Les «commentaires définitifs relatifs au régime des indemnités en matière de Tva publiés le 28 décembre par le «Bulletin officiel des finances publiques» ne sont pourtant pas… définitifs, estiment Mes Pierre Appremont et Samuel Drouin. Si le raisonnement, qui s’appuie sur la prestation ou le préjudice découlant des ruptures anticipées de baux soumis à la taxe ou pas, est relativement maitrisable, de nombreuses questions demeurent toutefois en suspens. Notamment sur l’interprétation des circonstances qui peuvent conduire aux redressements fiscaux et aux intérêts de retard…
Par Mes Pierre Appremont, avocat-associé et Samuel Drouin, avocat-counsel (Galm Avocats)
A chaque négociation d’une indemnité, la question finit par se poser : et la Tva ? La réponse est souvent incertaine, ce qui conduit d’ailleurs la pratique à bien souvent appliquer une option et prévoir l’hypothèse inverse… au cas où. Est-ce vraiment du pile ou face ? Normalement non, et l’administration vient de rappeler dans sa doctrine quelques jurisprudences récentes précisant les choses. Avant d’envisager les différents cas de figure possibles en matière locative, rappelons les principes directeurs à avoir en tête pour trouver la solution :
Premier principe : décrire le ou les préjudices indemnisés
Le «préjudice» objet de l’indemnisation a-t-il été subi ou consenti ? C’est la vraie question, car consentir à un préjudice est pour la Tva, la réalisation d’une prestation de service trouvant sa source dans l’acceptation du bénéficiaire de l’indemnité.
Exemple 1 : j’ai un accident de voiture et le chauffard (pas moi évidemment), me verse une somme pour compenser les dommages subis par mon véhicule : pas de Tva car pas de prestation de service.
Exemple 2 : un réalisateur de fi lm me voit en voiture et me propose la même somme pour que je la lui confie afin de réaliser une scène d’accident et me la rend donc endommagée… Tva (si j’agis comme assujetti) car je consens à la dégradation de mon véhicule, ce n’est plus un préjudice.
C’est le même raisonnement en immobilier : un locataire est évincé à l’issue de son bail sans pouvoir s’y opposer, l’indemnité compense un préjudice subi par le locataire et peu importe que son montant résulte d’un accord amiable ou soit fixé par le juge. Le locataire (ou le bailleur) accepte la résiliation anticipée de son bail (il pourrait y résister en appliquant le contrat), l’indemnité versée par l’autre partie est soumise à la Tva car elle rémunère son consentement à modifier le contrat.
Second principe : identifier le régime Tva du bail en cause
A ce principe fondateur et réaffirmé par la jurisprudence, s’en ajoute un autre résultant de la jurisprudence européenne (Cjue, arrêt Lubbock du 15 décembre 1993) : l’indemnité étant un accessoire du bail, elle doit suivre le même régime de Tva. Dès lors, si en raison du principe général précédent, la Tva est applicable, elle ne le sera effectivement que si le bail est lui-même soumis à la Tva.
Ainsi, une indemnité de résiliation anticipée d’un bail d’habitation (exonéré de plein droit de Tva) ne sera pas elle-même soumise à Tva. C’est heureux puisque si c’est le bailleur qui la verse, la Tva qui aurait grevé une telle indemnité n’aurait pas été déductible car se rattachant à l’exploitation d’un immeuble ne produisant de chiffre d’affaires soumis à Tva.
Les précisions de l’administration fiscale
La doctrine administrative récemment mise à jour (BOI-TVA-BASE-10-10-50 du 28 décembre 2022, § 230 et suivants) décline ces principes.
Tout d’abord, s’il en résulte un principe général, c’est… qu’il n’y en a pas ! Ou plus précisément que chaque cas doit être analysé au regard des principes susvisés, et donc qu’il n’y a pas des catégories d’indemnité qui seraient par principe exonérées ou taxables. Ensuite, il faut rappeler que la qualification retenue par l’acte juridique (un protocole d’accord en général) ne lie pas l’administration et n’a pas d’impact sur la qualification fiscale de l’indemnité.
Concernant les situations rencontrées le plus fréquemment, l’administration donne les indications suivantes :
– Le dépôt de garantie versé dans le cadre d’un contrat de réservation d’un immeuble (Vefa généralement) s’il est conservé par le promoteur, faute de réalisation de la vente, est soumis à Tva. La prestation rémunérée est la réservation du bien au profit du signataire du contrat de réservation.
– L’indemnité de résiliation de contrat (de travaux) est en général taxable car c’est la rémunération d’un début d’exécution du contrat ou de la mobilisation de moyens par le prestataire pour rendre la prestation. Dans cette hypothèse, la réponse va donc dépendre, d’une part, du point de savoir si le prestataire a effectivement mis en œuvre des moyens avant la résiliation du contrat et, d’autre part, si on peut le prouver… La situation peut donc être délicate, car les choses ne sont pas toujours si claires.
a) L’indemnité de résiliation anticipée du bail est taxable puisqu’elle rémunère l’acceptation d’une partie au non-respect du contrat initial, l’administration précisant que dans ce cas, la Tva ne sera effectivement applicable que si le bail était lui-même soumis à la Tva. Pour ce cas, l’administration rappelle un arrêt du Conseil d’Etat dans lequel le juge avait cru bon de constater que le départ anticipé du preneur permettait au bailleur de relouer le bien dans des conditions financières plus avantageuses. Cependant, il nous semble que la Tva serait applicable, quelle que soit la motivation des parties et quelle que soit la partie versante.
b) En revanche, l’indemnité d’éviction pour non-renouvellement d’un bail commercial n’est pas soumise à la Tva, le preneur évincé subissant la volonté du bailleur.
c) De même, les indemnités compensant une occupation illégale des locaux du propriétaire et perçues par celui-ci (qui n’a donc jamais consenti à ladite occupation), ne sont pas soumises à Tva.
d) L’indemnité versée par le locataire en contrepartie de ne pas remettre en état les locaux à l’expiration du bail en contravention avec ses engagements contractuels, est soumise à Tva, car ici c’est le bailleur qui renonce volontairement à son droit d’exiger la remise en état par le locataire.
e) Enfin, et pour conclure il n’est pas rare qu’une indemnité transactionnelle compense différents préjudices.
Dans un tel cas, il conviendra de s’assurer du régime Tva de chacun d’entre eux et, le cas échéant, de ventiler l’indemnité entre les «préjudices» taxables (assimilés à une prestation) et les «vrais» préjudices non soumis à Tva ; ventilation qui bien évidemment pourra être contestée ultérieurement.
Conclusion : l’administration a apporté des clarifications utiles mais des incertitudes demeurent
Finalement, si cette mise à jour de la doctrine administrative a le mérite de clarifier certaines situations et d’être opposables à l’administration, elle ne règle pas tous les problèmes et les engagements prévoyant les conséquences d’un redressement fiscal sur ce sujet ont encore de beaux jours devant eux.
Evidemment, cette dernière solution, si elle permet de limiter les conséquences d’une discussion avec l’administration aux intérêts de retard pour les assujettis à la Tva, ne résout pas le problème si le débiteur de l’indemnité a une activité non soumise à Tva et de ce fait ne peut déduire la Tva faisant l’objet d’un redressement.
Une difficulté peut également apparaître concernant le montant net de l’indemnité, la partie versante pouvant considérer que le montant initialement convenu était Ttc et donc qu’en cas de redressement Tva, aucun complément d’indemnité (à hauteur de la Tva en cause) n’est dû à son bénéficiaire.
A noter toutefois que selon la doctrine et la jurisprudence du Conseil d’Etat (statuant sur les redressements notifiés par l’administration), en l’absence de précision contractuelle les montants mentionnés par un contrat doivent être supposés Ttc, alors que, selon la Cour de cassation (statuant sur les litiges privés entre les parties), lorsque le vendeur et le client sont des commerçants, il résulte d’un usage constant entre commerçants que les prix s’entendent hors taxe, sauf convention contraire.
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Extrait du «Bulletin Officiel des Finances Publiques» du 22 novembre 2022
LES COMMENTAIRES DÉFINITIFS RELATIFS AU RÉGIME DES INDEMNITÉS EN MATIÈRE DE TVA
BOI-TVA-BASE-10-10-50 du 28-12-2022. A la suite d’une consultation publique réalisée du 11 mai au 31 juillet 2022, l’administration complète ses commentaires relatifs aux modalités d’assujettissement à la Tva des sommes qualifiées d’indemnités et apporte de nouveaux exemples d’indemnités imposables ou non imposables.
L’administration avait mis en consultation publique, du 11 mai au 31 juillet 2022, ses commentaires publiés aux nos 260 et 310 du nouveau BOI-TVA-BASE-10-10-50 donnant un certain nombre d’exemples d’indemnités soumises ou non à la Tva, notamment issus des arrêts récents de la Cour de justice et de Conseil d’État (FR 27/22 inf. 2 p. 4).
Lors d’une mise à jour du BOI précité du 28 décembre 2022, elle publie ses commentaires définitifs. A cette occasion, elle apporte quelques précisions sur les exemples, déjà fournis, d’indemnités taxables et rajoute de nouvelles illustrations d’indemnités imposables et d’indemnités non imposables à la Tva.
A Noter : l’Administration avait également profité de la mise à jour du 1 1 mai 2022 pour indiquer que le régime de la marge des agences de voyages n’était pas applicable pour les services rendus aux clients dans le cadre d’un contrat d’affrètement ou de coaffrètement et que la part du prix forfaitaire d’une prestation de services de voyages correspondant au transport aérien réalisé via des aéronefs mis à la disposition d’une agence de voyages par la voie d’un tel contrat n’était pas soumise à ce régime (BOI-T VA-SECT_ 60 n° 60). Elle revient sur cette position et supprime ces précisions dans le cadre de la présente mise à jour (le régime de la marge des agences de voyages peut donc bien s’appliquer auxdites opérations).
L’ADMINISTRATION APPORTE DES PRÉCISIONS SUR LES INDEMNITÉS QU’ELLE A CONSIDÉRÉES COMME TAXABLES
L’administration affine ses commentaires précédemment mis en consultation publique et précise, dans la version du 28 décembre 2022, certains points s’agissant des indemnités considérées comme la contrepartie d’un service et, partant, incluses dans la base d’imposition à la Tva.
Indemnités versées en cas de résiliation anticipée d’un contrat
Reprenant à son compte les jurisprudences de la Cour de justice et du Conseil d’Etat, l’administration a indiqué que doivent être soumises à la Tva l’indemnité versée dans le cadre de la résiliation d’un contrat de fourniture de biens, dont l’objectif est de compenser les dépenses engagées par le fournisseur pour la mise en place d’un processus de fabrication et d’assurer ainsi un équilibre économique du contrat (CE sect. 15-12-2000 n° 194696 : Tva-II-5370) ainsi que les sommes prédéterminées perçues par un opérateur économique en cas de résiliation anticipée d’un contrat de prestation de service prévoyant une période minimale d’engagement, lorsque cette période de fidélisation fait partie intégrante du prix total payé pour la fourniture de prestations de services (Cjue 22-11-2018 aff. 295/17 : BF 2/19 inf. 112 ; Cjue 11-6-2020 aff. 43/19 : BF 10/20 inf. 666).
Elle précise désormais, de manière générale, qu’il résulte de ces jurisprudences qu’une somme dont le paiement est prévu en cas de résiliation anticipée du contrat et qui a pour finalité d’assurer l’équilibre économique du contrat doit être considérée comme un élément du prix (BOI-TVA-BASE-10-10-50 n° 260). Elle reprend ainsi expressément ce critère en tant que critère de taxation des indemnités de résiliation.
Par ailleurs, l’administration avait indiqué, en se fondant sur la jurisprudence «Catleya» du Conseil d’Etat (CE 27-2-2015 n° 368661 : Tva-II-5565), qu’étaient imposables les indemnités de résiliation anticipée des baux commerciaux versées, d’une part, par le bailleur en rémunération de la renonciation du locataire à son droit d’occuper le bien et, d’autre part, par le locataire en rémunération de la renonciation du bailleur à son droit de percevoir le loyer. Lors de la présente mise à jour, elle supprime le cas de taxation visé par cette seconde hypothèse qui, comme nous l’avions relevé dans nos précédents commentaires, ne résulte pas directement de l’arrêt «Catleya» précité.
Ainsi selon l’administration désormais, sont imposables les indemnités de résiliation anticipée des baux commerciaux versées par le bailleur, lorsqu’elles rémunèrent la renonciation du locataire à son droit d’occuper le bien et qu’elles permettent ainsi au bailleur de conclure un nouveau bail dans les conditions de marché plus avantageuses (BOI précité n° 260).
A Noter : à cet égard, on rappelle que l’administration admet toutefois, en reprenant en remarque l’arrêt «Lubbock» de la Cour de justice (Cjue 15-12-1993 aff. 63/92 : Tva-II-5560), qu’une telle indemnité ne peut être exonérée si les loyers sont eux-mêmes exonérés.
Sommes versées en cas de dispense de l’obligation de remise en état des locaux en fin de bail
L’administration a indiqué que doivent être soumises à Tva les sommes perçues par le bailleur en contrepartie de la possibilité accordée au preneur de se libérer de son obligation contractuelle de remise en état des locaux à la fin du bail afin de les restituer dans l’état initial. Le fait pour le bailleur de libérer le preneur de cette obligation s’analyse en effet comme une prestation de services consistant à se substituer à ce dernier pour la réalisation des travaux nécessaires de remise en état.
Prix de capacités réservées non utilisées et non remboursables
Tirant les conséquences de la jurisprudence communautaire, l’administration a indiqué que doit être considéré comme contrepartie d’un service et, par la suite, soumis à Tva le prix de capacités réservées non utilisées et non remboursables. Est notamment sans incidence sur cette imposition, la circonstance que le client ne supporte qu’une fraction du prix des capacités réservées et non utilisées.
Pour illustrer ce dernier point, elle donne, à titre d’exemple, le cas d’une réservation de plusieurs nuitées, où seul le prix de la première nuitée est retenu par l’hôtelier (BOI précité n° 260).
DES EXEMPLES SUPPLÉMENTAIRES D’INDEMNITÉS IMPOSABLES OU NON À LA TVA SONT APPORTÉS
La liste des indemnités considérées comme étant contrepartie d’un service et, de ce fait, soumises à la Tva est complétée de l’indemnité d’imprévision prévue à l’article L 6, 3° du Code de la commande publique (BOI précité n° 260).
L’article L 6, 3° prévoit en effet que, lorsque survient un événement extérieur aux parties, imprévisible et bouleversant temporairement l’équilibre d’un contrat administratif relevant du Code de la commande publique, le cocontractant, qui en poursuit l’exécution, a droit à une indemnité. Celle-ci a pour finalité de lui permettre d’assurer l’exécution du contrat en lui attribuant des sommes destinées à couvrir temporairement le déficit d’exploitation lié à la survenance de cet événement.
A Noter : la direction des affaires juridiques du ministère de l’économie et des finances a également actualisé, le 8 décembre 2022, ses «questions-réponses de la Daj» en publiant une nouvelle réponse concluant à l’assujettissement de l’indemnité d’imprévision à la Tva dans les contrats publics (https://www.economie.gouv.fr/daj/assujettissement-de-lindemnite-dimprevesion-la-tva- dans-les-contrat-publics).
En revanche ne doivent pas être soumises à la Tva, selon l’administration, les indemnités d’occupation illégale fixées par une clause pénale du bail pour les situations où l’occupant ne se conforme pas à son obligation de quitter les lieux, lorsque, compte tenu des circonstances de l’affaire, aucune prestation de services ou livraison de bien ne constitue leur contrepartie (BOI précité n° 310).
A Noter : l’administration avait déjà repris à son compte, dans ses commentaires mis en consultation publique, la solution dégagée par le Conseil d’Etat conduisant à exclure de la taxation les indemnités fixées par le juge judiciaire et versées au titre de l’occupation illégale d’un immeuble (CE 30-5-2018 n° 402447 ; FR 32/18 inf. 1 p. 2). Elle considère donc que cette jurisprudence peut être étendue, dans les conditions indiquées, ci-dessus, à une indemnité d’occupation illégale prévue par le bail lui-même.
Ne doivent pas non plus être soumises à la Tva (BOI précité n° 310) :
– L’indemnité d’éviction prévue à l’article L. 145-14 du Code de commerce, selon lequel, si le bailleur peut refuser le renouvellement d’un bail commercial, il doit toutefois (sauf exceptions prévues aux articles L. 145-17 et suivants du même code) payer au locataire évincé une indemnité d’éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement ;
Cette indemnité comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre.
– Les surestaries mentionnées aux articles R. 5423-23 et D. 4451-3 du Code des transports, ainsi que les sommes de même nature relevant du droit de pays étrangers, dans la mesure où ces sommes sont dues en raison de l’inexécution par l’une des parties d’obligations prévues au contrat. Les sommes autres que les surestaries, telles que, par exemple, le frais de port refacturés par l’armateur en raison du dépassement du délai de planche, demeurent soumises à la Tva.
