Etude d’impact insuffisante ! Et pourquoi ? Parce qu’elle ne détaillait pas suffisamment les conséquences du projet d’extension de Westfield Rosny 2 sur la qualité de l’air ; notamment le phénomène d’îlot de chaleur qu’il pouvait produire. Le Code de l’environnement, qui fixe le contenu de l’étude, manque cruellement, il faut le dire, de critères objectifs ou quantifiables. On ne saurait donc trop en rajouter sur les incidences d’un programme sur son environnement, en particulier sur la pollution atmosphérique. On jugeait autrefois sur les mètres carrés, on tranche aujourd’hui sur les particules fines…
Par Mes Delphine d’Albert des Essarts, avocate-associée, et Adrien Reymond, avocat (Wilhelm&Associés)
Lutte contre l’artificialisation des sols et la consommation d’espace (1), lutte contre les passoires thermiques (2), lutte contre la pollution de l’air : les pétitionnaires sont invités à prendre en considération toutes les incidences que leurs projets peuvent avoir sur l’environnement. Depuis plusieurs années, aucun projet immobilier ne se développe sans que ses impacts environnementaux ne soient analysés dans le détail. Les équipes de conception et de construction sont principalement mises à contribution pour trouver les solutions à même de les limiter et si possible obtenir les certifications ou labels à même de valoriser un actif immobilier vertueux.
Toutefois, force est de constater que cet exercice d’analyse des impacts environnementaux se révèle plus délicat lorsqu’il s’agit de convaincre les autorités administratives et judiciaires de la pertinence et de l’exhaustivité des différentes études menées s’agissant des effets du projet sur son environnement, notamment en ce qui concerne ses effets sur la pollution de l’air. On pourrait dire qu’il s’agit là d’une des dernières tendances.
En effet, le 6 mars 2018, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé l’arrêté préfectoral autorisant la création de la zone d’aménagement concerté (Zac), dite du Triangle de Gonesse, au motif que «les analyses de l’étude d’impact s’agissant de l’incidence du projet sur la qualité de l’air et, notamment, sur la question des émissions de CO2 induites par les déplacements de touristes par déplacements terrestres ou aériens, eu égard à la proximité de l’aéroport et dans la perspective de la création d’EuropaCity, restent très insuffisantes» (3).
Et si la cour administrative d’appel de Versailles, un an plus tard, a – au contraire – considéré que l’étude d’impact ne présentait pas d’insuffisances qui auraient nui à l’information complète de la population ou qui auraient exercé une influence sur le sens de la décision de l’autorité administrative (position d’ailleurs confirmée par le Conseil d’Etat le 1er juillet 2020) (4), cette décision est intervenue trop tardivement sur le plan opérationnel, puisque le projet EuropaCity a été officiellement abandonné à l’automne 2019…
Encore récemment, le 6 octobre 2022, la cour administrative d’appel de Paris a confirmé l’annulation du permis de construire délivré le 30 août 2019 pour la réalisation du projet 1000 Arbres, situé sur le périphérique parisien et comportant notamment un bâtiment de dix étages comprenant un hôtel, des logements, des commerces et une crèche, au motif, notamment, qu’il entraînera – «en raison du déplacement des polluants issus de la circulation automobile à l’entrée et à la sortie du tunnel créé – une augmentation de plus de 20 % du dioxyde d’azote en plusieurs points de mesure aux alentours, en particulier rue Gustave-Charpentier, où sont situés des immeubles d’habitation et de bureaux et des établissements recevant du public […] ainsi qu’une augmentation de la concentration en benzène pouvant atteindre ponctuellement 66 %» (5).
Et encore plus récemment, le 31 janvier 2023, la commission d’enquête publique saisie de l’étude d’impact environnementale relative au projet d’extension du centre commercial Westfield Rosny 2 (6) a émis un avis défavorable aux motifs, notamment, que le projet influera significativement sur la qualité de l’air ambiant du fait de l’augmentation du trafic routier et qu’il aura pour effet d’accentuer le phénomène d’îlot de chaleur urbain (7).
Cette nouvelle étude avait dû être diligentée suite au constat par le tribunal administratif de Montreuil, en décembre 2021, de l’insuffisance de l’étude d’impact initiale jointe aux demandes de permis de construire qui ne décrivait pas suffisamment l’état initial de l’environnement aux abords du site et les incidences du projet en ce qui concerne la qualité de l’air et le phénomène d’îlot de chaleur urbain. Le tribunal avait alors accordé un délai d’un an à la commune de Rosny-sous-Bois pour régulariser cette illégalité.
Ces récentes décisions des juridictions administratives mettent en application tout un arsenal législatif qui se développe depuis plus de quinze ans et, notamment, depuis l’adoption de l’Accord de Paris, fin 2015. La lutte contre la pollution de l’air fait ainsi l’objet d’une réglementation toute particulière depuis l’adoption de la directive 2008/50/CE du 21 mai 2008 concernant la qualité de l’air ambiant (8), laquelle a été transposée en droit interne par la loi n° 2008-757 du 1er août suivant.
Depuis, la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique est venue – en ses articles 64 à 68 – compléter le dispositif de lutte pour la qualité de l’air, le décret n° 2017-949 du 10 mai 2017 a fixé les objectifs nationaux de réduction des émissions de certains polluants atmosphériques (9) et une nouvelle directive européenne (directive 2016/2284 du 14 décembre 2016) a également fixé les mesures permettant la réduction des émissions nationales de certains polluants atmosphériques (10).
Le Conseil d’Etat se montre, quant à lui, particulièrement soucieux de faire respecter cette législation. Ainsi a-t-il – le 12 juillet 2017 – enjoint au Premier ministre et au ministre chargé de l’Environnement de prendre toutes les mesures nécessaires pour que soient élaborés et mis en œuvre des plans relatifs à la qualité de l’air permettant de ramener les concentrations en dioxyde d’azote et en particules fines PM10 sous les valeurs limites fixées par l’article R. 221-1 du Code de l’environnement (11).
Cette injonction n’ayant pas été respectée, le Conseil d’Etat a – par deux fois – liquidé des astreintes de (i) 10 millions d’euros pour la période courant du 11 janvier 2021 au 11 juillet 2021 et (ii) 18,5 millions d’euros pour la période courant du 12 juillet 2021 au 12 juillet 2022 (12).
De même, en matière de lutte contre le réchauffement climatique, le tribunal administratif de Paris a – pour la première fois le 3 février 2021 – reconnu les carences de l’Etat en cette matière ainsi que l’existence d’un préjudice écologique lié au changement climatique (13). Et le Conseil d’Etat a statué dans le même sens le 1er juillet suivant (14).
Dans un tel contexte juridique et jurisprudentiel, on peut comprendre (et même partager), les exigences des juridictions administratives à l’égard des porteurs de projets. Dans le même temps, on peut aussi s’interroger sur les démarches concrètes que ces derniers peuvent accomplir afin d’obtenir leurs autorisations administratives et de sécuriser leurs projets. Car la tache semble bien ardue.
Lorsque l’on connaît les difficultés que présente l’application de l’objectif «Zéro artificialisation nette» (qui a pourtant été assez clairement formulé et qui implique seulement de calculer objectivement des surfaces), on peut imaginer qu’il n’est certainement pas plus facile d’apprécier de manière objective les effets d’un projet immobilier sur la pollution de l’air… Le Code de l’environnement fixe le contenu de l’étude d’impact et précise également que ce contenu doit être proportionné (i) à la sensibilité environnementale de la zone susceptible d’être affectée par le projet, (ii) à l’importance et à la nature des travaux et (iii) à leurs incidences prévisibles sur l’environnement ou la santé humaine (article R. 122-5). Tout cela semble manque cruellement de critères objectifs ou quantifiables.
En principe, du point de vue du contentieux administratif, «les inexactitudes, omissions ou insuffisances d’une étude d’impact ne sont susceptibles de vicier la procédure et donc d’entraîner l’illégalité de la décision prise au vu de cette étude que si elles ont pu avoir pour effet de nuire à l’information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative» (15). Il n’en demeure pas moins que «l’article R. 122-5 du Code de l’environnement impose de retenir une conception large des «effets» du projet» : au pétitionnaire, donc, «de prendre en compte tous les effets du projet» (16), lequel inclut «l’ensemble des travaux, installations, ouvrages ou autres interventions qui lui sont nécessaires, c’est-à-dire qui, sans le projet, ne seraient pas réalisés ou ne pourraient remplir le rôle pour lequel ils sont réalisés» (17).
Les pétitionnaires sont avertis : il leur revient désormais d’intégrer dans leurs équipes de nouveaux experts et d’étudier avec ces sachants chaque incidence de leurs projets sur l’environnement, dont la pollution de l’air.
Notes
(1) Voir l’article L. 752-6 (V°) du Code de commerce (dont la rédaction est issue de l’article 215 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 dite «loi Climat») qui prévoit – avec des exceptions – que «l »autorisation d’exploitation commerciale ne peut être délivrée pour une implantation ou une extension qui engendrerait une artificialisation des sols, au sens du neuvième alinéa de l’article L. 101-2-1 du Code de l’urbanisme».
(2) Voir l’article 175 de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 (dite loi «Elan») et le décret n° 2019-771 du 23 juillet 2019 (dit «décret Tertiaire»), qui «prévoit l’obligation de mise en œuvre d’actions de réduction de la consommation d’énergie finale dans les bâtiments existants à usage tertiaire afin de parvenir à une réduction de la consommation d’énergie finale pour l’ensemble des bâtiments soumis à l’obligation d’au moins 40 % en 2030, 50 % en 2040 et 60 % en 2050 par rapport à 2010».
(3) Ainsi, «eu égard à l’importance de l’impact potentiel sur l’environnement du projet litigieux, qui se traduit notamment par la suppression de 280 hectares de terres agricoles, les insuffisances de l’étude d’impact ont nécessairement, par leur importance et leur cumul, été de nature à nuire à l’information complète de la population et à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative» (TA Cergy-Pontoise, 6 mars 2018, Collectif pour le triangle de Gonesse, req. n° 1610910-1702621, cons.7-9). Ce projet a, par la suite, été définitivement abandonné le 7 novembre 2019.
(4) CAA Versailles, 11 juillet 2019, req. n° 18VE02955, confirmé par CE, 1er juillet 2020, non publié.
(5) CAA Paris, 6 octobre 2022, req. n° 21P A04912, cons.9-11.
(6) Projet d’extension de 43.819 m² d’un ensemble commercial qui compte 111.600 m² de surface Gla.
(7) L’extension totalisant 43.819 m² de surface de plancher devait être réalisée dans le cadre de quatre permis de construire qui ont fait l’objet d’un recours devant le TA de Montreuil. Le 2 décembre 2021, la juridiction a estimé «que les permis de construire contestés ne sont illégaux qu’en tant, d’une part, que l’étude d’impact jointe aux demandes ne décrit pas suffisamment l’état initial de l’environnement aux abords du site et les incidences du projet en ce qui concerne la qualité de l’air et le phénomène d’îlot de chaleur urbain, ne comprend pas une analyse suffisante du cumul de ses effets avec d’autres opérations situées à proximité et ne comporte pas la description des mesures prévues pour éviter, réduire ou compenser les incidences du projet en matière de pollution atmosphérique». Conformément aux dispositions de l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme, le juge a sursis à statuer et a imparti aux «sociétés bénéficiaires un délai de douze mois à compter de la notification du présent jugement, pour justifier de permis de construire destinés à régulariser ces vices». Quatre demandes de permis de construire modificatifs ont donc été déposées par les sociétés pétitionnaires afin seulement de compléter l’étude d’impact sur les moyens retenus par le tribunal administratif sans modifier le projet initial. L’enquête publique portant sur l’étude d’impact relative à ces quatre permis s’est déroulée du 3 novembre au 5 décembre 2022 et a donné lieu, le 31 janvier 2023, à un avis défavorable. (Voir rapport de la commission d’enquête publique du 31 janvier 2023, p. 12-15 et 272-278). Le tribunal administratif a dû annuler les permis de construire en l’absence de permis de construire rectificatif par jugement en date du 6 avril 2023.
(8) Directive 2008/50/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe.
(9) Voir sur ces points le Rapport du Sénat n° 412 du 11 avril 2018 sur la lutte contre la pollution de l’air.
(10) Cette directive a d’ailleurs donné lieu, le 14 mai 2020, à une mise en demeure de transposition adressée à la France par la Commission européenne.
(11) CE, 12 juillet 2017, Association Les amis de la Terre France, req. n° 394254.
(12) CE, 17 octobre 2022, req.n° 428409, rappelant ses précédentes décisions du 12 juillet 2017 (req. n° 394254), du 10 juillet 2020 (req. n° 428409) et du 4 août 2021 (req. n° 428409).
(13) TA Paris, 3 février 2021, Associations Oxfam France, Notre affaire à tous et a., req. nos 1904967, 1904968, 1904972, 1904976.
(14) Le Conseil d’Etat a alors fait droit aux demandes de la commune de Grande-Synthe et de plusieurs associations tendant à l’annulation du refus du gouvernement de prendre des mesures supplémentaires pour atteindre l’objectif, issu de l’Accord de Paris, de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40 % d’ici à 2030 (CE, 1er juillet 2021, Commune de Grande-Synthe, req. n° 427301).
(15) CE, 14 octobre 2011, Société Ocréal, req. n° 323257. Pour un rappel récent de la règle, voir Conclusions N. Agnoux sur CE, 1er mars 2023, req. n° 458933.
(16) Conclusions O. Fuchs sur CE, 5 mars 2021, req. n° 424323.
(17) Conclusions A.Skzryerbak sur CE, 30 décembre 2021, req. n° 438686 ; voir également Conclusions Odinet sur CE, 28 novembre 2018, req. n° 419315 ; Guide d’interprétation de la réforme du 3 août 2016, Ministère de la transition écologique, août 2017, p. 21.
> Lire le rapport d’enquête publique du projet d’extension du centre commercial Westfield Rosny 2
