Dans un arrêt du 7 septembre 2022, la Cour de cassation remet à l’heure les pendules du congé sur plusieurs points. Le locataire semblait vouloir partir, le propriétaire ne voulait pas qu’il parte… Mais rien n’était très clair dans cette histoire où le preneur continue de payer un loyer différent, qui est le même que le précédent. C’est l’occasion pour les magistrats de mettre quelques points sur les «i», et pour l’auteure de faire le tour d’une question où tout est affaire… de précision.
Par Me Dominique Cohen-Trumer, avocate au Barreau de Paris (Cabinet Cohen-Trumer), assistée de Robert
L’article L. 145-9 du Code de commerce précise qu’arrivé à son terme, le bail commercial se prolonge pour une durée indéterminée. C’est toute la beauté avant-gardiste du statut et de ses virtualités multiples. Cette tacite prolongation ne prend fin que par l’effet d’une demande de renouvellement ou d’un congé valable dans la forme.
Le renouvellement du bail ne peut donc résulter que d’un acte positif de l’une des parties, acte qui est unilatéral et irréversible – dans le principe puisqu’ensuite chaque partie a un droit d’option et le bailleur un droit de repentir après avoir délivré un congé portant refus de renouvellement, soit un joker chacun.
L’arrêt ici commenté a le mérite d’offrir un cas pratique pour étudiants de 1re année sur la forme et les effets des congés. Ce commentaire vient de Robert, l’ami qui m’assiste ici, et dont j’aurai l’occasion de reparler.
Les parties entretenaient une relation qui pourrait être qualifiée de conflictuelle. Entre la Sarl BM Associés, propriétaire d’un ensemble immobilier à usage de maison de retraite de l’Ain, et la Sarl Emera Ehpad Augusta, locataire suivant acte du 29 septembre 2004 pour une durée ferme de 11 ans et 9 mois, soit jusqu’au 28 juin 2016, le torchon brûlait.
I. LA FORME DU CONGÉ DU PRENEUR
Le preneur avait adressé à son bailleur, le 10 avril 2013, un courrier recommandé avec demande d’avis de réception qui ressemblait à s’y méprendre à une volonté de donner congé («Par la présente, nous vous informons que nous entendons mettre un terme à son échéance au bail…»).
Le bailleur avait alors saisi le tribunal judiciaire de Soissons pour voir prononcer la nullité de ce qui selon lui constituait un congé. Et avait appelé en la cause le conseil départemental de l’Aisne et l’Agence régionale de santé de Nord – Pas-de-Calais – Picardie pour que le jugement à intervenir leur soit déclaré opposable.
Le preneur affirmait pour sa part que le courrier n’était qu’une simple expression d’intention et non un congé, qui pour être valable aurait dû être délivré par acte extrajudiciaire. Il ajoutait que l’appel en cause du conseil départemental et de l’Ars n’avait vocation qu’à l’intimider.
En conséquence de quoi, de conflit sur le congé il n’y avait point vraiment, mais le preneur n’ayant pas acquiescé à la nullité, le tribunal en son jugement du 20 décembre 2018, confirmé en cela par la cour d’Amiens le 22 octobre 2020, donne son avis : il y a bien congé mais il est nul, pour n’avoir pas été donné par acte extrajudiciaire en dépit des dispositions d’ordre public de l’article L. 145-9 alors applicable.
A. Le congé en fin de bail
La loi n° 2014-626 du 18 juin 2014, dite Pinel, avait modifié le dernier alinéa de l’article L. 145-9 du Code de commerce, qui précisait dès lors que le «congé doit être donné par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par acte extrajudiciaire, au libre choix de chacune des parties». Jusqu’à ce que la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, dite Macron, ne le modifie à nouveau un an plus tard, revenant, pour le congé en fin de bail, à l’acte extrajudiciaire.
Est-ce une obligation pour les deux parties ?
A ce jour, l’alinéa 2 de l’article L. 145-4 autorise le preneur à donner congé «à l’expiration d’une période triennale, au moins six mois à l’avance, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par acte extrajudiciaire», sans renvoi à l’article L. 145-9 alors que l’alinéa 3 donne la même faculté au bailleur, dans certaines circonstances (pour reconstruire, surélever, etc.) mais «dans les formes et délai de l’article L. 145-9», c’est-à-dire uniquement par acte extrajudiciaire.
Le preneur doit par prudence opter pour le congé par acte extrajudiciaire, même si la fin du bail coïncide avec une échéance triennale – ce qui n’était pas le cas en l’espèce. Et même si c’est sans logique réelle, puisque c’est le seul cas qui impose au preneur une signification plutôt qu’une notification.
B. Le congé triennal et la demande de renouvellement
Le recours au courrier recommandé avec demande d’avis de réception est en effet possible si le preneur veut délivrer un congé triennal ou une demande de renouvellement en fin de bail. La Cour de cassation a précisé que l’article L. 145-4 est applicable dans sa nouvelle mouture aux baux commerciaux en cours, même conclus antérieurement à la loi Macron (1).
L’article R. 145-38 du Code de commerce précise que dans ce cas la date de notification à prendre en compte est celle du cachet du bureau d’émission pour l’expéditeur et celle de la première présentation par la Poste pour le destinataire. Il est ajouté : «Lorsque la lettre n’a pas pu être présentée à son destinataire, la démarche doit être renouvelée par acte extrajudiciaire».
On l’aura compris, les huissiers ayant entre temps disparu, rien ne vaut une bonne signification par commissaire de justice, pour éviter tout risque de se retrouver hors délai. Même si aucun mouvement de grève n’est annoncé ajoute mon compagnon fidèle.
En l’espèce, pour ce que cela vaut, le bail imposait la délivrance du congé en fin de bail par acte extrajudiciaire.
II. LES EFFETS DU CONGÉ DU BAILLEUR
Mais l’essentiel était ailleurs : si le bailleur soutenait la nullité du non-congé, c’est qu’il avait lui-même fait délivrer au preneur un congé avec offre de renouvellement le 30 mars 2016 à effet du 1er octobre 2016, premier jour du trimestre suivant le délai de préavis de 6 mois, puisque le bail était alors en cours de tacite prolongation. Quant au preneur, il avait exercé son droit d’option et refusé le renouvellement par acte du 28 septembre 2018 soit avant les deux ans de la date d’effet du congé.
Résumons : le preneur voulait sortir des liens contractuels tandis que le bailleur cherchait par tous moyens à l’y enfermer.
Le preneur – tout comme le bailleur d’ailleurs – peut en vertu de l’article L. 145-7 exercer son droit d’option et refuser le renouvellement qui lui est offert, tant que le loyer n’est pas définitivement fixé judiciairement ou à l’amiable. Or en l’espèce, chacune des parties pouvait saisir le juge des loyers de la fixation du loyer de renouvellement jusqu’au 30 septembre 2018, après quoi l’action en fixation du loyer était prescrite par application des dispositions de l’article L. 145-60. Le droit d’option exercé deux jours avant ce délai de deux ans était donc a priori valable.
Pas pour le bailleur néanmoins, qui soutenait que le bail était déjà renouvelé pour 9 ans ferme lorsque le droit d’option avait été exercé par le preneur.
A. Le loyer en cours est-il un nouveau loyer ?
Le congé du bailleur précisait que le renouvellement était «subordonné à la modification du montant du loyer en application de l’article L. 145-11 du Code de commerce et aux conditions et clauses nouvelles suivantes à insérer dans le bail renouvelé :
• Un loyer annuel hors taxes et hors charges renouvelé fixé à sa valeur actuelle soit : 190.334,68 euros,
• Une durée de neuf années ferme sans faculté de résiliation triennale conformément aux termes du bail initial.»
La condition nouvelle d’un loyer fixé au loyer en cours laisse pensif. Le bailleur soulignait finalement que le renouvellement était donc proposé au même loyer que celui en cours, et que le preneur, en se maintenant dans les lieux et en réglant ledit loyer pendant près de 2 ans avait tacitement accepté le renouvellement à ce prix, et que donc son droit d’option n’était pas valable.
Le preneur insistait : le bailleur avait bien écrit qu’il proposait de nouvelles conditions de loyer et le fait que le montant coïncide avec le loyer en cours payé, ne prouvait pas qu’il s’agissait du même loyer.
A ce stade Robert, alias Robot-Justice 492, l’IA qui m’accompagne donc pour ce commentaire, fulmine et il me faut le calmer en lui tendant un Code de la route à ingurgiter pour détourner son attention. Ce qu’il fait en une nano seconde.
La cour d’Amiens, infirmant sur ce point le jugement, indique : «Quand bien même s’agirait-il du loyer prévu par le bail de 2004, comme l’indique» le preneur, «il s’agit néanmoins d’un nouveau loyer». En s’en acquittant, le preneur a accepté ce nouveau loyer, ce qui démontre un accord tacite sur le prix entre les parties. Un bail s’est donc formé au nouveau loyer à compter du 1er octobre 2016 et le droit d’option du preneur n’est pas valable.
Robert demande, d’un air faussement suave : et quel autre loyer le preneur pouvait-il bien régler, je te prie, sans commettre de faute ? Je lui tends les œuvres complètes de Kafka, ce qui me laisse un répit de quelques millièmes de seconde, car il lui faut théoriser le fait que cet apport n’a rien – ou si peu – à voir avec le droit.
«En statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser l’acceptation tacite sans équivoque par la locataire de l’offre de renouvellement, alors que le loyer offert correspondait au loyer stipulé au bail initial…». L’arrêt est cassé et mon ami rasséréné. Car cela correspond très exactement à ce qui est jugé de manière constante et logique.
Peut-être le bailleur s’était-il pris à rêver à la lecture d’un arrêt du 15 avril 2021 (2). La Cour suprême y approuvait une cour d’appel d’avoir retenu qu’un accord était intervenu, y compris sur le loyer de renouvellement, après avoir constaté que le preneur avait formulé une demande de renouvellement du bail aux clauses et conditions du précédent bail, sans mention d’aucune réserve, et que le bailleur avait exprimé son accord pour un renouvellement aux mêmes clauses et conditions antérieures.
Mais rien de tel en l’espèce. Le congé n’était pas clair et le preneur n’avait rien accepté. La sanction était inévitable.
La règle est simple : à réception d’un congé du bailleur, le preneur n’a rien à faire, il a toujours 2 ans pour contester le congé. Sauf s’il l’accepte de manière formelle ou qu’il règle un loyer proposé, différent de celui en cours. Même si à vrai dire et sur un plan pratique, un simple courrier du preneur marquant son refus du loyer demandé aurait évité de recourir à la Cour de cassation.
B. La durée du bail
Le deuxième alinéa de l’article L. 145-4 se termine ainsi : «Les baux conclus pour une durée supérieure à neuf ans, les baux des locaux construits en vue d’une seule utilisation, les baux des locaux à usage exclusif de bureaux et ceux des locaux de stockage mentionnés au 3° du III de l’article 231 ter du Code général des impôts peuvent comporter des stipulations contraires.» Ce qui signifie que ces baux peuvent prévoir des périodes fermes, qui s’imposent au preneur.
Dans les autres cas, le preneur a un droit d’ordre public à résilier le bail aux échéances triennales.
Dans notre espèce il était prévu au bail qu’à la fin de la première période de 11 ans et 9 mois, le bail serait renouvelable par périodes de 9 ans ferme.
Poursuivant sur sa lancée, le bailleur soutenait donc que le bail s’était définitivement renouvelé pour 9 ans ferme, ce qui ne posait pas problème s’agissant de locaux monovalents. Il avait été suivi en cela par la cour d’appel, qui avait là encore infirmé la décision de première instance. La cour avait justifié sa décision par le fait que «les locaux loués, étant à usage de maison de retraite, doivent être qualifiés de locaux monovalents, ce qui permet, à raison de cette seule utilisation de conclure un bail d’une durée de neuf ans ferme sans faculté de résiliation triennale, comme en l’espèce.» Ainsi le bail ayant été renouvelé à compter du 1er octobre 2016 pour une durée ferme de neuf années, soit jusqu’au 30 septembre 2025, le preneur, qui avait quitté les lieux suite à son droit d’option, était condamné à payer les loyers jusqu’à cette date, soit 1.296.516,80 euros HT.
Du coin de l’œil, j’observe que Robert s’est mis à rechercher tout ce qui concerne la médecine. Interrogé du regard, il répond laconiquement que c’est une science peut-être plus exacte.
Pas forcément. Sur pourvoi du preneur la Cour de cassation estime que la cour d’appel n’avait pas non plus constaté l’accord du preneur pour un bail ferme de 9 ans.
Rappelons par ailleurs que l’article L. 145-12 précise : «La durée du bail renouvelé est de neuf ans sauf accord des parties pour une durée plus longue.» Depuis dix ans la Cour de cassation estime que cet alinéa est d’ordre public et qu’un bail se renouvelle pour 9 ans, quelle que soit sa durée contractuelle, certes sauf meilleur accord des parties, mais au moment du renouvellement (3). Solution qui ne coulait pas de source et qui n’a pas de réelle logique dès lors qu’un bail est sensé se renouveler à ses clauses et conditions sauf de loyer, que la formule «sauf accord des parties» signe habituellement le caractère supplétif d’une disposition et que le plafonnement n’est pas d’ordre public.
Robert soupire. Il est heureux d’être devenu neurochirurgien et se désintéresse totalement du sujet. D’où il se déduit, qu’il vaut mieux consulter l’IA avant d’agir en justice, plutôt que pour commenter des décisions. Et qu’il va être difficile de fidéliser des IA sur la matière du bail commercial.
Notes
(1) Cass. 3e civ., 24 oct. 2019, n° 18-24.077
(2) Cass. 3e civ., 15 avr. 2021, n° 19-24.231
(3) Cass. 3e civ., 2 oct. 2002, n° 01-02.781 ; Cass. 3e civ., 18 juin 2013, n° 12-19.568
> Lire l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 7 septembre 2022
