Validé par le Conseil constitutionnel, le déférencement de Wish, plateforme californienne proposant des articles sortant des normes européennes, contrefaits ou interdits, donne à la Dgccrf et aux juridictions administratives un pouvoir renforcé sur le contrôle des ventes en ligne. Depuis la décision ici commentée (n° 2022-1016, Qpc du 21 octobre 2022, Trib. Cor., 10 mars 2023), le pure player a fait amende honorable. Il est de retour en France sur les moteurs de recherche. Mais force est restée à la loi.
Par Me Jean-Louis Fourgoux, avocat-associé aux Barreaux de Paris et de Bruxelles (Mermoz Avocats)
La Dgccrf a ouvert, en septembre 2020, une enquête concernant la sécurité des produits vendus sur la plateforme Wish qui fait suite à une première enquête sur ses pratiques commerciales et à des enquêtes concernant la sécurité des produits vendus sur les places de marché en ligne. Cette enquête a conduit la direction administrative à constater la mise en vente d’une grande quantité de produits dangereux et non conformes par la plateforme.
Sur une campagne de prélèvements de plus de 140 produits :
– 95 % des jouets seraient non conformes, dont 45 % dangereux ;
– 95 % des appareils électriques seraient non conformes, dont 90 % dangereux ;
– 62 % des bijoux fantaisies seraient dangereux.
En outre, l’enquête a révélé que Wish n’effectuait pas les retraits et rappels de produits de manière satisfaisante.
Le 15 juillet 2021, la Dgccrf a donc enjoint à Wish de se mettre en conformité dans un délai de 2 mois en cessant de tromper le consommateur sur la nature des produits, sur les risques inhérents à leur utilisation et sur les contrôles effectués. Cette injonction n’aurait pas été appliquée par Wish. Le service du ministère de l’Economie et des Finances a donc décidé de mettre en œuvre le nouvel article L. 521-3-1 du Code de la consommation permettant la protection des consommateurs en ligne. (L. Idot Le projet de loi Daddue : Europe 2020, alerte 62).
La chef de service des enquêtes a, le 23 novembre 2021, fait injonction aux sociétés Google, Bing, Qwant, Apple et Microsoft de déréférencer le site e-commerce Wish et son application, tant que ce dernier ne se serait pas mis en conformité. En effet, l’article précité du Code de la consommation autorise tout agent habilité à ordonner le déréférencement «des interfaces en ligne dont les contenus sont manifestement illicites». Le déréférencement du site n’empêche pas son accès, mais rend beaucoup plus difficile la connexion, puisqu’il ne suffit plus uniquement de taper le nom de la place de marché dans le moteur de recherche. A la suite du déférencement, par la Dgccrf, du site Wish. com des moteurs de recherche en ligne (Bing, Qwant et Google) en raison du maintien de la commercialisation en ligne de produits non conformes et dangereux, une question prioritaire de constitutionnalité a été posée au Conseil constitutionnel par le Conseil d’Etat (CE 22 Juillet 2022, ContextLogic Inc).
La société exploitant le site Wish.fr estimait que le a, 2° de l’article L. 521-3-1 du Code de la consommation, prévoyant que l’autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation peut prendre des mesures pour faire cesser certaines pratiques commerciales frauduleuses commises à partir d’une interface en ligne, n’était pas conforme aux articles 4 et 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (Ddhc). Le Conseil constitutionnel rejette ces griefs et affirme que si les dispositions de l’article précité portent atteinte à la liberté d’expression et de communication, elles permettent de renforcer la protection des consommateurs et d’assurer la loyauté des transactions commerciales en ligne. L’article poursuit ainsi un objectif d’intérêt général (C. constit. 21 Octobre 2022, n° 2022-1016 QPC : JO 22 Oct. 2022).
En outre, seules les adresses électroniques des interfaces en ligne dont les contenus présentent un caractère manifestement illicite peuvent faire l’objet d’un déférencement. De même, les mesures prévues par cet article ne peuvent être mises en œuvre que si l’auteur de la pratique frauduleuse constatée n’a pas été identifié ou s’il n’a pas déféré à une injonction de mise en conformité prise après procédure contradictoire et qui peut être contestée devant le juge.
Enfin, un délai de 48 h doit être respecté pour procéder au référencement ce qui permet de contester la décision par le biais d’un référé, ce qui en l’espèce avait été rejeté, en l’absence de doute sérieux sur la légalité de l’injonction prononcée (TA Paris, 17 décembre 2021).
Le Conseil constitutionnel réfute donc toute violation, par le a, 2° de l’article L. 521-3-1 du Code de la consommation, de la liberté d’expression et de communication.
1. La méconnaissance de la liberté d’entreprendre
La société ContextLogic Inc soutenait que le a, 2° de l’article L. 521-3-1 du Code de la consommation méconnaissait la liberté d’entreprendre (article 4 Ddhc) car cette mesure constituerait une atteinte disproportionnée à l’exercice du commerce. Le Conseil constitutionnel écarte cette argumentation. Il affirme que ces mesures n’ont «pas pour effet d’empêcher les exploitants de ces interfaces d’exercer leurs activités commerciales, leurs adresses demeurant directement accessibles en ligne».
2. La méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif, des droits de la défense, du principe de sécurité juridique et du droit à une bonne administration
La société ContextLogic Inc soutenait encore que les dispositions du a, 2° de l’article L. 521-3-1 du Code de la consommation méconnaissaient le droit à un recours juridictionnel effectif, les droits de la défense, le principe de sécurité juridique et le droit à une bonne administration en ce qu’elles ne prévoient pas que la décision ordonnant le déréférencement soit motivée et précédée d’une procédure contradictoire.
Le Conseil constitutionnel rejette aussi cette argumentation et déclare le a, 2° de l’article L. 521-3-1 du Code de la consommation conforme à la Constitution. Il valide ainsi les dispositions sur lesquelles s’est fondée la Dgccrf pour agir à l’encontre de la plateforme Wish et ordonner son déréférencement. Le pouvoir d’injonction de la Dgccrf en matière de lutte contre les pratiques commerciales illicites sur Internet est ainsi confirmé.
L’article L. 521-3-1 du Code de la consommation a, depuis l’injonction prononcée contre Wish, été modifié par la loi dite «Pouvoir d’achat» du 16 août 2022 et permet désormais aux agents de la Dgccrf de prendre des réquisitions lorsqu’ils constatent une infraction ou un manquement aux règles relatives aux informations précontractuelles, pratiques commerciales déloyales, contrats et crédits, conformité ou sécurité des produits ou qu’il n’a pas été déféré à une injonction de mise en conformité.
Les contrôles des sites Internet et de la communication des entreprises devront donc être pris très au sérieux : car les suites peuvent être sévères pour les entreprises et les recours devant les juridictions très aléatoires comme l’affaire Wish le confirme. Devant les juridictions administratives, les magistrats sont souvent peu réceptifs aux contraintes du monde numérique (a contrario, Cdiscount a pu faire valoir que l’information précontractuelle ne devait pas être automatiquement communiquée sans possibilité de joindre un lien hypertexte, ce que la Dgccrf exigeait dans le cadre d’une injonction et sur les pratiques déloyales-TA Bordeaux 23 Novembre 2021 n° 1906171).
Les juges répressifs ont parallèlement condamné Wish à une amende de 3 millions d’euros pour de faux rabais découverts au fil de l’enquête administrative (Trib Corr. Paris, 10 mars 2023). En 2023, le droit de la consommation rejoint ainsi le droit de la concurrence pour son aspect dissuasif !
> Lire la décision de QPC du Conseil constitutionnel du 21 octobre 2022
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2° Lorsque l’infraction constatée est passible d’une peine d’au moins 2 ans d’emprisonnement et est de nature à porter une atteinte grave à la loyauté des transactions ou à l’intérêt des consommateurs :
a) Notifier aux personnes relevant du I de l’article L. 111-7 du présent code les adresses électroniques des interfaces en ligne dont les contenus sont manifestement illicites pour qu’elles prennent toute mesure utile destinée à faire cesser leur référencement ;
b) Notifier aux opérateurs et personnes mentionnés au 1° du présent article ou au 2 du I de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 précitée les adresses électroniques des interfaces en ligne dont les contenus sont manifestement illicites afin qu’ils prennent toute mesure utile destinée à en limiter l’accès ;
c) Ordonner aux opérateurs de registre ou aux bureaux d’enregistrement de domaines de prendre une mesure de blocage d’un nom de domaine, d’une durée maximale de trois mois renouvelable une fois, suivie, si l’infraction constatée persiste, d’une mesure de suppression ou de transfert du nom de domaine à l’autorité compétente.
Ces mesures sont mises en œuvre dans un délai, fixé par l’autorité administrative, qui ne peut être inférieur à quarante-huit heures. Une interface en ligne s’entend de tout logiciel, y compris un site Internet, une partie de site Internet ou une application, exploité par un professionnel ou pour son compte et permettant aux utilisateurs finals d’accéder aux biens ou aux services qu’il propose.
