assurée. Elle ajoute que peu importe, s’agissant d’une obligation de résultat, la cause de l’inexécution par le bailleur de l’obligation de délivrance et de jouissance paisible, cette inexécution peut-être le fait d’un tiers, comme par exemple, une fermeture administrative des locaux. Elle s’estime donc fondée à opposer l’exception d’inexécution dès lors que le bail prévoit l’exploitation simultanée des trois activités prévues dans la clause de destination et qu’elles n’ont pas pu être simultanément exploitées.
Sur la force majeure, elle indique, selon la première branche du moyen, que la crise sanitaire entraînée par la pandémie de Covid-19 remplit les conditions pour être qualifiée d’évènement de force majeure ; selon la seconde branche du moyen, que constitue un fait du prince «une décision de l’autorité publique qui a pour conséquence de porter atteinte à l’équilibre financier de situations contractuelles et qui, en matière civile, peut constituer un cas de force majeure».
Sur la destruction de la chose louée, elle indique que la destruction partielle des locaux doit aussi bien s’entendre de l’impossibilité définitive ou temporaire d’exploiter les locaux par l’effet d’une décision administrative. Elle appuie son propos, notamment, sur l’«Explication théorique et pratique du Code Napoléon» de Victor-Napoléon Marcadé (1810 -1854) qui a des considérations comparables en illustrant son propos par la peste.
Sur l’obligation d’exécuter le contrat de bonne foi, elle indique qu’il résulte de l’obligation de bonne foi qu’en présence de circonstances exceptionnelles qui rendent excessivement onéreuses l’exécution des obligations de l’une des parties, les contractants doivent tenter de restaurer l’équilibre du contrat ; que la société Noura Val d’Europe a toujours payé ses loyers et charges pendant toute la durée du bail, sauf ceux relatifs aux périodes de fermeture administrative ; que l’exécution loyale du contrat implique la négociation de bonne foi pour permettre l’adaptation du contrat aux circonstances économiques exceptionnelles ; que, outre l’annulation des loyers et charges du 16 mars 2020 au 17 juin 2020 et du 30 octobre 2020 au 1er juillet 2021, l’application d’un abattement de 50 % des conditions financières pour la période de la crise sanitaire soit du 17 juin au 30 octobre 2020 et du 1er juillet 2021 jusqu’à la reprise de l’exploitation normale du bail, matérialisée par la fin de l’état d’urgence sanitaire, permettrait de restituer au contrat son équilibre.
Le preneur revient dans ses conclusions sur les arrêts rendus par la Cour de cassation le 30 juin 2022 et indique que ces solutions ne s’appliquent qu’au premier confinement, et ne s’applique pas aux locaux situés dans les centres commerciaux. Elle explique qu’il ne saurait donc être considéré, pour le troisième confinement, que la mesure était «générale» et «sans lien» avec la destination du local loué. Il s’agissait au contraire d’une mesure locale, portant directement sur le centre commercial, en raison de sa superficie, et non de l’activité du preneur. S’agissant d’un local situé dans un centre commercial, elle indique que le bailleur du centre commercial a été directement et personnellement visé par la mesure de fermeture administrative du centre et a eu un comportement actif dans la mise en œuvre de cette fermeture, en organisant la fermeture des accès et en communiquant sur les modalités pratiques de cette fermeture auprès des commerçants du centre. Elle souligne que dès lors que l’obligation de délivrance du bailleur porte sur les parties communes du centre commercial, l’inexécution, même non fautive, de l’obligation de délivrance est constituée.
S’opposant aux demandes reconventionnelles formulées, elle indique d’une part, qu’elles doivent être rejetées en ce qu’elles portent sur la période litigieuse et, d’autre part, que la société Secovalde augmente indument la dette en y incluant, sur la base d’un décompte arrêté le 20 juillet 2022, l’échéance d’août 2022, non exigible à cette date, pour un montant de 33.631,15 euros ; qu’elle produit donc le justificatif du règlement de cette échéance, de même que celle de septembre 2022, toutes les échéances de l’exercice 2022 ayant été réglées.
Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 14 novembre 2022, la société Secovalde demande au tribunal de :
– Débouter la société Noura Val d’Europe de toutes ses demandes, fins et conclusions visant à obtenir du tribunal l’annulation des loyers en jugeant qu’elle «n’est pas redevable des loyers et charges du bail pour la période du 16 mars 2020 au 17 juin 2020, soit la somme de 98.256,48 € Ttc»,
– Débouter la société Noura Val d’Europe de toutes ses demandes, fins et conclusions visant à obtenir du tribunal l’annulation des loyers en jugeant qu’elle «n’est pas redevable des loyers et charges provisionnelles (en ce compris la provision pour impôt foncier) du bail pour la période du 30 octobre 2020 jusqu’au 1er juillet 2021 pour un montant de 261.323,98 euros Ttc. »,
– Débouter la société Noura Val d’Europe de sa demande subsidiaire de délais de paiement sur 24 mois,
Subsidiairement la ramener à des délais plus courts,
– Débouter la société Noura Val d’Europe de sa demande d’abattement de 50 % sur les conditions financières du bail, à compter du «17 juin au 30 octobre 2020 et du 1er juillet 2021 jusqu’à la reprise de l’exploitation normale du bail»,
A titre reconventionnel :
– Condamner la société Noura Val d’Europe à payer à la Secovalde la somme de 435.802,51 euros, (échéance d’octobre 2022 incluse) au titre des loyers, taxes, charges et accessoires dus en vertu du bail commercial du 29 mars 2005, suivant décompte arrêté le 5 octobre 2022.
En tout état de cause :
– Juger que la sommation de payer du 6 octobre 2020 est parfaitement régulière et n’est pas entachée de nullité pour mauvaise foi du bailleur.
– Débouter la société Val d’Europe Food en toutes ses demandes, fins et conclusions comme étant mal-fondées.
– Condamner la société Noura Val d’Europe à payer à la société Secovalde la somme de 20.000 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile.
– Rejeter la demande de la société Noura Val d’Europe consistant à écarter l’exécution provisoire et assortir le jugement à intervenir de l’exécution provisoire.
– Condamner la société Noura Val d’Europe aux entiers dépens dont distraction au profit de la Scp Touraut et Associés.
Au soutien de sa demande tendant au débouté du preneur, le bailleur indique : en réponse au moyen tiré du défaut de l’exception d’inexécution, que le locataire a toujours eu accès et a pu avoir la jouissance des lieux loués pendant ces deux périodes ; que seule la «jouissance économique», c’est-à-dire la possibilité d’exploiter économiquement le local conformément à sa destination, est temporairement paralysée par les mesures gouvernementales, constitutives pour le bailleur d’un cas de force majeure ; qu’en outre les restaurants pouvaient maintenir leurs activités de livraison et de vente à emporter et que les magasins de vente et centres commerciaux pouvaient continuer à accueillir du public pour les activités de retrait de commandes, que ce soit pendant le 1er confinement à partir du 15 mars 2020 ou le 2e confinement à partir du 30 octobre 2020 ; que dans la mesure où seule l’incapacité totale d’exploiter les lieux conformément à la destination contractuelle est assimilable à une perte de jouissance, il ne peut être imputé au bailleur un manquement à son obligation de délivrance, obligation de moyens dont la consistance n’a pas été méconnue.
Sur le moyen tiré de la force majeure, le bailleur indique que la société Noura Val d’Europe ne s’est pas trouvée dans l’impossibilité d’exécuter son obligation de payer les loyers bien que l’exécution du contrat soit devenue plus «onéreuse» en raison de cette fermeture administrative temporaire de 3 mois ; la société Noura Val d’Europe ne démontre pas plus que l’inexécution de son obligation de payer est directement imputable à l’épidémie.
Sur la perte de la chose louée, elle indique que Noura Val d’Europe n’a jamais été empêchée d’utiliser les locaux loués et avait la possibilité de poursuivre son activité pendant les périodes de confinement en proposant de la vente en emporter ; qu’en outre le caractère général et temporaire de la mesure s’oppose à ce que le jeu de ce mécanisme soit retenu.
Sur le moyen tiré de l’exécution de bonne foi, le bailleur indique que si les parties à un contrat doivent se comporter de bonne foi, la mauvaise foi ne se présume pas. Autrement dit, le fait pour le bailleur de solliciter judiciairement l’application d’un contrat valable n’est pas synonyme de mauvaise foi ; que la société Noura Val d’Europe a unilatéralement notifié la suspension du règlement de ses loyers et charges, sans prendre attache avec le bailleur pour évoquer la situation et éventuellement entamer une négociation en vertu d’éléments objectifs, et notamment d’éléments comptables, justifiant les difficultés rencontrées ; que la société Secovalde s’est contentée jusqu’au jour des présentes conclusions de formuler une demande reconventionnelle en paiement suite à l’assignation signifiée par le preneur à son encontre en opposition à sa sommation de payer en date du 6 octobre 2020.
S’agissant des arrêts rendus par la Cour de cassation en juin 2022, le bailleur indique que si les litiges qui ont été traités portaient sur des faits datant du premier confinement, ceux-ci sont transposables aux deux autres confinements pendant lesquels les mesures en vigueur étaient également des mesures générales de police administrative portant interdiction de recevoir du public ; qu’en outre la dichotomie entre locaux situés dans les centres commerciaux et ceux qui ne le sont pas a été inventée par le preneur et le fait que ces locaux soient situés dans un centre commercial ne modifie en rien l’obligation de délivrance du bailleur que le bailleur d’une galerie marchande propriétaire de tous les locaux composant le centre n’avait pas d’obligations plus étendues qu’un bailleur ordinaire.
Au soutien de sa demande reconventionnelle en paiement, la société Secovalde indique que la société Noura Val d’Europe n’est pas à jour de ses loyers, charges, taxes et accessoires de sorte qu’elle est redevable de la somme de 435.802,51 euros Ttc. (échéance du mois d’octobre 2022 incluse) suivant décompte arrêté le 5 octobre 2022 (cf. pièces n° 7, 8 à 26, 34 à 54, 58 à 63, 69 à 71). Elle indique que la position du locataire consistant à refuser de payer était adossée à un dispositif transitoire (cf. article 14 de loi n° 2020-1310 du 14 novembre 2020) ; que cet article suspendait en effet «les intérêts, pénalités ou toute mesure financière, action, sanction ou voie d’exécution forcée à l’encontre des personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique affectée par une mesure de police administrative pour retard ou non-paiement des loyers ou charges locatives afférents aux locaux professionnels ou commerciaux où leur activité est ou était ainsi affectée».
Pour un plus ample exposé des moyens des parties, et des prétentions non visées relatives notamment à l’exécution provisoire, aux délais de paiement ainsi qu’à la nullité de la sommation, il est renvoyé à leurs conclusions respectives conformément aux dispositions de l’article 455 du Code de procédure civile.
Par ordonnance du 14 novembre 2022, la clôture de la mise en état a été prononcée a effet au 9 janvier 2023 et l’affaire a été fixée à l’audience du 2 février 2023.
Elle a été mise en délibéré au 2 mars 2023.
Motifs
Sur la demande tendant à ce qu’il soit jugé que la société Noura Val d’Europe n’est pas redevable des loyers et charges provisionnelles du bail
Sur le moyen tiré de l’exception d’inexécution Se fondant sur ce principe de l’exception d’inexécution, et sans que son exercice par voie d’action ne soit discuté, la société Noura Val d’Europe soutient que par application de l’article 1719 du Code civil le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu’il soit besoin d’aucune stipulation particulière de délivrer au preneur la chose louée et d’en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail. Il estime néanmoins que son exploitation, alors même qu’elle était théoriquement autorisée par les textes règlementaires alors applicable dans le cadre de la vente à emporter, a été rendue impossible par la fermeture du centre commercial, quelle que soit la période de confinement concernée.
La société Secovalde affirme que le locataire a toujours eu accès et a pu avoir la jouissance des lieux loués pendant ces deux périodes dès lors que la société Noura Val d’Europe fait partie des entreprises locataires qui, bien que visées par les mesures de fermeture au public, n’ont pas été totalement empêchées d’exploiter leurs locaux commerciaux, mais ont seulement été restreintes dans leur jouissance économique du bien loué.
Sur ce, Il résulte de l’article 1184 du Code civil dans sa rédaction applicable à la cause par application du principe de survie de la loi ancienne en matière contractuelle que le contractant poursuivi en exécution de ses obligations, et qui estime que l’autre partie n’a pas exécuté les siennes, a toujours le choix entre la contestation judiciaire et l’exercice à ses risques et périls de l’exception d’inexécution.
L’exception d’inexécution ne saurait être admise qu’en présence d’une inexécution suffisamment grave, portant sur une obligation connexe à celle qui n’a pas été exécutée.
L’article 1719 du Code civil met à la charge du bailleur l’obligation de délivrer au preneur la chose louée et d’en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail.
Il appartient au bailleur, tenu de délivrer au preneur la chose louée, de prouver qu’il s’est libéré entièrement de cette obligation conformément aux dispositions de l’article 1353 du Code civil.
De ces dispositions il s’infère que le preneur est susceptible d’exciper d’un manquement contractuel constitué par une méconnaissance de l’obligation de délivrance pour refuser de remplir son obligation consistant à payer les loyers, dès lors que la délivrance constitue l’obligation essentielle mis à la charge du bailleur et que le rapport de connexité entre le loyer et la délivrance est caractérisé.
Pour autant le bailleur peut démontrer qu’il a rempli son obligation ou en a été empêché par un cas de force majeure ou un évènement extérieur assimilé tel qu’une mesure générale de police administrative portant interdiction de recevoir du public.
En l’espèce, Le preneur démontre, par la production du bail, être le créancier d’une obligation de délivrance dont la titularité n’est pas discutée.
Cette obligation présente un caractère essentiel et entretien un rapport de connexité avec le paiement du loyer. La société Noura Val d’Europe affirme que le local objet du bail n’a pas été délivré pour la période du 16 mars 2020 au 17 juin 2020 puis pour la période du 30 octobre 2020 jusqu’au 1er juillet 2021.
De son côté, le bailleur affirme que le preneur a fait le choix de ne pas exploiter alors qu’il n’était pas empêché de le faire, sans toutefois produire d’éléments permettant au tribunal d’apprécier les conditions dans lesquelles le local aurait été délivré. En focalisant son analyse sur la possibilité juridique d’exploiter les locaux, le bailleur omet de procéder à la démonstration de la faculté matérielle d’exploiter ceux-ci par le preneur. Ce faisant, il ne démontre pas s’être libéré entièrement de son obligation conformément aux dispositions de l’article 1353 du Code civil de telle sorte que le manquement contractuel est caractérisé, non par une objectivation factuelle de ce manquement, mais en raison de la carence du bailleur dans l’administration de la preuve.
La société Secovalde ne saurait se retrancher derrière la cause d’exonération constituée par la force majeure alors que, aux termes de l’arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus Covid-19 et des autres textes réglementaires applicables, les centres commerciaux avaient la faculté – sinon l’obligation dans le cadre de leur obligation de délivrance – de demeurer ouverts pour permettre notamment la vente à emporter, de telle sorte que rien ne devait s’opposer à la délivrance matérielle, se manifestant par une ouverture effective des accès aux locaux du preneur.
Le principe de l’exception d’inexécution sera retenu.
La société Noura Val d’Europe sollicite l’admission de l’exception pour les loyers de la période du 16 mars 2020 au 17 juin 2020, soit la somme de 98.256,48 euros Ttc ainsi que pour la période du 30 octobre 2020 jusqu’au 1er juillet 2021 pour un montant de 261.323,98 euros Ttc.
Il apparait néanmoins que seuls peuvent faire l’objet de l’exception d’inexécution les loyers correspondant à des obligations retenues de telle sorte que doivent être expurgés des montants indiqués par la demanderesse les sommes effectivement versées, la société Noura Val d’Europe n’exerçant pas une action en répétition.
Il ressort des productions de la société Secovalde que le montant des loyers et charges impayés susceptibles de demeurer inexécutés portent sur les périodes d’avril, mai et juin 2020 de telle sorte que la demande pour la période du mois de mars ne peut être retenue. Il est observé que les parties ne discutent pas les imputations des paiements, selon la comptabilité effectuée par le bailleur.
Ainsi, les sommes pouvant être retenues pour la première période sont les suivantes :
– Avril 2020 : 23.370,99 euros au titre des loyers, 6.093,66 euros au titre des charges, 3.287,51 euros au titre de l’impôt foncier : soit un total de 32.752,16 euros ;
– Mai 2020 : 32.752,16 euros (ventilation identique)
– Juin 2020 : 17/30 x 32.752,16 (ventilation identique) = 18.560 euros.
Soit un total T.T.C. de 84.064 euros.
S’agissant de la période du 30 octobre 2020 jusqu’au 1er juillet 2021, le décompte de la société Secovalde permet d’établir les sommes suivantes :
– Octobre : 0 euros (cf. à compter du 30 octobre)
– Novembre : 23.370,99 (loyer) + 6.093,20 (provisions pour charges) + 3.169,35 (impôt foncier)
– Décembre : 23.370,99 (loyer) + 6.093,20 (provisions pour charges) + 3.169,35 (impôt foncier)
– Janvier : 23.413,60 (loyer) + 6.093,20 (provisions pour charges) + 3.169,35 (impôt foncier)
– Février : 23.413,60 (loyer) + 6.093,20 (provisions pour charges) + 3.169,35 (impôt foncier)
– Mars : 23.413,60 (loyer) + 6.093,20 (provisions pour charges) + 3.169,35 (impôt foncier)
– Avril : 23.413,60 (loyer) + 6.093,20 (provisions pour charges) + 3.169,35 (impôt foncier)
– Mai : 23.413,60 (loyer) + 6.093,20 (provisions pour charges) + 3.169,35 (impôt foncier)
– Juin : 23.413,60 (loyer) + 6.093,20 (provisions pour charges) + 3.169,35 (impôt foncier)
– Juillet : 0 euros (cf. jusqu’au 1er juillet) Soit un total de 261.323,98 euros Ttc, ce qui correspond aux demandes, dont 187.223,58 euros au titre des loyers stricto sensu.
Il sera donc fait droit à l’exception d’inexécution à hauteur de 345.387,98 euros Ttc, somme incluant les loyers, les provisions pour charges ainsi que la refacturation de l’impôt foncier au preneur.
L’admission de l’exception d’inexécution à ce stade rend sans objet l’examen des moyens additionnels présentés, tirés de la force majeure et de la perte partielle de la chose louée ainsi que l’exécution de la convention de bonne foi.
S’agissant de ce dernier moyen, il est observé que le preneur semble le présenter «en tout état de cause» son dispositif étant ainsi rédigé : «il y a lieu, outre l’annulation des loyers et charges du 16 mars 2020 au 17 juin 2020 et du 30 octobre 2020 au 1er juillet 2021, à l’application d’un abattement de 50 % des conditions financières pour la période de la crise sanitaire soit du 17 juin au 30 octobre 2020 et du 1er juillet 2021 jusqu’à la reprise de l’exploitation normale du bail, matérialisée par la fin de l’état d’urgence sanitaire». Le tribunal estimera pour autant qu’il s’agit d’une erreur matérielle du dispositif qui ne saurait être ainsi articulé alors que cette prétention est nécessairement subsidiaire par rapport à celles tendant à l’exonération totale des loyers sur la période litigieuse.
Sur la demande reconventionnelle tendant à la condamnation du preneur à payer une somme de 435.802,51 € au titre des loyers et charges impayés
La société Secovalde indique que la société Noura Val d’Europe n’est pas à jour de ses loyers, charges, taxes et accessoires de sorte qu’elle est redevable de la somme de 435.802,51 euros Ttc (échéance du mois d’octobre 2022 incluse) suivant décompte arrêté le 5 octobre 2022 laquelle ne concerne pas exclusivement les périodes de fermeture administrative.
La société Noura Val d’Europe, outre qu’elle conteste les loyers des deux périodes mentionnées, indique avoir réglé les échéances d’août et septembre 2022. Elle a abandonné ses autres moyens relatifs au bénéfice de la protection de l’article 14 de la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020.
Sur ce, Il importe en premier lieu de soustraire de la demande reconventionnelle formulée les sommes correspondantes aux périodes litigieuse pour laquelle l’exception est admise, soit 435.802,51 – 345.387,98 = 90.414,53. Le désaccord opposant les parties ne porte plus que sur le paiement de l’échéance des mois d’aout et septembre, incluse dans le décompte produit.
Les éléments produits par le preneur permettent de constater :
– un virement relatif à une facture 2022501576 au bénéfice de Secovalde, d’un montant de 33.631,15 euros, intervenu le 9 août 2022. La référence de la facture correspond bien à la facture de loyer du mois d’août 2022 dans le décompte, incluant 24.020,14 euros de loyer, 6.244,41euros de charges et 3.366,60 euros de refacturation de taxe foncière, soit un total de 33.631,15 euros ;
– un virement sans référence de facture au bénéfice de Secovalde, d’un montant de 33.631,15 euros, intervenu le 31 août 2022. L’imputation de cette opération peut être effectuée, en raison de sa date, sur le mois de septembre.
De ces constatations il ressort que la demande reconventionnelle en paiement ne peut être admise que pour une somme de 90.414,53 -(2 x 33.631,15) = 23.152,23€.
Sur la demande additionnelle tendant à l’octroi de délais de paiement
La société Noura Val d’Europe indique se retrouver dans une situation économique difficile à la suite de la pandémie de Covid-19 et à ses conséquences économiques néfastes qui ont durement touché le secteur de la restauration ; que la fréquentation du restaurant s’est très dégradée avec la pandémie de la Covid-19 ; que la société Noura Val d’Europe présente néanmoins toutes les garanties pour poursuivre le bail et payer les loyers et charges ; qu’elle publie régulièrement ses comptes au greffe et les résultats des quatre dernières années démontrent l’attractivité du concept de la société Noura et sa stabilité, dès lors qu’il lui est permis d’exploiter (2,4 millions de chiffre d’affaires en moyenne et un résultat bénéficiaire de 2017 à 2019).
La société Secovalde s’oppose aux délais.
Sur ce, La demande de délai de paiement ne repose sur aucune pièce. La société Noura Val d’Europe en sera déboutée.
Sur la demande tendant à ce qu’il soit jugé que la sommation de payer du 6 octobre 2020 est sans effet
La société Noura Val d’Europe indique que la sommation de payer du 6 octobre 2020 visant l’article L. 145-17-1 du Code de commerce est constitutive d’une mise en demeure de mauvaise foi alors que le conseil de la société Noura Val d’Europe avait contesté les loyers et charges de la période de fermeture administrative du restaurant ; que les loyers du 3e trimestre 2020 avaient été payés.
La société Secovalde souligne que la sommation ne vise pas la clause résolutoire de telle sorte que l’exigence de bonne foi dans la mise en œuvre de cette dernière n’est pas requise. La mauvaise foi du bailleur est, par ailleurs, contestée.
Sur ce,
Dès lors qu’il est constant que la sommation critiquée ne vise pas l’acquisition de la clause résolutoire, le moyen tiré de l’absence de bonne foi dans la mise en œuvre de l’acquisition de la clause résolutoire n’est pas de nature à permettre l’admission de la prétention tendant à la nullité de la sommation. La société Noura Val d’Europe en sera déboutée.
Sur les mesures de fin de jugement
Aux termes des articles 696 et 700 du Code de procédure civile la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie. Le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
Il y a lieu, en l’espèce, de condamner la société Secovalde aux dépens ainsi qu’à payer à la société Noura Val d’Europe une somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles.
La demande tendant à ce que l’exécution provisoire du jugement soit écartée n’est pas soutenue et la société Noura Val d’Europe en sera déboutée.
Par ces motifs
Le tribunal, statuant après débats en audience publique, par jugement contradictoire, en premier ressort, prononcé par mise à disposition au greffe,
Juge que la société Noura Val d’Europe n’est pas redevable des loyers et charges provisionnelles du bail (en ce compris la provision pour impôt foncier) pour la période du 1er avril 2020 au 17 juin 2020, soit la somme de 84.064 euros Ttc ;
Juge que la société Noura Val d’Europe n’est pas redevable des loyers et charges provisionnelles (en ce compris la provision pour impôt foncier) du bail pour la période du 30 octobre 2020 jusqu’au 1er juillet 2021 pour un montant de 261.323,98 euros Ttc ;
Condamne la société Noura Val d’Europe à payer à la société Secovalde une somme de 23.152,23 euros Ttc au titre de l’arriéré des loyers et charges provisionnelles (en ce compris la provision pour impôt foncier) arrêté au 5 octobre 2022 ;
Déboute la société Noura Val d’Europe de sa demande de délais de paiements ;
Déboute la société Noura Val d’Europe de sa demande tendant à ce qu’il soit jugé qu’il y a lieu, outre l’annulation des loyers et charges du 16 mars 2020 au 17 juin 2020 et du 30 octobre 2020 au 1er juillet 2021, à l’application d’un abattement de 50 % des conditions financières pour la période de la crise sanitaire soit du 17 juin au 30 octobre 2020 et du 1er juillet 2021 jusqu’à la reprise de l’exploitation normale du bail, matérialisée par la fin de l’état d’urgence sanitaire ;
Déboute la société Noura Val d’Europe de sa demande tendant à ce que la sommation de payer du 6 octobre 2020 soit sans effet ;
Condamne la société Secovalde aux dépens et à payer à la société Noura Val d’Europe une somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles ;
Déboute la société Noura Val d’Europe de sa demande tendant à ce que l’exécution provisoire du jugement soit écartée ;
Déboute les parties de toutes autres demandes.
