On est confondu de voir ressurgir régulièrement l’argument de l’absence de Dip (Document d’information précontractuel), vingt ans après son instauration par la loi Doubin. Mais on l’est encore plus de constater, dans une affaire aussi ordinaire qu’exemplaire, le temps perdu en procédure et le point de départ, plus que scabreux, d’une rupture… orale (!) d’un contrat de franchise. Révision de quelques enseignements de base de la gestion des contrats, à l’occasion d’un arrêt aussi intéressant qu’exotique de la cour d’appel de Versailles du 19 novembre 2020.
Me Clémence Casanova, avocate à la Cour, et Olivier Deschamps, consultant (Linkea avocats)
Contrat de franchise dans le secteur de la restauration signé en juin 2013, pour l’implantation et l’exploitation d’un Comptoir de Maître K à Ajaccio, pour une durée de 10 ans. Une fois les travaux d’aménagement réalisés, les parties signent en janvier 2014 un nouveau contrat de franchise à seule fin de modifier l’enseigne : le Comptoir de Maître K devient la Taverne de Maître K. Ouverture du restaurant à la clientèle ; mais les relations entre les parties se dégradent immédiatement.
Le franchisé résilie son contrat. Comment ? Oralement ! Pourquoi ? Semble-t-il par manque d’assistance ou d’accompagnement !
Le franchiseur, le Groupe Flo, donne, par écrit, son accord pour cette résiliation anticipée, tout en contestant les motifs invoqués, renonçant au paiement des royalties mais en demandant le paiement du solde du droit d’entrée.
Et le temps passe …
Trois ans après, l’ancien franchisé prétend, cette fois par écrit, à la nullité du contrat de franchise «pour défaut d’objet et de cause, aucun savoir-faire ne lui ayant été transmis», sollicitant le remboursement du montant de son droit d’entrée et le paiement d’une somme de 300.000 € à titre de dommages et intérêts pour «travaux réalisés inutilement». Face au refus du franchiseur, le franchisé saisit le tribunal de commerce de Nanterre. Dans un jugement du 12 février 2019, celui-ci va déclarer nul le contrat de franchise «en conséquence d’un dol» et condamner le franchiseur à une somme globale de 160.000 €, principalement justifiée par la «réparation du coût des travaux réalisés pour les seuls besoins du contrat de franchise». Le franchiseur ne pouvait qu’interjeter appel. Allons au «résultat» et essayons de comprendre. La cour d’appel de Versailles a débouté le franchisé de ses demandes, le condamnant au paiement du solde du droit d’entrée.
Absence d’information précontractuelle
L’ancien franchisé invoque l’absence d’information précontractuelle et le franchiseur n’est pas en mesure de communiquer le Dip (1) qui aurait pu être remis préalablement à la signature du contrat. La cour d’appel constate, à défaut de preuve contraire, que l’information précontractuelle (Dip) n’a pas été remise au candidat franchisé (2), en rappelant opportunément le principe (3) selon lequel une nullité pour dol n’est encourue que «lorsque les manœuvres pratiquées par l’une des parties sont telles qu’il est évident que, sans ces manœuvres, l’autre partie n’aurait pas contracté».
Et la cour constate qu’il n’est «pas établi, ni même allégué» que s’il y avait eu une information précontractuelle, le candidat ne se serait pas engagé dans son contrat. En clair, les juges ont considéré que même si une information précontractuelle avait été remise, le candidat franchisé se serait engagé en signant le contrat de franchise. Et les juges précisent, la preuve étant à la charge du franchisé, que tout élément «ne se présume pas et doit être prouvé». Il faut suivre le raisonnement de la cour d’appel. Nous savons également que tout candidat franchisé sait désormais (c’est heureux) qu’il doit bénéficier de la remise d’un Dip ; et s’il signe son contrat de franchise en l’absence de cette information préalable, il doit également assumer sa part de responsabilité.
Défaut de savoir-faire
Pour prétendre à l’absence de savoir-faire, l’ancien franchisé invoque que le franchiseur proposait trois concepts à la même identité visuelle et qu’ainsi «le savoir-faire n’est pas original dès lors qu’il se rattache à plusieurs enseignes différentes».
La cour a considéré au contraire qu’il est possible «de décliner un même concept original en deux enseignes légèrement distinctes», constatant que le savoir-faire est réel car exploité depuis plus de vingt ans et surtout matérialisé par la remise d’un manuel de savoir-faire avec le suivi par le franchisé et ses équipes de cycles de formation, le tout complété par des services fournis, comme un accompagnement à l’ouverture, un service marketing, …
En pratique les magistrats d’une cour d’appel (comme d’un tribunal de commerce) ont peu de moyens pour vérifier l’existence d’un savoir-faire. La communication du manuel de savoir-faire, lors du débat judiciaire, doit néanmoins leur permettre d’en appréhender la consistance en se plaçant dans l’hypothèse d’un franchisé ne connaissant pas le métier ou la pratique qu’il va devoir exercer. En l’espèce, seul le plan du manuel de savoir-faire a été communiqué et la cour a estimé que le savoir-faire de Maître K est réel, portant notamment sur «l’aménagement et la décoration du restaurant, les modes opératoires en salle et en cuisine, la communication avec le client, l’hygiène, les fiches techniques mises à jour au gré de la carte, avec les modes de fabrication de chaque plat (ingrédients, mode de préparation, photo de la présentation)».
La demande de nullité du contrat de franchise étant rejetée, la cour va condamner l’ancien franchisé au paiement du solde du droit d’entrée compte tenu de la transmission du savoir-faire et de services, considérant que le franchiseur avait renoncé au paiement des royalties.
Enseignements pour les enseignes
L’analyse de toute décision judiciaire doit permettre de tirer des enseignements au titre de la gestion d’un réseau de franchise .
1. Une fois encore le débat a porté sur l’existence ou l’absence de l’information précontractuelle. Le respect (et la preuve du respect…) de l’article L. 330-3 du Code de commerce (loi Doubin, Dip) aurait permis au franchiseur d’être plus serein.
2. Une résiliation de contrat «verbale» ? Rappelons-nous que si «les paroles s’envolent, les écrits restent» (4). La matérialisation d’une décision ou d’un accord par écrit permet de clarifier une situation et d’éviter des débats stériles.
3. Avant de se lancer dans une procédure, longue et couteuse, il faut se poser les bonnes questions et définir une stratégie : en l’espèce la décision de la cour, soit le «résultat», correspond à ce que le franchiseur a proposé six ans plutôt.
4. La loi, le contrat certes ; mais aussi l’état d’esprit des parties est toujours analysé par les juges : du franchiseur ou du franchisé, quel est celui qui semble être de bonne ou de mauvaise foi.
5. «La preuve» selon l’expression populaire : tout élément avancé doit être prouvé.
Notes
1. Document d’Information Précontractuel.
2. Article L. 330-3 du Code de commerce.
3. Ancien article 1116 du Code civil, applicable à l’espèce.
4. Pour les puristes : «Verba volant, scripta manent».
> Lire l’arrêt rendu par la cour d’appel de Versailles le 19 novembre 2020
