Très en vogue, les baux précaires sont mis à toutes les sauces, aussi bien par les bailleurs que par les locataires. Leur durée courte porte les parties à croire qu’ils sont moins stricts et l’on voit fleurir toutes sortes d’arrangements, pour ainsi dire entre amis. Quand les juges ont à se pencher sur la question, c’est là que le bât blesse. Dans deux décisions intéressantes de cassation, l’auteure le relève par exemple qu’un congé, bien que donné deux jours avant le terme, suffit à caractériser l’absence de volonté de contracter, et que la poursuite d’un bail dérogatoire en 3x6x9 ne s’invente pas du jour au lendemain, mais à l’origine de la signature… Bref, toute clause n’est pas forcément bonne à prendre, même en bail dérogatoire.
Par Me Estelle Hittinger-Roux, avocate à la Cour (HB&Associés)
Le bail dérogatoire au statut des baux commerciaux possède plusieurs qualités : il peut être une introduction au monde des baux commerciaux pour une affaire naissante, un bon test du relationnel entre les cocontractants ; mais aussi un moyen de se donner du temps pour voir venir, lorsque l’environnement économique n’est plus aussi stable qu’espéré, que ce soit pour le loyer du bailleur ou pour l’emplacement pour le locataire. Cela ne reste pour autant qu’un bail de trois ans au maximum, et cette échéance est un terme que seul l’article L. 145-5 du Code de commerce encadre.
En effet, l’article L. 145-5 du dispose que «les parties peuvent, lors de l’entrée dans les lieux du preneur, déroger aux dispositions du présent chapitre à la condition que la durée totale du bail ou des baux successifs ne soit pas supérieure à trois ans. A l’expiration de cette durée, les parties ne peuvent plus conclure un nouveau bail dérogeant aux dispositions du présent chapitre pour exploiter le même fonds dans les mêmes locaux. Si, à l’expiration de cette durée, et au plus tard à l’issue d’un délai d’un mois à compter de l’échéance, le preneur reste et est laissé en possession, il s’opère un nouveau bail dont l’effet est réglé par les dispositions du présent chapitre. Il en est de même, à l’expiration de cette durée, en cas de renouvellement exprès du bail ou de conclusion, entre les mêmes parties, d’un nouveau bail pour le même local.»
Alors que l’on pourrait être tenté de n’envisager que l’existence d’un seul et unique bail et sa transformation en bail commercial, tout comme on ne voit communément qu’un seul bail commercial malgré ses renouvellements, tout dans la lettre de cet article rappelle qu’il s’agit en réalité d’une succession de baux. Deux espèces ont récemment illustré cet état de fait : la Cour de cassation a rendu deux arrêts portant sur des baux dérogatoires.
Dans le premier (Cass. 3e civ., 11 mai 2022, 21-15.389), la location, dérogatoire avec une durée inférieure à trois ans par un contrat d’un an renouvelable, a fait l’objet d’un congé du bailleur, alors qu’aucune obligation de respecter un délai de prévenance n’était prévue au contrat.
Le congé est intervenu seulement deux jours avant l’échéance. Le locataire souhaitait voir reconnaître le bénéfice du statut, car il s’était maintenu dans les lieux malgré le congé. La Cour a retenu l’effet du congé délivré avant le terme pour dénier le droit au statut du bail commercial. En faisant ainsi primer l’absence de volonté de contracter du bailleur, elle a fait prévaloir la nécessité sous-jacente d’un consentement pour former un nouveau bail.
Dans le second arrêt (Cass. 3e civ., 28 septembre 2022, 21-17.907), la location dérogatoire au statut des baux reposait sur un contrat dont une clause prévoyait «la transformation en bail commercial si aucun congé n’était dénoncé avant le 1er juin», soit six mois avant le terme du contrat et le dépassement des fameux trois ans du statut dérogatoire.
Mais, juridiquement, qu’est ce qu’une «transformation» de contrat ?
Le juge connaît des modifications des obligations du contrat mais se sont ses caractéristiques propres qui déterminent sa qualification. La seule transformation dont il peut connaître est donc celle de la requalification. Cependant celle-ci s’apprécie au moment de la conclusion du contrat et répond aux règles de prescription propres au statut recherché.
Dans l’arrêt précité, le congé a été délivré par le locataire le 10 juin, soit 10 jours trop tard selon la clause, et le bailleur demandait la reconnaissance du statut du bail commercial pour réclamer la totalité des loyers dus jusqu’à la prochaine expiration du délai triennal. La cour d’appel a analysé cette demande en une requalification et l’a rejetée, car elle était prescrite par deux ans. La Cour de cassation est venue valider cette position.
Ainsi, en raison de la clause de transformation du bail, c’est la recherche d’une requalification de ce dernier qui a été étudiée. A défaut, un simple congé avec délai de prévenance aurait pu recevoir un accueil plus favorable.
C’est donc avec une particulière attention qu’il faut désormais apprécier les termes des clauses. Tout comme le terme stipuler est propre au contrat, celui de transformation n’a pas sa place pour le qualifier. N’en déplaise au célèbre chimiste Lavoisier qui affirme : «rien ne se perd, rien ne se crée ; tout se transforme».
> Lire les arrêts rendus par la Cour de cassation le 11 mai 2022
> Lire les arrêts rendus par la Cour de cassation le 28 septembre 2022
