Deux décisions récentes des tribunaux administratifs montrent que, parfois, la commune y va un peu fort en matière de droit de préemption lié à la vente de murs ou de fonds de commerce. Gonesse (1) avait tenté de faire traîner la procédure en longueur pour avoir gain de cause, Mandelieu-La Napoule (2) s’était projetée un peu trop loin dans l’avenir et le périmètre de projet pour pousser à la roue. Dans les deux cas, elles en sont pour leurs frais. La justice administrative veille. Il ne faut pas craindre de la convoquer.
Par Me Estelle Hittinger-Roux, avocate au Barreau de Paris (H.B. & Associés)
En matière de cession, il faut toujours se garder de l’intervention de la commune, qu’il s’agisse de son droit de préemption sur les fonds de commerce ou de son droit de préemption urbain sur les cessions des locaux. D’un point de vue réglementaire, le Code de l’urbanisme fixe la procédure à suivre et les formulaires de renseignement à produire. Un périmètre doit notamment être préalablement adopté afin de savoir si le risque de préemption est existant ou non, et toute préemption se doit d’être fondée sur un motif rattachable à l’intérêt général. Le plus souvent dans le cas des fonds de commerce, il s’agit de la préservation du commerce de proximité et, pour des locaux, d’un projet global relevant de l’intérêt général.
Malheureusement, il arrive que les communes soient peu respectueuses des textes. Deux décisions récentes des tribunaux illustrent leurs pratiques. La première, du tribunal administratif de Cergy-Pontoise (9 octobre 2024, n° 2203639), relate l’importance du respect strict de la procédure de préemption en matière de cession de fonds de commerce. Dans cette affaire, une cession devait intervenir et en raison de la situation géographique du local, faire l’objet d’une déclaration préalable auprès de la commune. Sa situation dans le périmètre de la zone de préemption ne faisait aucun doute et le formulaire dédié à la transmission de l’information auprès des services de la mairie avait été rempli et transmis.
La difficulté est apparue par l’emploi par la commune des articles du Code de l’urbanisme dédiés à l’examen du droit de préemption lui permettant de prolonger le délai de l’instruction. Or ces articles ont un but précis et ne peuvent être invoqués qu’en cas de besoin d’informations complémentaires ou d’informations manquantes qui sont justement énumérées dans le Code de l’urbanisme.
La commune ne peut donc pas réclamer davantage d’informations qui s’écarteraient de la cession projetée dans le but de proroger le délai qu’elle doit respecter pour se prononcer ou, par défaut, laisser les cocontractants procéder à la cession. La commune avait demandé des informations qui n’avaient aucune incidence sur la décision ou non de préemption. Celles-ci ne permettaient que de prolonger le délai d’instruction.
Le tribunal a en conséquence estimé que la commune était réputée avoir renoncé à la préemption du fonds de commerce car elle ne s’est prononcée que beaucoup plus tard.
Dans une seconde décision, il s’agissait de la cession de murs, faisant intervenir le droit de préemption urbain de la commune. A nouveau, l’exercice de ce droit nécessite un projet d’intérêt général existant au moment de la cession. Le tribunal administratif de Nice, (4 juillet 2024, n° 2403068), était saisi d’une affaire dans laquelle la commune avait tenté de préempter des locaux dédiés à l’activité funéraire, au motif qu’elle souhaitait créer une réserve foncière dédiée à la préservation des commerces de proximité.
Cependant l’acquéreur était également une société correspondant à l’activité funéraire, ce qui revenait donc à une concurrence entre le secteur privé et le secteur public. Faute de pouvoir motiver davantage l’intérêt général préservé, la décision de préemption a été suspendue par référé, ce qui présente l’avantage procédural de permettre un examen de la légalité au fond plus rapide par les tribunaux.
En effet, les délais d’attente des procédures administratives étant longs et se comptant régulièrement en années, il convient d’évaluer les situations d’urgence et de saisir le juge si les conditions sont réunies, comme les difficultés en cas d’endettement pour l’opération ou les risques de rachat de la société cocontractante. C’est ce pourquoi la décision a été suspendue et les cocontractants laissés libres de pouvoir procéder à l’opération.
Les titulaires du droit de préemption doivent donc saisir à temps l’opportunité lorsqu’elle se présente, mais celle-ci doit respecter les deniers publics employés pour ce faire et en disposer en temps utile. Ces cas sont donc peu fréquents en pratique et le juge veille toujours à la bonne exécution du droit, s’il en est saisi.
Notes :
1. Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, 9 octobre 2024, N° 2203639
2. Tribunal administratif de Nice, 4 juillet 2024, N° 2403068
> Lire le jugement rendu par le tribunal administratif de Nice le 4 juillet 2024, N° 2403068
