Lorsqu’à l’occasion du vote de la loi Pinel, le parlement a adopté, pratiquement sans débat, un amendement qui substituait la sanction du réputé non-écrit à celle de la nullité des clauses contraires aux dispositions impératives du statut des baux commerciaux désignées par les articles L. 145-15 et L. 145-16 du Code de commerce, des interrogations ont aussitôt surgi quant à la portée de cette modification. Deux questions en particulier agitaient les commentateurs : cette sanction est-elle enfermée dans un délai de prescription ? Peut-elle s’appliquer aux baux conclus antérieurement à l’entrée en vigueur de la réforme ?
Par Me Alain Confino, avocat au Barreau de Paris, spécialiste en droit immobilier (Cabinet Confino)
Par un arrêt du 19 novembre 2020 auquel elle a voulu donner une large publicité (1), la Cour de cassation a apporté des réponses qui lèvent définitivement toute incertitude.
Les questions de prescription et d’entrée en vigueur que soulevait la substitution du réputé non-écrit à la nullité des clauses contraires aux dispositions impératives du statut des baux commerciaux, y trouvent désormais leurs réponses.
Le contexte procédural
Cet arrêt est l’aboutissement d’un parcours procédural commencé en 2014.
Après avoir délivré à son locataire, en vertu d’un bail renouvelé en 2009, un commandement visant la clause résolutoire pour non-paiement de loyers et charges, le bailleur l’avait assigné en référé afin d’acquisition de la clause résolutoire, de paiement d’une provision et d’expulsion. Par ordonnance du 29 janvier 2015, le juge des référés avait fait droit à cette demande et rejeté la demande de délais formée par le locataire. Le locataire avait formé appel mais le bailleur avait néanmoins procédé à son expulsion dès le 11 juin 2015.
Constatant que l’expulsion avait eu lieu, la cour d’appel avait curieusement jugé, par un arrêt du 19 novembre 2015, que le locataire ne pouvait plus obtenir de délais de paiement rétroactifs ni la suspension des effets de la clause résolutoire, et que seule une demande de réintégration aurait été de nature à lui permettre de reprendre possession des lieux pour poursuivre son activité.
Sans surprise, la troisième chambre civile de la Cour de cassation, saisie d’un pourvoi, avait cassé cet arrêt pour violation de l’article L. 145-41 du Code de commerce en rappelant «que le titulaire d’un bail commercial peut demander des délais de paiement et la suspension des effets de la clause résolutoire tant que la résiliation du bail n’est pas constatée par une décision passée en force de chose jugée» (2). Solution on ne peut plus classique.
Mais entre-temps, en janvier 2016, le locataire avait introduit une action devant le tribunal de grande instance aux fins de voir déclarer non-écrite la clause de révision du loyer stipulée au bail (sans laquelle les sommes dues auraient été largement minorées), d’annuler le commandement de payer et, subsidiairement, d’obtenir des délais de paiement rétroactifs et la suspension des effets de la clause résolutoire. Une procédure de liquidation judiciaire a été ouverte à l’égard du locataire en mars 2017.
Par arrêt du 19 décembre 2018 (confirmatif, sur ce point, de la décision des premiers juges), la cour d’appel de Paris a notamment jugé que la clause de révision était réputée non-écrite et écarté le moyen soulevé par le bailleur tiré de la prescription de l’action en contestation de cette clause. En outre, constatant que le locataire s’était acquitté le 9 juin 2015 (soit deux jours avant son expulsion !) de toutes les causes du commandement et de l’ensemble des coûts supportés par le bailleur pour parvenir à son expulsion, les juges d’appel lui ont accordé rétroactivement un délai à cette date et ont constaté en conséquence que la clause résolutoire n’avait pu produire effet.
C’est contre ce dispositif de l’arrêt de la cour d’appel que le bailleur, ayant à son tour formé un pourvoi, dirigeait l’un des quatre moyens de cassation qu’il articulait en ces termes : «En l’absence de disposition transitoire expresse contraire de la loi nouvelle et à défaut de considérations d’ordre public particulièrement impératives, les contrats demeurent soumis à la loi ancienne en vigueur à la date de leur conclusion ; en l’espèce, pour rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action (du preneur) en contestation des clauses du bail, la cour d’appel a considéré que la loi nº 2014-626 du 18 juin 2014, qui a modifié la rédaction de l’article L. 145-15 du Code de commerce, s’applique aux baux en cours lors de son entrée en vigueur et a relevé que l’action (du preneur), formalisée par un acte d’huissier de justice du 13 janvier 2016, avait été introduite postérieurement à l’entrée en vigueur de l’article L. 145-15 du Code de commerce, pris dans sa nouvelle rédaction, quand la modification apportée à l’article L. 145-15 du Code de commerce par cette loi, qui ne comporte pas de disposition transitoire expresse contraire et qui n’a pas été prise pour des considérations d’ordre public particulièrement impératives, ne pouvait s’appliquer au bail commercial litigieux conclu le 20 mars 1998 ; en statuant ainsi, la cour d’appel a violé l’article L. 145-15 du Code de commerce, pris dans sa rédaction antérieure à la loi nº 2014-626 du 18 juin 2014, ensemble le principe de survie de la loi ancienne.
«Subsidiairement, l’action tendant à faire déclarer non-écrite une clause ayant pour effet de faire échec au droit de renouvellement d’un bail commercial se prescrit par deux ans». Il s’agissait donc de savoir, d’une part, si l’action du locataire était prescrite et d’autre part, dans la négative, si la sanction nouvelle était applicable au bail renouvelé en 2009.
L’impact de la loi Pinel
La clause du bail critiquée par le locataire était ainsi rédigée : «XIV révision du loyer : Le loyer sera révisé, légalement en plus ou en moins, à l’initiative du bailleur tous les ans à la date anniversaire de la date de prise d’effet du bail, telle que définie ci-dessus et pour la première fois le 1er avril 1999, par application des dispositions des articles 26 et 27 du décret du 30 septembre 1953 ou de tout texte qui fixerait d’autres modalités pour les révisions légales».
Une telle formule, qui prévoyait ainsi une «révision» annuelle du loyer par application des dispositions des articles 26 et 27 du décret du 30 septembre 1953 (codifiés en 2000 dans les articles L. 145-37 et L. 145-38 après intégration dans le Code de commerce), relevait à l’évidence d’une confusion assez grossière, commise par le rédacteur, entre révision légale et indexation conventionnelle : la première ne peut en effet intervenir qu’après trois années révolues suivant la prise d’effet du loyer initial (ou révisé), cependant que la seconde est notamment caractérisée par son automaticité ; or, la référence aux textes relatifs à la révision excluait la requalification de la clause en clause d’indexation.
La clause était donc exposée à la sanction alors édictée par l’ancien article 35 du même décret, qui, jusqu’à l’entrée en vigueur du nouvel article L. 145-15 du Code de commerce issu de la loi Pinel, déclarait nulles et de nul effet les clauses contraires, entre autres, aux dispositions qui régissent la révision légale du loyer.
S’il s’était avisé de demander judiciairement l’annulation de cette clause avant le 20 juin 2014, le locataire aurait été irrecevable à le faire, conformément à l’article L. 145-60 du Code de commerce, dès lors que plus de deux années s’étaient écoulées depuis la conclusion du bail. Certes aurait-il pu encore opposer au-delà de ce délai l’exception d’inexécution en réponse à une demande de révision du loyer, pour peu que la clause litigieuse n’eût jamais reçu exécution. Mais encore eût-il fallu qu’il puisse le faire en qualité de défendeur à une action du bailleur.
La jurisprudence était constante en ce sens.
C’est ainsi qu’une clause prévoyant que la résiliation du bail sera encourue quinze jours après une mise en demeure infructueuse a été «sauvée» car le preneur n’avait entrepris de la contester que par une action engagée plus de deux ans après la conclusion du bail et avant l’entrée en vigueur de la loi Pinel : l’action en nullité était définitivement irrecevable (3).
Pas d’application aux instances en cours
Mais, si la loi Pinel était entrée en vigueur alors que sa procédure en annulation était déjà engagée, le locataire n’aurait pu davantage invoquer le caractère désormais non-écrit de la clause.
En effet, selon une jurisprudence concordante des plus hautes juridictions françaises et européennes (4), une loi nouvelle ne peut s’appliquer à des procédures en cours (5), en vertu du principe général selon lequel le pouvoir législatif ne peut, sauf motifs impérieux d’intérêt général (exceptionnellement reconnus), s’ingérer dans l’administration de la justice afin d’influer sur le dénouement judiciaire des litiges.
L’imprescriptibilité de l’action destinée à effacer une clause réputée non-écrite
C’est de façon impromptue qu’à l’occasion de la discussion du projet de loi Pinel, qui ne l’avait nullement prévu, les députés ont adopté un simple amendement intitulé «Inopposabilité de la prescription biennale des actions en nullité posée à l’article L. 145-60 du Code de commerce» et limité à une phrase d’explication : «La clause réputée non-écrite est en effet considérée comme n’ayant pas d’existence et, de ce fait, aucune prescription ne court à son égard.»
Pour ses auteurs, cet amendement avait ainsi pour objectif de libérer les preneurs du «carcan» de la prescription biennale des actions en nullité des clauses illicites imposées par certains rédacteurs : bien peu d’entre eux entreprenaient en effet d’agir dans les premières «années de grâce» qui suivent le plus souvent la conclusion du bail. Remplacer les mots «nuls et de nul effet» par les mots «réputés non-écrits» constituait donc, aux yeux du législateur, un moyen simple d’éliminer la difficulté.
Car, à l’inverse de la nullité qui n’existe que si elle est prononcée par le juge et qui ne peut plus l’être si l’action est engagée au-delà du délai légal de prescription, le réputé non-écrit ampute rétroactivement le contrat de sa clause illicite, avant même toute intervention du juge (6). Il peut dès lors être invoqué sans limite de temps. La Cour de cassation avait déjà eu l’occasion de l’affirmer nettement en matière de copropriété (7).
Quelques mois après l’entrée en vigueur de la loi Pinel, la cour d’appel de Paris a pris à son tour une position on ne peut plus claire en jugeant que la demande du locataire tendant à faire réputer non-écrite la clause d’indexation «n’est enfermée dans aucun délai de prescription, pas même celui de la prescription quinquennale revendiqué par la [locataire] et encore moins celui de l’article L. 145-60 du Code de commerce invoqué par le bailleur et qui est sans application au cas d’espèce» (8).
De rares auteurs, invoquant la généralité des termes de l’article L. 145-60 qui enferme dans un délai de deux ans toutes actions dérivant du statut, se sont insurgés contre cette solution en matière de bail commercial statutaire (9). Mais la doctrine l’approuvait majoritairement (10).
On peut certes concéder, comme nous avions eu l’occasion de le souligner, que l’imprescriptibilité d’une action, qui va totalement à rebours de l’évolution du droit moderne, consacrée par la loi du 17 juin 2008, qui va dans le sens d’un raccourcissement des délais de prescription, peut sembler extravagante dans notre système juridique, puisqu’elle revient à soumettre les clauses contractuelles réputées non-écrites au même régime de prescription que les crimes contre l’humanité…
Mais les juridictions du fond n’ont pas hésité à reconnaître à la nouvelle sanction un caractère imprescriptible.
Il revenait à la Cour de cassation d’affirmer avec netteté cette solution : c’est ce qu’elle a fait par son arrêt du 19 novembre 2020, en approuvant la cour d’appel d’avoir retenu «que l’action tendant à voir réputer non-écrite une clause du bail n’est pas soumise à prescription».
Pour avoir engagé son action au fond en 2016, soit après l’entrée en vigueur de la nouvelle rédaction de l’article L. 145-15 du Code de commerce, le locataire, dans son malheur, échappait ainsi à la prescription.
Il restait à savoir si, en outre, le réputé non-écrit peut frapper des clauses de baux conclus avant l’entrée en vigueur de la loi Pinel.
L’application de la sanction du réputé non-écrit aux baux conclus avant l’entrée en vigueur de la loi Pinel
Il est admis, classiquement, que les conditions et les effets des contrats conclus antérieurement à la loi nouvelle, même s’ils se réalisent postérieurement à son entrée en vigueur, demeurent en principe régis par la loi sous l’empire de laquelle ils ont été conclus (11). Mais par exception, l’existence et le contenu des effets légaux des contrats sont déterminés par la loi en vigueur au moment où ils se produisent (12). Ces effets légaux sont donc immédiatement applicables à un contrat en cours. La nouvelle rédaction de l’article L. 145-15 du Code de commerce, qui a remplacé la nullité par le réputé non-écrit, n’a donc pas modifié le contrat mais seulement le régime légal de la sanction (13) des clauses illicites. C’est bien un «effet légal» du contrat.
Entrée en vigueur le 20 juin 2014, la réforme s’appliquait ainsi immédiatement aux baux en cours à cette date. La Cour de cassation en a tiré la conséquence logique en approuvant les juges d’appel d’avoir retenu «à bon droit» que l’article L. 145-15 du Code de commerce «est applicable aux baux en cours».
Feu rouge pour les rédacteurs !
Les rédacteurs de baux commerciaux savent désormais le danger qu’ils font courir aux parties (et au premier chef au bailleur, en pratique), en ne prenant pas garde à cette redoutable sanction qui consiste à gommer purement et simplement du bail des clauses illicites. Et les chausse-trappes sont légion.
Une clause de charges est stipulée sans inventaire et non limitative ? Le preneur ne paiera plus de charges ! La cession du droit au bail est interdite ? Le preneur pourra le céder librement. Une clause résolutoire prévoit un délai inférieur à un mois ? Le bail est débarrassé de la clause résolutoire !
Mais, outre les clauses, stipulations et arrangements qui ont pour effet de déroger aux dispositions impératives visées par les articles L. 145-15 et L. 145-16 du Code de commerce, d’autres textes, en dehors du statut, édictent des règles assorties de la même sanction ; notamment, l’article L. 112-1 du Code monétaire et financier, qui nourrit depuis une dizaine d’années le lourd contentieux des clauses organisant l’indexation du loyer sur une période de variation indiciaire supérieure à la durée de bail écoulée entre deux ajustements ; l’article 1170 du Code civil, qui efface toute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur ; l’article 1171 du même code, qui éradique, dans un contrat d’adhésion, toute clause non négociable, déterminée à l’avance par l’une des parties, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations respectifs…
Une question demeure encore en débat sur le réputé non-écrit : son étendue dans une clause partiellement illicite. Sur ce point, une jurisprudence se dessine depuis peu, qui invite le juge à limiter son «coup de gomme» à la partie malsaine de la clause lorsque celle-ci peut être aisément divisée et sauvée pour le surplus (14). Il est certain que la sanction du réputé non-écrit, à laquelle la Cour suprême a ainsi reconnu une puissance «nucléaire», aura eu une vertu prophylactique pour la rédaction des nouveaux baux. Quant aux baux conclus avant la loi Pinel et qui contiennent des clauses qui étaient déjà contraires à des dispositions impératives, il n’existe plus aucun obstacle pour les effacer.
D’où une difficulté particulière lorsque ces baux viennent à être renouvelés : comment éviter que les clauses «malsaines» se retrouvent inchangées dans l’acte de renouvellement ? La loi n’ayant donné aucun pouvoir au juge pour modifier les clauses du bail autres que le loyer, seul l’accord des parties pourra donc les corriger et les sauver de la trappe. C’est alors dans l’art de la négociation que les rédacteurs pourront les sauver…
P. S. : Ce commentaire était bouclé lorsque, dans le sillage de l’arrêt commenté, la Cour de cassation, saisie de l’indexation d’un bail antérieur à la loi Pinel, a retenu la même solution en des termes identiques (Cass. civ. 3, 8 avril 2021, 19-23.183, Inédit). A.C.
Notes
1. Cass. 3e civ. , 19 novembre 2020, n° 19-20405 FS- P + B + I. 3.
2. Cass. 3e civ. , 27 avril 2017, n° 16-12179.
3. CA Paris, Pôle 5, ch. 3, 6 juillet 2017, n° 13/2369 0.
4. Cedh 28 oct. 1999, n° 24846/94, Zielinski c/ France, Ajda 20 0 0. 526, chron. J.-F. Flauss ; Cass. , ass. plén. , 23 janv. 20 04, n° 03-13. 617, Bull. civ. n° 2, D. 20 0 4. 110 8.
5. Cass. 3e civ. , 22 juin 2017, n° 16-15010.
6. A. Confino, «Réflexions sur le réputé non- écrit dans le bail commercial après la loi Pinel» – Ajdi 2015. 407 ; S. Gaudemet, «La clause réputée non-écrite», Economica, 20 0 6, p. 89-9 0.
7. Cass. 3e civ. , 13 juin 1984, Bull. civ. III, n° 115 ; 1er avr. 1987, n ° 85-15. 010, ibid. , n ° 69 ; 9 mars 198 8, ibid., n° 54 ; 26 avr. 1989, n° 87-18. 384, ibid. , n° 93 ; 12 juin 1991, n° 89-18. 331, ibid. , n° 170.
8. CA Paris, 2 juill. 2014, n° 12/14759.
9. A. Posez, «De la prétendue imprescriptibilité de la clause réputée non-écrite», D. 2014 p. 21 19.
10. J. Monéger, «De la prescription du non-écrit», Loy. et copr. 2014, Repère 11 ; B. Brignon, «Du réputé non-écrit et de l’application dans le temps de la loi Pinel», Cahiers Dr. Entr. Mai 2015, doss. 17 ; J-P Blatter, «la loi Pinel et le statut des baux commerciaux», Ajdi 2014 p. 576 et s. ; Ph-H Brault, «Le statut des baux com merciau x et la clause réputée non-écrite», L oy. et copr. 2014 étude n° 5 ; A. Confino, art. précité.
11. Cass. 3e civ. , 3 juill. 1979, Bull. civ. III, n° 149 ; Ca ss. 1re civ. , 17 mars 1998, Bull. civ. I, n° 115.
12. Cass. 3e civ. , 8 févr. 1989, Bull. civ. III, n° 33.
13. CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 7 février 2018, n° 16/07034 ; CA Pau, 31 juillet 2019, n° 19/3135.
14. Cass. 3e civ. , 6 février 2020, n ° 18-24599 (FS-P+B+I) ; Cass. 3e civ ., 29 nov . 2 018, n ° 1 7-23 058.
> Lire l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 19 novembre 2020
