Mes confrères Nicolas Dissaux et Charlotte Bellet ont publié récemment chez Dalloz «Un Guide de la Franchise 2021-2022». Ils ont le courage, à la fin de leur ouvrage, de suggérer une intervention législative pour la franchise et ils ont l’outrecuidance de proposer un texte de loi !
Par Me Monique Ben Soussen, avocate au Barreau de Paris (Bsm Avocats)
Quelle insolence de la part de deux professionnels qui, certes connaissent parfaitement le monde de la franchise, mais interviennent aux cotés des franchisés. Mais trêve de plaisanteries, c’est justement leur position de professionnels chevronnés qui justifie leurs recommandations. Il existe nombre d’avocats et de professionnels du droit qui connaissent également le monde de la franchise, ses faiblesses, ses bons et mauvais côtés, mais qui ne peuvent avoir la même liberté de paroles dans la mesure où ils conseillent des têtes de réseaux.
L’évolution de la jurisprudence au cours des dix dernières années, ainsi que celle des contrats, a quasiment donné un blanc-seing au franchiseur. Celui-ci est aujourd’hui perçu à l’aune de son utilité économique : le franchiseur serait par nature un entrepreneur, créateur d’emplois, qui mérite de ce fait protection. On constate donc une tendance des juges à donner l’absolution au franchiseur : l’absence de Dip n’est sanctionnée que si le franchisé prouve qu’il n’aurait pas contracté s’il avait eu connaissance de certaines informations, preuve ô combien difficile à rapporter. Le franchiseur peut s’abstenir de fournir son assistance, le simple fait de mettre à disposition une enseigne, même peu renommée, suffit à causer le contrat.
Alors que la loi Doubin met à la charge du franchiseur des obligations d’information consistantes lors de la période précontractuelle, la jurisprudence a réussi, année après année, à vider ce texte de sa substance en exigeant des preuves de plus en plus impossibles à rapporter. En 2021 il est quasiment impossible d’obtenir l’annulation d’un contrat et ce même si le franchiseur n’a pas élaboré de savoir-faire, s’il a communiqué des prévisionnels inexacts, si son enseigne n’a pas ou très peu de notoriété.
Les courageux rédacteurs que sont Nicolas Dissaux et Charlotte Bellet ont imaginé de rajouter un chapitre au Code de commerce, chapitre consacré aux réseaux de distribution.
Les mesures proposées dans cet article sont énumérées dans ce chapitre sous les articles L. 147-1 et suivants. Le décret d’application est également proposé. Que proposent-ils ? Ces propositions sont-elles judicieuses, nécessaires, souhaitables ?
Le premier article (L. 147-1) concerne la définition de la franchise. Il synthétise des notions acquises et incontestables. Le franchisé qui adhère à un réseau est en droit d’espérer, et même d’exiger, que le franchiseur lui permette de mettre en place une activité pérenne. Pour cela le franchiseur doit fournir des signes de ralliement de la clientèle, une assistance continue, un système de gestion.
Le fait d’entrer dans un réseau de franchise, et de bénéficier immédiatement, sans avoir à les élaborer de ces apports, doit permettre au franchisé de développer son activité de façon profitable. Rien d’original à ce niveau mais un rappel des textes fondateurs de la franchise : la norme Afnor, la loi Doubin, le Code de déontologie de la Fédération européenne de la franchise, le règlement d’exemption.
De 1970 jusqu’au début de la décennie 2010, les tribunaux se référaient à ces textes pour exiger que le franchiseur transmette un savoir-faire original, secret et substantiel. Ils exigeaient que le franchiseur fournisse des informations sincères afin que le franchisé puisse s’engager en toute connaissance de cause. En réalité les dispositions de cet article ne sont pas en elles-mêmes originales, mais le but de nos apprentis législateurs est de faire en sorte qu’elles soient impératives.
C’est la raison pour laquelle l’article L. 147-2 prévoit que les dispositions légales contenues dans ce chapitre sont d’ordre public. Il ne serait donc plus possible d’y déroger. Les rédacteurs de contrats ne pourraient plus insérer de clause stipulant que le franchisé s’estime suffisamment informé, qu’il a eu le temps de se renseigner, et qu’il reconnait que le savoir-faire du franchiseur est substantiel. Le franchisé ne donnerait pas l’absolution avant de connaître le réseau.
Les articles suivants, L. 147-3 et L. 147-4, reprennent les dispositions de la loi Doubin en élargissant le champ de la communication : le franchiseur devra communiquer toute information qu’il pourra détenir et qui pourrait être utile au franchisé. Il ne devra plus se contenter de fournir la liste des contrats résiliés dans l’année précédant la conclusion mais pour les cinq années précédant la signature du contrat.
Il devra également fournir les chiffres d’affaires et résultats des franchisés sur la même période.
Cette disposition constitue une avancée significative par rapport à la loi Doubin (article L. 330-3 et R. 330-3 du Code de commerce), qui limite à une durée d’une année la période pour laquelle le franchisé a un droit d’information. Le fait d’étendre cette obligation reviendrait à octroyer une véritable garantie au futur franchisé : celui-ci connaîtrait avec précision les échecs et réussites du réseau. Or il s’agit là de l’information la plus pertinente que l’on puisse imaginer.
L’article L. 745-5 impose quant à lui au franchiseur d’avoir testé son concept pendant au moins un an avant de le commercialiser. Il s’agit là d’une recommandation de bon sens mais qui n’est pas pour autant suivie. On constate aujourd’hui qu’il existe des franchiseurs qui estiment, dès qu’ils ont une idée, que celle-ci mérite d’être commercialisée… Bien qu’ils n’aient pas vérifié sa pertinence.
L’article L. 745-7 institut un intuitu personae réciproque. La majorité des contrats interdisent au franchisé de céder son fonds de commerce sans avoir obtenu préalablement l’autorisation du franchiseur. Cet article a pour but de rétablir une réciprocité en cas de vente : le franchiseur ne pourrait céder son réseau sans l’accord de la majorité des franchisés. Cette stipulation me semble malaisée à mettre en place dans la mesure où elle serait contradictoire avec les modalités de cession d’une entreprise.
En effet le fait de devoir obtenir l’accord de la majorité du réseau i rait à l’encontre de la confidentialité nécessaire à ce type d’opérations. Je proposerai de limiter la liberté du franchiseur de s’opposer à la cession de l’entreprise franchisée. Ainsi au lieu d’imposer un carcan aux deux parties, il faut assouplir les stipulations que l’on rencontre actuellement dans les contrats de franchise qui autorisent souvent le franchiseur à refuser la cession sans avoir à se justifier. Il conviendrait de prévoir que le franchiseur ne pourrait s’opposer à un projet de cession qu’à condition de faire valoir de justes motifs et qu’après deux refus, le franchiseur devrait soit racheter soit trouver un acquéreur.
L’article L. 147-8 concerne la durée du contrat. Il prévoit que la durée du contrat doit être suffisante pour permettre au franchisé de rembourser son prêt initial et d’amortir ses investissements. Il est évident qu’il faut aligner la durée du contrat sur celle des prêts contractés pour l’acquisition du fonds ou de l’agencement. A défaut le franchisé risque de se trouver dans une situation inextricable à l’expiration du contrat.
L’article L. 147-13 est particulièrement intéressant car il dispose que le franchiseur doit assurer la promotion de sa marque et de son réseau. Cette évidence avait été consacrée par la jurisprudence dans les années 90 et 2000. Puis certains tribunaux ont eu une approche extrêmement souple voire laxiste des contrats de franchise et ont estimé que le franchiseur n’était pas tenu de développer son réseau.
Ainsi la responsabilité du franchiseur qui, par choix stratégique ou incompétence, laissait son réseau dépérir, n’a pas été retenue. Il est pourtant évident que le franchisé qui intègre un réseau le fait car il espère bénéficier de l’effet de synergie du réseau. Le fait d’imposer une obligation de promotion de l’enseigne et du réseau découle de la nature même du contrat.
Le dernier alinéa de l’article L. 147-13 dispose que le chiffre d’affaires réalisé via le site Internet de l’enseigne soit réparti de façon équitable entre le franchiseur et le franchisé.
Les rédacteurs mettent le doigt sur un problème crucial que l’on rencontre de plus en plus dans les réseaux : celui de la concurrence faite par le franchiseur sur Internet. Le développement du e-commerce est inéluctable. Il constitue une évolution incontournable de notre mode de consommation. Mais il constitue aussi une concurrence déloyale du franchiseur à l’égard des franchisés qui ont investi des sommes importantes pour acquérir un local et pour l’agencer en respectant le modèle du franchiseur. Prévoir un partage de la rentabilité du e-commerce est une nécessité à l’heure où cette forme de commercialisation ne cesse de prendre des parts de marché.
L’article L. 147-16 prévoit que le droit d’entrée est restitué au franchisé lorsque celui-ci ne trouve pas de local ou n’obtient pas de financement sans avoir commis de faute. Il est clair que la pratique de certains franchiseurs, consistant à encaisser de façon prématurée des droits d’entrée, constitue un manquement flagrant à l’obligation de bonne foi. Cependant une solution plus simple consisterait à généraliser le contrat de réservation qui permet au franchisé de réserver une zone en contrepartie d’une somme moins élevée que le droit d’entrée. Une telle solution aurait le mérite de la clarté et de la simplicité : le franchiseur ne se laisse pas tenter par la perception d’une somme importante, le franchisé accepte d’entrée de jeu de payer pour bloquer une zone pour une durée déterminée au cours de laquelle il doit se consacrer à la recherche d’un local et d’un financement.
L’article L. 147-17 octroie au juge la possibilité de réviser le contrat lorsque l’exécution de celui-ci est trop onéreuse pour le franchisé. Cette disposition est sans doute la plus originale : la dépendance dans laquelle est placée le franchisé justifie qu’une véritable réflexion soit menée quant à la possibilité de mettre un terme à un contrat. Il arrive qu’un franchisé ait peu d’activité et doive néanmoins régler des redevances qui peuvent être forfaitaires. Lorsqu’il y a peu d’activité, le fait de devoir payer une redevance forfaitaire est extrêmement lourd.
Dans un tel cas le franchisé peut avoir intérêt à mettre un terme à son contrat. Or les contrats de franchise sont le plus souvent à durée déterminée et doivent être exécutés jusqu’au terme contractuel. Certains franchiseurs n’hésitent pas à exiger le paiement des redevances alors que la société franchisée est à l’agonie et que le dirigeant ne peut pas prélever de rémunération.
Le fait de pouvoir résilier le contrat est dans certains cas parfaitement légitime. Le juge doit pouvoir intervenir en ce sens.
En bons législateurs, mes confrères proposent également un décret d’application qui précisent les dispositions légales : en particulier, et une telle disposition est ô combien bienvenue, ce décret prévoit que le franchiseur devra communiquer les chiffres et les résultats des succursales sur les cinq précédant la signature du contrat. Ainsi que les coordonnées complètes de toutes les personnes qui ont régularisé un contrat de franchise avec le réseau. Ces informations permettront enfin aux futurs franchisés d’avoir une vision réaliste du réseau et de ne plus être séduits par des chimères savamment distillées !
Les textes qui sont proposés ont pour première finalité d’assurer la complète information des franchisés avant la signature du contrat de franchise. Et là est l’essentiel car la période précontractuelle est cruciale : le franchisé doit avoir accès à un maximum d’informations pour s’engager en toute connaissance de cause.
La majeure partie des échecs trouvent leur origine dans des erreurs d’appréciation commises lors du choix de l’implantation ou de la mise en place du financement. Ces erreurs pourront être évitées si les franchiseurs sont transparents et fournissent les éléments prévus par ce projet de loi.
Les propositions traduisent une connaissance très approfondie du monde de la franchise et de ses travers. La situation actuelle est particulièrement défavorable pour les franchisés et une intervention législative serait la bienvenue. Une telle intervention aurait été moins nécessaire si les rédacteurs de contrats avaient su se montrer raisonnables et éviter les dérives actuelles qui aboutissent à des conventions totalement déséquilibrées au profit des têtes de réseaux.
