Véritable serpent de mer reliant le Vieux-Port au bassin de La Joliette, la rénovation de la rue de la République de Marseille n’en fi nit pas de vieillir… On la croyait renaissante, sa réincarnation patauge entre un premier positionnement faussement national, des changements de propriétaires successifs et des crises économiques ou commerciales épuisantes. Le projet de restructuration de ses magnifiques immeubles Troisième Empire a pourtant de quoi séduire. Ses commerces de pied d’immeubles aussi, car la zone de chalandise et ses atouts existent. Mais c’est à elle seule qu’il faut s’adresser, en oubliant l’agglomération où à peu près toutes les enseignes de la Terre sont déjà présentes.
Par Jérôme Le Grelle, président de Retail Strategy Innovation (Rsi)
Voilà plus de 150 ans que cet axe inauguré en août 1864, après une restructuration urbaine et architecturale exceptionnelle, peine à trouver sa place au sein de la ville bouillonnante et cosmopolite de Marseille. Longue de près de 1 km et demi, rassemblant quelques 135 000 m², 1 450 logements, plus de 300 commerces, la rue de la République est le fruit d’une ambition à laquelle se raccrochent pourtant les différents propriétaires qui se succèdent depuis sa création. En 2007, Atemi, pour 200 millions, reprenait à Lone Star, qui les avait acquis en 2005 pour 100 millions, 600 logements et 50 000 m² de commerces, devenant avec Anf, les deux principaux propriétaires de l’une des plus grandes artères de France.
Dix ans après, Anf jette l’éponge. Il revend ses actifs pour 400 millions à Primonial qui promet un repositionnement qui allait (enfin !) sortir cet axe de l’ornière dont il n’arrivait pas à s’extraire depuis sa création.
En 2022, si des progrès ont été faits et si la transformation est incontestable au niveau des logements, des bureaux comme pour l’immobilier de services (résidences, hôtels…), le commerce reste dramatiquement à la peine, marquant cette rue d’une gangrène de la vacance commerciale – malgré ses façades parées de vitrophanie, véritable cache misère signe des difficultés considérables qui restent encore à surmonter. A tel point que la question se pose ouvertement de savoir si l’on pourra voir un jour, ici, un linéaire commercial vivant et animé de bout en bout ; ou si celle-ci est-elle définitivement frappée de malédiction ?
Les atouts semblent pourtant présents, la rue rassemblant tous les critères d’une bonne commercialité :
– une localisation de choix, en cœur de ville, à la fois quartier et lieu de destination,
– un axe majeur, reliant le vieux port à la place de la Joliette, irrigué par de multiples moyens de transport dont le tram qui le traverse de part en part,
– une zone de chalandise qui se renforce et se recompose progressivement à la faveur des réhabilitations,
– une maîtrise foncière de deux propriétaires permettant de concevoir et de mettre en œuvre un programme cohérent, et suffisamment puissant pour faire de cette rue la destination marseillaise !
Les études et analyses menées pour arriver à cet objectif, puis pour tenter de comprendre les difficultés à faire émerger la rue au plan commercial, ont été engagées avec la régularité d’un métronome, réussissant tout au plus à parer de jolis mots d’experts, les maux dont souffrait la rue, sans pour autant que les solutions proposées renversent la tendance. Et si depuis le départ, on ne s’était pas tout simplement trompé sur le potentiel réel de la rue ?
En effet, 300 commerces représentent en nombre de boutiques, une offre comparable à celle des plus grands centres commerciaux de France ; avec 40 000 m², la rue peut également se comparer à une multitude de centres commerciaux, comme ceux à proximité immédiate ; en particulier Centre Bourse (6 millions de visiteurs), ou Les Terrasses du Port (10 millions) : des ensembles créés ex-nihilo, conçus de A à Z et gérés avec des moyens colossaux pour générer leurs propres flux.
Pour exister dans cet océan de concurrence, les plus optimistes ont vu le salut dans la recherche d’un positionnement «spécifique». Raisonnement tout à fait pertinent, motivé par le constat que presque toutes les enseignes nationales sont déjà présentes à Marseille, implantées sur des sites ayant un déjà historique. Celles qui ont tenté l’aventure, ont dû baisser le rideau à l’instar de Sephora, ou d’H&M. Enseignes de mass-market, elles ont besoin de flux et d’une certaine clientèle qui ne vient toujours pas, captée par les autres zones commerciales de la ville.
Seules les enseignes du quotidien et de la proximité arrivent tant bien que mal à tenir, comme le Monoprix qui s’accroche depuis 2013. L’arrivée et l’ancrage réussis de concepts comme Babel&Community, Sophie Ferjani, The Factory, Il Cuoco, Gilbert&Marguerite et d’autres encore, montrent qu’un positionnement différenciant et de proximité peut trouver sa place et créer cette image singulière, cosmopolite et innovante, loin du positionnement haut de gamme, imaginé à l’arrivée de Lone Star et d’Atemi en 2007. A cette date, pointaient déjà les signes avant-coureurs de la crise du commerce dans laquelle nous sommes plongés, marquée par la baisse des trafics et des rendements, la fragilisation des secteurs qui avaient tiré la commercialisation des polarités commerciales, de centres commerciaux comme des grands artères urbaines.
Le développement de la rue de la République a d’autant plus souffert de cette tendance qui n’a fait que s’accélérer, qu’elle n’a jamais réussi à se stabiliser, condition sine qua non pour être capable de lutter et de résister. Cette fragilité inhérente à l’état inachevé de la rue qui dure depuis trop longtemps. Elle a eu raison des premières enseignes installées, et a créé une instabilité permanente, empêchant de concrétiser cette fameuse commercialité à laquelle les atouts de la rue de la République, évoqués plus haut, nous avaient fait tant croire.
Avec la question de la commercialité de la rue, se pose également la question qui fâche sur valeur locative des commerces ?
Projet développé à contre-courant du marché, il y a bien eu erreur au départ sur sa valorisation financière. Les investisseurs, qui n’ont pas lésiné sur les efforts financiers, que ce soit en termes d’investissement travaux ou marketing, mais aussi au niveau de la commercialisation, ont tous finis par être confrontés au redoutable effet de ciseaux provoqué par des dépenses croissantes et des perspectives de flux locatifs déclinantes…
Faut-il pour autant abandonner les ambitions d’hier, et ne plus croire en la rue de la Rép. ? L’arrivée de nouveaux concepts plus adaptés aux besoins d’une clientèle de proximité, et plus largement à ceux des Marseillais, marque un début de réponse et montre la voie pour un positionnement spécifique. Mais il est aujourd’hui impossible d’affirmer que le renforcement de cette spécificité suffira à faire venir d’autres concepts du même type, lesquels, s’ils existent, ne suffiront pas résorber la vacance dans son intégralité. Nul doute que le dimensionnement est aujourd’hui l’un des freins qui empêche la rue de trouver sa véritable vocation et de stabiliser son offre. C’est pourtant par ici que passera son ancrage marseillais, avec la fidélisation et le développement de sa clientèle propre.
