En attendant le décret d’application qui ne semble pas pressé de venir, la loi Climat administre désormais l’urbanisme commercial. Il faut s’y faire. Le recul est suffisant pour que l’on puisse tracer des perspectives sur son application et en tirer des enseignements. Point d’étape complet et documenté d’un texte réformateur du développement de l’immobilier de commerce.
Par Me Alexia Robbes, avocate-associée (Adden)
La loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite «loi Climat», comporte de très nombreuses dispositions. Elle s’organise ainsi en huit titres : Atteindre les objectifs de l’accord de Paris et du Pacte vert pour l’Europe ; Consommer ; Produire et travailler ; Se déplacer ; Se loger ; Se nourrir ; Renforcer la protection judiciaire de l’environnement ; et Dispositions relatives à l’évaluation climatique et environnementale. Après de nombreux débats entre les chambres des assemblées, la commission mixte paritaire (Cmp) a tranché.
Parmi les mesures emblématiques, la question des autorisations d’exploitation commerciale (Aec) et surtout, la problématique d’artificialisation des sols qu’entraîne l’augmentation des commerces, a fait l’objet d’un article 215 de la loi (I). C’est ainsi que la loi Climat, après avoir posé un principe d’interdiction générale de délivrance des autorisations d’exploitation commerciale lorsque le projet en cause implique une augmentation de l’artificialisation des sols (A), pose néanmoins plusieurs dérogations (B) mais également un moratoire pour les projets devant dépasser 10 000 m² de surface de vente (C). En prévoyant toutefois un avis conforme du préfet pour les projets compris entre 3 000 m² et 10 000 m² de surface de vente, l’article 215 de la loi Climat interpelle sur ce que sera exactement cette mesure, dans l’attente du décret à venir (D).
Enfin, les autres mesures de la Loi Climat relatives à l’urbanisme commercial (II), qu’il s’agisse de l’extension de la faculté de saisine facultative de l’article L. 752-4 du Code de commerce (A) ou de la diminution des seuils prévus en matière de mesures facilitant la performance énergétique (B), poursuivent également un objectif tendant à la diminution de l’impact des surfaces de vente et projets commerciaux sur le climat. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’abandon de la mesure portant sur la soumission des entrepôts logistiques à autorisation d’exploitation commerciale surprend autant (C).
I. L’artificialisation des sols, le nouveau critère de délivrance des autorisations d’exploitation commerciale
A. Un principe d’interdiction générale si le projet implique une artificialisation des sols
L’article L. 752-6 du Code de commerce, qui pose les critères de délivrance des Aec par les commissions départementales d’aménagement commercial (Cdac) et la Commission nationale d’aménagement commercial (Cnac), organise dorénavant un principe général d’interdiction de tout projet impliquant une artificialisation des sols. Ainsi, le V de cet article prévoit que les commissions ne peuvent valablement rendre d’avis favorable, ou délivrer une autorisation d’exploitation commerciale, lorsque l’implantation ou l’extension envisagée implique une artificialisation des sols au sens du neuvième alinéa de l’article L. 101-2-1 du Code de l’urbanisme, et ce, quand bien même les autres critères pris en considération par les commissions seraient tous satisfaits.
A lui seul, le critère de l’artificialisation des sols est donc rédhibitoire. Que faut-il donc entendre par cette notion d’artificialisation des sols, si déterminante du coup dans la délivrance de ces autorisations, et donc dans la création ou l’extension des surfaces de vente ? Le législateur a ainsi considéré que «l’artificialisation est définie comme l’altération durable de tout ou partie des fonctions écologiques d’un sol, en particulier de ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques, ainsi que de son potentiel agronomique par son occupation ou son usage» (1). La notion d’artificialisation est donc plus large que celle de l’imperméabilisation des sols, qui était déjà prise en compte par les commissions, et ce notamment depuis la circulaire dite Castex du 24 août 2020 (2).
Pour autant, un sol qui serait déjà altéré, soit parce qu’il a été pollué, comporte des déchets, ou encore simplement s’il peut être démontré par le biais d’une étude réalisée par un écologue, que ses fonctions écologiques ont été réduites à néant du fait d’une exploitation passée dudit terrain, sera considéré comme déjà artificialisé. On peut s’interroger sur la manière dont cette notion d’artificialisation doit être appréciée. S’agira-t-il d’un bilan des mètres carrés concernés au sein de la parcelle du projet au global ou pourra-t-on considérer qu’une parcelle dont une partie majoritaire aurait déjà été artificialisée, est déjà artificialisée au motif que ses fonctions écologiques auraient déjà été durablement altérées ? Espérons que le décret d’application tant attendu règle bien cette question.
B. Des dérogations
Le porteur d’un projet peut toutefois échapper à ce principe général d’interdiction si, dans l’analyse d’impact de son dossier, il démontre que «son projet s’insère en continuité avec les espaces urbanisés dans un secteur au type d’urbanisation adéquat, qu’il répond aux besoins du territoire et qu’il obéit à l’un des critères suivants :
1° L’insertion de ce projet, tel que défini à l’article L. 752-1, dans le secteur d’intervention d’une opération de revitalisation de territoire ou dans un quartier prioritaire de la politique de la ville ;
2° L’insertion du projet dans une opération d’aménagement au sein d’un espace déjà urbanisé, afin de favoriser notamment la mixité fonctionnelle du secteur concerné ;
3° La compensation par la transformation d’un sol artificialisé en sol non artificialisé, au sens de l’avant-dernier alinéa de l’article L. 101-2-1 du Code de l’urbanisme ;
4° L’insertion au sein d’un secteur d’implantation périphérique ou d’une centralité urbaine identifiés dans le document d’orientation et d’objectifs du schéma de cohérence territoriale entré en vigueur avant la publication de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets ou au sein d’une zone d’activité commerciale délimitée dans le règlement du plan local d’urbanisme intercommunal entré en vigueur avant la publication de la même loi».
Que conclure de ces dérogations possibles ?
Déjà, pas de dérogation si on ne se situe pas dans une zone urbaine, ni en continuité avec les espaces urbanisés : pas de dérogation donc en secteur d’urbanisation diffuse. La loi pose logiquement une exception si le projet s’insère dans un secteur d’opération de revitalisation du territoire, ou dans des quartiers prioritaires, dans lesquels l’État vise une densification des commerces depuis maintenant plusieurs années.
Dérogation également si le projet s’insère dans une opération d’aménagement : il nous semble que ce faisant, le législateur a souhaité renvoyer aux opérations d’aménagement de l’article L. 300-1 du Code de l’urbanisme. Pour rappel, les opérations d’aménagement visées à cet article désignent l’ensemble des opérations des collectivités locales ou des Epci portant sur des projets urbains de créations de logements, de zones d’activités économiques ou encore de mise en valeur de patrimoine bâti, telles que les zones d’aménagement concerté par exemple.
Dérogation aussi dans le cas où le projet s’insère dans une zone spécifiquement identifiée dans le document d’orientations et d’objectifs (Doo) du schéma de cohérence territoriale (Scot).
Le dernier cas analysé porte sur la possibilité de bénéficier d’une dérogation en cas de compensation par la transformation d’un sol artificialisé en un sol non artificialisé c’est-à-dire par une opération visant «la renaturation d’un sol, ou désartificialisation, [lequel] consiste en des actions ou des opérations de restauration ou d’amélioration de la fonctionnalité d’un sol» (3). Un décret est attendu sur ce point, notamment afin de déterminer la pondération éventuelle à appliquer et identifier les différentes catégories de sols à compenser le cas échéant. Il nous semble qu’une pondération de 1 m² artificialisé en 1 m² de retour à un sol non artificialisé pourrait être envisagée.
Ces dérogations ne sont toutefois applicables que pour les projets de création ou extension de magasins de commerce de détail ou d’ensembles commerciaux de moins de 10 000 m² de surface de vente.
C. Le seuil de 10 000 m² de surface de vente et ses conséquences
Ainsi, dans son avis rendu sur le projet de loi Climat, le Conseil d’État avait condamné le principe d’une interdiction générale et absolue, ce qui avait conduit le législateur à introduire des possibilités de dérogations au cas par cas, en lieu et place du moratoire réclamé par certains.
Pourtant, il n’en demeure pas moins que depuis l’entrée en vigueur de la loi Climat précitée le 25 août 2021, les projets de plus de 10 000 m² de surface de vente impliquant une artificialisation des sols ne sont plus autorisés. Par la mise en place de ce seuil, le législateur a donc bel et bien mis en place un moratoire sur ces projets qui sont désormais purement et simplement interdits.
Pour les sites commerciaux qui dépassent déjà ce seuil de 10 000 m² de surface de vente, la loi Climat n’autorise que «l’extension de la surface de vente d’un magasin de commerce de détail ou d’un ensemble commercial ayant déjà atteint le seuil des 10 000 m² ou devant le dépasser par la réalisation du projet, dans la limite d’une seule extension par magasin ou ensemble commercial et sous réserve que l’extension de la surface de vente soit inférieure à 1 000 m²». Ce faisant, la loi organise également un quasi-moratoire pour les magasins ou ensembles commerciaux ayant déjà dépassé ce seuil désormais fatidique de 10 000 m² en autorisant une seule et unique respiration : une extension de moins de 1 000 m² en une seule fois… Une fois utilisée cette unique possibilité, toute densification ou extension impliquant une artificialisation des sols sera désormais interdite.
D. Avis conforme du préfet requis pour les projets entre 3 000 m² et 10 000 m²
Enfin, les projets de création ou d’extension compris entre 3 000 m² et 10 000 m² de surface de vente sont soumis à un avis conforme du préfet.
A la lettre, la loi semble prévoir que le préfet soit saisi dans le cadre de l’instruction de la demande d’Aec par la Cdac (comme l’est la Cdac dans le cadre de l’instruction d’un Pc valant Aec) lorsque la demande porte sur un projet nécessitant une artificialisation et une dérogation. Il doit rendre un avis conforme qui s’impose à la Cdac. Si le préfet formule un avis défavorable, la Cdac serait donc en situation de compétence liée et devrait rendre un avis défavorable ou un refus.
Une problématique concerne alors l’articulation de cet avis conforme du préfet et de l’avis de Cnac. En effet, si la loi prévoit un avis conforme du préfet, faut-il comprendre que la Cnac n’a pas la possibilité d’être saisie dans le cadre d’un recours préalable obligatoire (Rapo) par le pétitionnaire lorsque le préfet a délivré un avis défavorable et la Cdac, en situation de compétence liée, également ? Si tel devait être le cas, il conviendrait alors de prévoir des modalités particulières dans le décret pour supprimer la possibilité d’un Rapo dans ce cas particulier.
Ainsi, le législateur a prévu qu’un décret devait venir préciser «les modalités d’application du présent V ainsi que les projets considérés comme engendrant une artificialisation des sols». Un décret est attendu sur l’articulation de cet avis rendu en matière d’aménagement commercial et l’instruction du permis ; quant à la clarification des projets engendrant une artificialisation des sols par décret, ce texte serait peut-être plus incertain. Attendons la position du gouvernement et les retours sur les concertations !
Qu’en est-il donc de la mise en œuvre de ces dispositions dans l’attente du décret ? Si tous les spécialistes considèrent que l’interdiction applicable aux commerces de plus de 10 000 m² de surfaces de vente est déjà entrée en vigueur, comme évoqué ci-dessus, ils sont plus partagés quant à l’application immédiate des autres dispositions V de l’article L. 752-6 du Code de commerce. Une telle application immédiate, en l’absence du décret nécessaire à sa mise en œuvre, impliquerait alors un moratoire sur les Aec. Il ne nous semble pas que cela soit le cas. Si les Cdac prennent nécessairement en compte l’artificialisation des sols, et la consommation économe des espaces, dans le cadre de leur analyse des demandes d’Aec, comme c’est le cas en réalité depuis août 2020, des avis favorables continuent à être délivrés, que ce soit tant en Cdac qu’en Cnac, et ce même si le projet implique une artificialisation des sols. Une telle position nous semble d’autant plus logique qu’un tel moratoire serait contraire à l’article 49 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne qui interdit «les restrictions à la liberté d’établissement des ressortissants d’un état membre dans le territoire d’un autre état membre».
II. Les autres mesures de la loi Climat afférentes à l’urbanisme commercial
A. Extension de la faculté de saisine de la Cdac de l’article L. 752-4 du Code de commerce
L’article L. 752-4 du Code de commerce prévoit une faculté de saisine de la Cdac par le maire ou le président de l’établissement public de coopération intercommunale (Epci) compétent en matière d’urbanisme, ou encore par le président de l’Epci compétent en matière de Scot pour les projets compris entre 300 m² et 1 000 m² de surface de vente, dans les communes de moins de 20 000 habitants. Dans ce cas, la Cdac se prononce dans un délai d’un mois, comme d’ailleurs la Cnac si elle devait être saisie. La Loi Climat est venue élargir ce dispositif à toutes les communes du territoire, même lorsqu’elles comptent plus de 20 000 habitants, dès lors que le projet engendre une artificialisation des sols au sens du V de l’article L. 752-6 du Code de commerce.
Ainsi, les porteurs de projets ne pourront plus se réfugier vers une surface de vente réduite, inférieure au seuil de 1 000 m², pour être exonéré d’Aec lorsque leur projet implique une artificialisation des sols (sous les réserves visées ci-dessus concernant cette notion).
B. Extension des opérations soumises à obligation de performance énergétique et environnementale des bâtiments commerciaux
L’article 101 de la loi Climat abroge quant à lui l’article L. 111-18-1 du Code de l’urbanisme à compter du 1er juillet 2023 et crée un article L. 171-4 dans le Code de la construction et de l’habitation qui reprend l’essentiel des dispositions de cet article L. 111-18-1. Pour rappel, cet article impose aux nouvelles constructions soumises à Aec pour des créations de magasins de commerce de détail ou des créations d’ensemble commercial, de prévoir des dispositifs de production d’énergie renouvelable ou de végétalisation sur une surface au moins égale à 30 % de la toiture du bâtiment ou sur 30 % des ombrières créées. Le nouvel article L. 171-4 du Code de la construction modifie cependant le champ d’application des obligations de performance énergétique et environnementale. Désormais, ces obligations s’appliqueront notamment lorsqu’elles créent plus de 500 m² d’emprise au sol, aux constructions, extensions et rénovations lourdes de bâtiments ou parties de bâtiments à usage commercial, industriel ou artisanal, de bâtiments à usage d’entrepôt, de parcs de stationnement couverts accessibles au public, de hangars non ouverts au public (…).
Le seuil de soumission à Aec, correspondant à 1 000 m² de surface de vente, est donc ramené à une simple emprise au sol pour les bâtiments à usage commercial, soumis ou non à Aec. Ces obligations s’appliqueront donc également aux magasins impliquant une surface de vente inférieure à 1 000 m² dès lors que le bâtiment dans lequel ils sont situés à une emprise excédant 500 m². De même les rénovations lourdes des aires de stationnement de bâtiments commerciaux d’une emprise au sol supérieure à 500 m² seront concernées par ces obligations.
Le texte crée également un article L. 111-19-1 du Code de l’urbanisme aux termes duquel les parcs de stationnement associés aux bâtiments visés par le nouvel article L. 171-4 ou les nouveaux parcs de stationnement, lorsqu’ils font plus de 500 m², doivent intégrer sur au moins 50 % de leur surface des dispositifs favorisant l’ombrage, la perméabilité et l’infiltration des eaux pluviales ou leur évaporation. Ces prescriptions s’appliqueront aux demandes d’autorisation de construction ou d’aménagement déposées à compter du 1er juillet 2023.
Les dispositions prévues à l’article L. 111-19-1 du Code de l’urbanisme ne s’appliquent pas aux parcs de stationnement qui, en raison de contraintes techniques, de sécurité, architecturales ou patrimoniales, ne permettent pas l’installation des procédés et dispositifs, ou lorsque cette obligation ne peut être satisfaite dans des conditions économiquement acceptables du fait de contraintes techniques. Ces «contraintes techniques» devront être expressément justifiées dans le cadre de la notice architecturale des demandes d’autorisations d’urbanisme.
C. Et toujours pas de soumission des entrepôts à Aec
Enfin, il convient de noter que l’article 52 bis AAA du projet de loi, dans sa version adoptée par le Sénat en première lecture, modifiait l’article L. 752-1 du Code de commerce pour prévoir que «la création d’un local principalement destiné à l’entreposage en vue de la livraison» soit désormais soumise à Aec.
Le texte issu de la Comission mixte paritaire a toutefois supprimé cette disposition, de sorte que les entrepôts logistiques resteront exclus du champ d’application de l’Aec et donc des nouvelles restrictions liées à l’artificialisation des sols, contrairement aux commerces sur rue. Ce faisant, ces projets d’entrepôts logistiques demeurent exclus d’une soumission aux critères d’aménagement du territoire et de développement durable précisés par sous-critères par l’article L. 752-6 du Code de commerce qui a pourtant eu un effet vertueux sur les commerces de détail. Cette différence de traitement est-elle vraiment méritée ?
Notes
1. Article L. 101-2-1 du Code de l’urbanisme, neuvième alinéa.
2. Circulaire sur le rôle des préfets en matière d’aménagement commercial dans le cadre de la lutte contre l’ artificialisation.
3. Article L. 101-2-1 du Code de l’urbanisme.
