On savait que les clauses d’échelle mobile doivent assurer la variation des loyers aussi bien à la hausse qu’à la baisse. Dans un premier temps, les tribunaux ont fait sauter les dispositifs qui ne parlaient que d’augmentation. Dans un second temps, ils les ont fractionnés, pour ne réputer non-écrite que la partie litigieuse. Mais en étudiant de près l’arrêt rendu le 12 janvier par la Cour de cassation, de sérieuses zones grises subsistent. Car outre le fait que l’arrêt semble écorner l’esprit du Code monétaire, la décision introduit une différence entre les différents baux immobiliers qui n’apparaît guère de saison en ces temps inflationnistes. Et les formules sacramentales n’y changent rien, explique clairement Me Jean-Philippe Confino.
Me Jean-Philippe Confino, avocat-associé (Cabinet Confino)
La Cour de cassation persiste et signe : une clause d’indexation qui ne joue qu’à la hausse est contraire à l’ordre public, et doit donc être effacée. Mais seule la stipulation prohibée doit être réputée non-écrite. Et le caractère essentiel et «déterminant» de la clause n’empêche pas sa divisibilité.
Tel est l’enseignement d’un arrêt du 12 janvier 2022 (Cass. civ. 3, 12 janvier 2022, n° 21-11.169, FS-B), par lequel la Cour de cassation rappelle tout d’abord que les clauses d’indexation doivent toujours pouvoir jouer à la hausse comme à la baisse. A défaut, elles sont réputées non-écrites, ce qui signifie que l’on doit faire comme si elles n’avaient jamais existé. Rien de nouveau là-dedans, car les décisions qui ont consacré cette solution, depuis un arrêt remarqué du 14 janvier 2016, sont nombreuses.
L’arrêt réitère ensuite ce qu’une précédente décision de la même chambre avait indiqué dans un précédent arrêt en date du 30 juin 2021 (n° 19-23.038, FP-B+C : JurisData n° 2021-010560), à savoir qu’une clause d’indexation qui exclut toute réciprocité de variation, si elle ne crée pas la distorsion prohibée par l’article L. 112-1 du Code monétaire et financier (affirmation mathématiquement contestable), fausse le jeu normal de l’indexation.
En sorte que le fondement textuel de l’action tendant à voir déclarer non-écrite la clause d’indexation ne serait pas l’article L. 112-1 du Code monétaire et financier (bien connu désormais des praticiens de la question)… mais l’article L. 145-39 du Code de commerce. Débat stérile de juristes ? Que nenni : tandis que l’article L. 112-1 du Code monétaire et financier a vocation à s’appliquer à tout contrat à exécution successive (autrement dit qui s’exécute dans le temps), l’article L. 145-39 du Code de commerce, lui, ne pourra jouer qu’en présence d’un bail soumis au statut des baux commerciaux !
Aussi, si le fondement juridique choisi par la Cour de cassation ne convainc pas (1), la solution adoptée aboutit surtout à une aberration à un double titre :
1) d’abord au plan économique, parce que les règles qui encadrent l’évolution des clauses d’indexation dans les affaires ont avant tout un but politique, à savoir éviter ou limiter l’inflation monétaire, et ce quelle que soit la convention en question ; c’est pour cela qu’elles sont d’ordre public, et qu’elles sont posées au Code monétaire et financier ;
2) ensuite au plan de l’équité dans le monde de l’immobilier, car il n’y a aucune raison de faire un cas à part des baux statutaires, et de permettre ainsi a contrario des clauses d’indexation à sens unique pour les autres baux. Or les cas sont nombreux : baux commerciaux non soumis au statut, baux dérogatoires, baux professionnels, baux d’habitation, baux à construction, etc.
Mais l’arrêt va plus loin.
Il précise en effet, par une formule qui n’est certes pas nouvelle mais qui va à contre-courant des premières décisions en la matière, que «seule la stipulation prohibée doit être réputée non-écrite.» En clair : inutile de croire encore que l’on pourra effacer purement l’indexation et ses effets dans la limite de la prescription quinquennale et, corollaire, revenir au loyer contractuel non indexé : il faudra en effet s’attacher à ne gommer que la «stipulation prohibée», c’est-à-dire l’ensemble de mots ou de phrases qui ont un objet ou un effet contraire à un texte d’ordre public.
Par exemple, si un membre de phrase ou un alinéa viennent interdire ou limiter les baisses de loyer en cas de baisse de l’indice, il faudra bien les considérer comme non-écrits, mais le reste de la clause d’indexation devra perdurer. Et l’on devra donc «seulement» recalculer le loyer tel qu’il aurait évolué avec une clause d’indexation normale, débarrassée de sa stipulation illicite. De quoi soulager les bailleurs…
En 2018, lorsqu’elle commentait elle-même son propre arrêt rendu par la même 3e chambre le 29 novembre de la même année, la Cour de cassation introduisait toutefois une exception notable à ce qui vient d’être dit. Elle expliquait que pour pouvoir n’effacer que la seule «stipulation prohibée», il fallait encore (notamment) que cette dernière puisse être isolée du reste de la clause, et que cette stipulation ne soit pas essentielle à l’expression de la volonté des parties de soumettre le loyer à une clause d’indexation.
Certains praticiens en ont alors déduit qu’en présence d’une clause d’indexation, comme on en rencontre souvent, comportant la formule selon laquelle le mécanisme prévu est une condition essentielle et déterminante du consentement du bailleur, mécanisme «sans lequel il n’aurait pas contracté», il n’était pas possible d’isoler telle ou telle partie de la clause, en sorte que c’est bien toute l’indexation qui devait alors être effacée. Toutefois, par un premier arrêt du 30 juin 2021, la 3e chambre de la Cour de cassation a censuré la cour d’appel de Versailles qui avait raisonné de la sorte, au motif qu’une telle formule générale (2) était impropre à caractériser «l’indivisibilité» de la clause (notion qui reprenait, indirectement mais imparfaitement, les conditions expliquées trois ans plus tôt).
Par cet arrêt du 12 janvier 2022, la Cour de cassation enfonce le clou : selon elle, la formule selon laquelle la clause d’indexation tout entière est une condition essentielle du consentement du bailleur sans laquelle il n’aurait pas contracté, «n’est pas de nature à caractériser l’indivisibilité». Et de rappeler en guise de conséquence et de conclusion du même attendu, que «seule la stipulation prohibée doit être déclarée non-écrite». Le sens de l’arrêt est donc clair : ce n’est pas parce l’on affirme par une formule sacramentelle que toute la clause d’indexation essentielle et déterminante de la volonté des parties, que la stipulation prohibée est indivisible de celle-ci.
En conséquence, dans la mesure où la question de l’indivisibilité de la clause prohibée demeure centrale, il faudra rechercher ailleurs l’intention des parties de conférer précisément à la stipulation illicite (et pas à tout le mécanisme de l’indexation), un caractère essentiel et déterminant. Par exemple, on peut raisonnablement penser que si les parties ont expressément énoncé que le mécanisme prohibé était lui-même déterminant du consentement du bailleur, ou de la volonté des parties de se soumettre à l’indexation (pour reprendre une formule employée par la Cour de cassation dans son commentaire de son arrêt de 2018), alors on peut certainement parler «d’indivisibilité de la clause», et effacer la clause d’indexation en son entier.
L’effacement total des clauses d’indexation n’est donc pas impossible, malgré la volonté affichée de la Cour de cassation de tarir ce contentieux pourtant sain, surtout à l’aube d’une période où l’on reparle des dangers de l’inflation.
Notes
1. V. Le réputé non écrit partiel : la Cour de cassation enfonce le clou, Commentaire Lexbase Hebdo, édition affaires n° 705 du 10 février 2022, par Alain Confino et Jean-Philippe Confino.
2. i.e. «une condition essentielle du consentement du bailleur, sans laquelle il n’aurait pas contracté».
> Lire également l’arrêt rendu l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 12 janvier 2022
