A quelle date commence à courir la prescription quinquennale en matière de franchise ? La question est centrale, rappelle l’auteure, car il y a la signature et puis il y a l’ouverture. Ici, dix-huit mois s’étaient écoulés entre le premier et le deuxième événement. Avant d’ouvrir, le franchisé peut-il savoir s’il s’est éventuellement fait rouler ? Non, bien sûr, répond la Cour de cassation. Sauf qu’il s’agissait en l’espèce d’un multi-franchisé, professionnel averti donc, dont la première agence Guy Hoquet se trouvait à 17 km de celle en cause. Ce que déclare tout de même comme «irrecevable» l’arrêt rendu par la Haute Cour !
Par Me Cécile Peskine, avocate à la Cour (Linkea)
L’écrivain et homme politique Cassiodore (480-575) la décrivait comme «la protectrice du genre humain introduite pour l’utilité publique» (1) : la prescription est l’un des principes les plus anciens du droit latin, omniprésente tant dans le domaine pénal qu’en matière civile. Elle constitue un véritable couperet permettant à tout individu de ne pas vivre sous la menace perpétuelle d’une action judiciaire. Si la problématique suscite régulièrement des débats de sociétés en matière pénale, le droit de la franchise n’est pas en reste : les contentieux opposant franchiseurs et franchisés amènent fréquemment la question du point de départ de la prescription de l’action en annulation du contrat de franchise intentée par un ancien franchisé.
C’est de ce sujet dont ont été saisis les magistrats de la chambre commerciale, économique et industrielle de la Cour de cassation dans l’arrêt soumis à notre analyse. Dans cette affaire l’ancien franchisé d’un réseau d’agences immobilières était opposé à son franchiseur. Il appartenait à la catégorie des «multi-franchisés» expérimentés, et avait ainsi successivement ouvert deux agences : la première à Lisieux, la seconde à Pont-l’Evêque. Bien qu’ayant renouvelé les contrats le liant à son franchiseur en cours de route (réaffirmant par là même sa confiance à l’égard de l’enseigne), le franchisé avait finalement fermé la seconde agence après quelques mois d’exploitation, et vendu le fonds de commerce faisant l’objet de la première.
Souhaitant faire valoir ses droits à paiement, le franchiseur avait de son côté formé opposition sur le prix de cession du fonds de commerce, et assigné son ancien franchisé en paiement des redevances dues au titre du contrat de franchise et de l’indemnité de résiliation anticipée du contrat. Contre-attaquant, le franchisé soutenait de son côté avoir été victime d’un dol, motif pris d’un prétendu manquement du franchiseur à son obligation d’information précontractuelle sur «l’état réel du marché» en amont de la signature du contrat de franchise relatif à l’agence de Pont-l’Evêque. Plus précisément, le franchisé reprochait à son franchiseur de ne pas l’avoir alerté sur le caractère «sous-dimensionné» du marché local.
N’entendant pas en rester là, le franchiseur opposait de son côté la prescription de cette demande en annulation, formée plus de cinq années après la signature du contrat de franchise concerné – mais seulement quatre ans après l’ouverture elle-même. La règle applicable à ce titre est que les actions en annulation d’un contrat de franchise se prescrivent par cinq années à compter de la date à laquelle «le titulaire du droit allégué a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer» (2). Cette notion du jour où le franchisé s’est rendu compte ou aurait dû s’apercevoir du vice, est ainsi centrale.
A cet égard, la cour d’appel de Paris a d’abord considéré que le franchisé aurait dû s’apercevoir «au fil des jours, des pertes financières qui s’accumulent sans attendre la clôture des comptes annuels» (3). Le bon sens derrière ce raisonnement se doit d’être salué : le franchisé, chef d’entreprise indépendant, se doit de gérer de manière avisée son affaire, et ne peut prétendre ne pas avoir pris conscience de ce qu’elle génère des pertes avant la clôture de son premier exercice comptable. Les franchisés bénéficient en pratique d’outils informatiques de gestion, leur permettant de se rendre compte des performances et non-performances de leur établissement, sans avoir à attendre le retour de leur expert-comptable souvent trois mois après la date anniversaire de leur exploitation. Pour autant, le franchisé est-il en mesure de s’alerter dès la signature du contrat de franchise, et avant même l’ouverture de son agence ?
A cette question, la Cour de cassation répond par la négative, et prononce l’infirmation de l’arrêt d’appel. Elle retient à ce titre que le franchisé avait ouvert son agence en 2012, et qu’il ne pouvait avant cette date avoir connaissance de la réalité du marché local. La demande en annulation introduite moins de cinq années après l’ouverture de l’agence doit en conséquence être considérée comme recevable.
Par suite, l’affaire est renvoyée devant une autre composition de la cour d’appel de Paris, afin de déterminer si la demande d’annulation est fondée.
De là considérer que le franchisé sera gagnant sur le fond du dossier ? Rien n’est moins certain, si l’on s’en tient à la jurisprudence actuelle : il lui sera probablement rappelé que le franchiseur n’a pas l’obligation de lui remettre une étude de marché local, mais seulement un état du marché local (4). Sa qualité de commerçant expérimenté – exploitant déjà une première agence, et une faible distance (17 km) séparant ses deux agences – devront en outre être prises en compte pour apprécier la pertinence de l’accusation fondée sur le dol.
La position prise par la Cour de cassation dans cet arrêt tranche nettement avec celle de la cour d’appel de Paris, qui vient très récemment de considérer dans cinq affaires distinctes que la prescription quinquennale courrait à compter de la signature du contrat de franchise (5), sans avoir à être décalée à la date d’ouverture du point de vente. Autant d’affaires qui donneront donc probablement lieu à de nouvelles jurisprudences de la Cour de cassation…
Notes
1. Rapport n° 338 du Sénat «Pour un droit de la prescription moderne et cohérent» – session ordinaire 2006-2007.
2. article 2224 du Code civil.
3. Cour d’appel de Paris, pôle 5, chambre 4, 30 juin 2021, n° 19/22483.
4. Voir en ce sens notamment Cass. Com., 11 février 2003, n° 01-03.932, et Cass. Com., 7 mars 2018, n° 16-25.654.
5. Cour d’appel de Paris, Pôle 5, Chambre 4, 8 février 2023 – nos 20/01748, 20/01712, 20/04558, 20/04557, 20/04561, 20/04545, 20/01706.
