Les projets de démolition-reconstruction qui avaient la cote hier auprès de la Commission nationale d’aménagement commercial (Cnac) seraient-ils en train de la perdre ? Ce début d’année 2021 semble l’indiquer. De revoyure en re-revoyure, le parcours s’apparenterait à une sorte de… jour sans fin. Il ne manquerait plus que le législateur s’en mêle…
Par Me Antony Dutoit, avocat-associé (Antony Dutoit Avocat)
Le projet de loi Climat, en cours d’examen au parlement, devrait encore durcir les règles d’implantation commerciale en posant comme principe l’interdiction de délivrance de l’autorisation d’exploitation commerciale pour les projets qui engendrent une artificialisation des terres. Seuls les projets de moins de 10 000 m² de vente pourraient y déroger, sous réserve de faire montre de compensation en termes d’aménagement raisonné du territoire et l’éventuelle transformation d’un sol artificialisé en sol non artificialisé.
Il faut bien dire que le chemin de la mise en œuvre de projets commerciaux et d’obtention d’une autorisation d’exploitation commerciale… manquait d’embûches ! Le législateur aime à en rajouter. Car, en effet, et à l’heure d’une crise sanitaire qui n’en finit pas de malmener notre économie, les commerçants subissent les affres de la Commission nationale d’aménagement commercial qui semble avoir la dent particulièrement dure, ces derniers mois.
Quelles tendances se dessinent donc ? Des autorisations accordées avec la plus grande parcimonie d’une part, et une commission qui met en œuvre la procédure de revoyure pour faire durer le déplaisir d’autre part ? Alors que cette commission semblait traiter avec bienveillance les projets d’extension sur site et les projets de démolition-reconstruction, qu’elle semblait pouvoir utiliser la procédure de revoyure comme une seconde chance et une incitation à mieux faire avec à la clé une issue favorable, qu’en est-il vraiment aujourd’hui ?
Deux manières de porter un regard sur la Commission nationale d’aménagement commercial en ce début d’année 2021.
Le charme de la démolition-reconstruction ?
Force est de constater que les grands projets n’ont plus la cote. Les pétitionnaires audacieux ne le sont plus autant et sollicitent moins d’autorisation pour de grandes opérations. Et lorsque, courageusement, ils présentent un tel dossier à une commission départementale d’aménagement commercial (Cdac), la Commission nationale d’aménagement commercial (saisie de recours ou s’auto-saisissant) sera dans la majorité des cas opposée à sa réalisation.
Tous les prétextes sont bons : le plan Action cœur de ville, la consommation d’espace et désormais l’artificialisation des sols… Le résultat est là. Les créations et a fortiori les créations de grands projets sont rarement autorisées.
L’année 2021 ne sera pas celle du changement. En 2019, date du dernier rapport d’activité de la Cnac, les extensions ont connu un «taux de validation» plus important que les créations (63 % des projets contre 51 %). Depuis le début de l’année 2021, la Commission nationale d’aménagement commercial a examiné 49 projets dont 8 ont fait l’objet d’avis ou de décisions favorables (6 avis et 2 décisions). Trois de ces projets validés étaient des extensions de moins de 650 m².
Cela fait donc beaucoup de projets «retoqués». Parmi les projets validés, l’un d’eux se présente comme une création. En fait, il s’agit d’un projet d’extension de 900 à 1 273 m² par démolition-reconstruction (1). Ces opérations dites de démolition-reconstruction ont généralement, et assez logiquement, les faveurs des commissions. Les motifs retenus sont généralement une consommation d’espace réduite et une imperméabilisation supplémentaire nulle ou faible.
La Commission nationale d’aménagement commercial a néanmoins rendu très récemment un avis défavorable unanime tendant à démontrer qu’un projet de démolition-reconstruction n’est pas la garantie d’une fin heureuse. Ainsi, pour ce projet situé à Plabennec (2) dans le Finistère, la Commission a relevé le caractère périphérique du site, des flux de circulation importants et une absence de transports collectifs efficaces. Elle a également souligné une architecture standardisée, l’abattage d’arbres et une faible végétalisation. Autant de griefs auxquels la Commission nous a habitué pour les projets de création ; mais plus surprenants pour un projet de requalification d’un site existant.
Cet avis semble bien s’inscrire dans une tendance de dureté et de fermeté. Les projets sont donc triés sur le volet et rares sont ceux rassemblant assez de qualités aux yeux de la Commission.
Une procédure de revoyure pour un second rendez-vous réussi ?
Depuis le début de l’année 2021, la Commission nationale d’aménagement commercial a émis trois avis défavorables avec faculté de revoyure. Pour mémoire, cette faculté a été introduite par la loi Elan et permet aux pétitionnaires ayant essuyé une opposition de la Cnac de revoir leur copie et, sans nouveau passage devant la Cdac, de la saisir ensuite directement de leur demande modifiée.
Cette procédure pourrait s’apparenter à des encouragements à mieux faire. Elle pouvait également laisser penser que la Cnac dispensait ainsi un conseil «paternaliste» et délivrerait lors du second examen le précieux sésame pour réaliser le projet. Tel n’est pas le cas. Les avis ou les décisions de la Commission nationale offrant au pétitionnaire la faculté de la ressaisir directement ne donnent pas nécessairement lieu lors de cette ressaisine à un meilleur accueil.
Ainsi, et par exemple, la Commission nationale avait refusé l’autorisation de modifier substantiellement un projet à l’enseigne Super U à Breteil, en Bretagne (3). L’avis défavorable était alors motivé par l’absence de régularisation de surfaces de vente illégales au sein du centre commercial. Il visait également l’absence de rénovation de l’architecture. Lorsque le pétitionnaire se présenta à nouveau devant la Cnac (4), celle-ci évoqua le risque que représentait le projet sur les commerces de centre-ville. Elle évoquait également l’adhésion d’une commune voisine au programme «Petites villes de demain». Elle maintenait en outre l’absence de rénovation de l’architecture. Hormis le dernier, ce sont autant de griefs auxquels le pétitionnaire ne devait pas s’attendre brisant ses rêves d’une revoyure synonyme de formalité.
De même, la Commission nationale qui s’était auto-saisie d’un projet d’extension d’un ensemble commercial à l’enseigne Carrefour à Montesson, avait émis un avis défavorable avec faculté de la ressaisir directement (5). Cet avis défavorable était notamment motivé par l’absence de précision quant à l’impact du projet sur l’animation et la préservation des commerces de centre-ville. Elle avait également relevé des difficultés de circulation possible aux abords du projet. Le pétitionnaire avait usé de la faculté de ressaisine. Il s’est à nouveau présenté le 12 novembre 2020 sans plus de succès (6). La Commission a alors confirmé son avis défavorable. Elle a notamment considéré un risque d’atteinte pour les magasins de centre-ville. Malgré les mesures de compensations économiques proposées par le demandeur, la Commission a évoqué l’absence d’engagement officiel. Elle a nouveau émis un avis défavorable et de nouveau offert au pétitionnaire de la ressaisir directement pour une re-revoyure. Cela rappelle alors «Un jour sans fin» (7) ou l’incessante répétition d’une situation que l’on profiterait de revivre pour l’améliorer.
Ces deux projets montrent donc bien que la Cnac n’est pas liée par cette procédure de revoyure et contrainte, de quelque manière que ce soit, d’être plus clémente lors du second examen du projet. Elle peut bien émettre successivement au moins deux avis défavorables. En effet, le projet de Montesson illustre que la commission peut réitérer son offre de revoyure lorsqu’elle estime que le pétitionnaire n’a pas encore fait assez d’efforts pour parfaire son projet. C’est alors courir (ou plutôt faire courir) le risque que le contexte politique, économique ou environnemental évolue pour finalement opposer un refus sec au pétitionnaire sans envie manifeste de le revoir.
Notes
1. Cnac, 4 février 2021, n° P02150 62 20 T01.
2. Cnac, 4 mars 2021, n° P02441 29 20T01/02/03.
3. Cnac, 8 juillet 2020, n° 4149D01.
4. Cnac, 18 février 2021, n° P02897 35 20N.
5. Cnac, 24 octobre 2019, n° 3961AS.
6. Cnac, 12 novembre 2020, n° 01882 78 20N.
7. Film de Harold Ramis, «Un jour sans fin» (The Groundhog Day), 1993.
