Améliorer ou modifier les locaux ? On pourrait penser que c’est du pareil au même. Il n’en est rien. Bien au contraire ! Le premier cas ne permet pas de déplafonner, ce qu’autorise le deuxième sous certaines conditions ! Eric Kayser, qui avait abattu un mur – porteur – entre deux espaces, propriété de deux bailleurs, entre-t-il dans la première ou la seconde catégorie ? La Cour de cassation répond qu’il s’agit d’une modification des caractéristiques du local – qui emporte donc le déplafonnement. Retour sur un processus d’aménagement d’un magasin des plus banals susceptible d’affecter le montant de son loyer.
Par Me Mickaël Trumer, avocat à la Cour (Cabinet Cohen-Trumer)
La Cour de cassation a rendu le 12 décembre 2024 un arrêt afférent au déplafonnement en raison de la modification notable des caractéristiques du local (1). Les faits sont les suivants : le locataire, qui exploite une boulangerie à proximité du métro Duroc et de l’hôpital Necker, à Paris, dans le 7e arrondissement, a entrepris d’importants travaux en cours de bail, consistant en la suppression de la majeure partie d’un mur porteur, permettant ainsi de relier le local à un local mitoyen appartenant à un autre bailleur.
Le bailleur du premier local a sollicité le renouvellement, arguant d’un déplafonnement du loyer, notamment en raison de la modification notable des caractéristiques du local. Le locataire considérait quant à lui que les travaux relevaient de l’amélioration du local et, qu’en conséquence, aucun déplafonnement ne pouvait être accordé du fait de ces travaux lors de ce renouvellement.
La Cour de cassation a donc tranché la question de la qualification de ces travaux et la décision est intéressante, car de cette question de la qualification découlent des conséquences importantes. Il convient de rappeler les principes en la matière (I) avant d’apprécier la pierre apportée à l’édifice par cette décision (II).
I. Les principes
Les conditions du déplafonnement
A défaut de clause contraire, un bail de neuf ans qui n’a pas duré plus de douze ans, comme c’est le cas en l’espèce, sera plafonné lors du renouvellement. C’est-à-dire que le loyer pourra être diminué si la valeur locative est inférieure au loyer en cours ; mais dans le cas contraire, le loyer ne pourra pas augmenter plus que la variation de l’Indice des loyers commerciaux (Ilc) sur la durée du bail à renouveler.
Il s’agit du principe posé par l’article L. 145-34 du Code de commerce, qui prévoit néanmoins une exception en cas de modification notable de l’un au moins des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l’article L. 145-33 du même code, éléments explicités dans ses articles R. 145-3 à R. 145-8.
Modification notable des caractéristiques du local et accession
Une modification notable des caractéristiques du local – dont les critères d’appréciation sont précisés l’article R. 145-3 – en cours de bail, justifie le déplafonnement du loyer lors du renouvellement suivant en vertu de l’article L. 145-34. A la condition toutefois que le bail prévoit bien une accession en fin de bail puisqu’à défaut, si l’accession est en f i n de jouissance, le propriétaire ne peut pas se prévaloir de travaux qui ne lui appartiennent pas.
La rédaction de la clause d’accession est très importante. Il a été jugé qu’une clause qui prévoit une accession en fin de bail avec faculté pour le bailleur d’exiger «en fin de bail [et] de ses renouvellements successifs, la remise des lieux loués dans leur état primitif, avec suppression de la communication visée plus haut et individualisation complète des deux ensembles de locaux, le tout aux frais du preneur» s’analyse en une accession en fin de jouissance. (2)
Les améliorations
En revanche, l’article R. 145-8 stipule que «les améliorations apportées aux lieux loués au cours du bail à renouveler ne sont prises en considération que si, directement ou indirectement, notamment par l’acceptation d’un loyer réduit, le bailleur en a assumé la charge». En d’autres termes, les améliorations effectuées par le preneur dans le local en cours de bail ne pourront être prises en compte et justifier le déplafonnement lors du renouvellement suivant que si le bailleur a participé, directement ou indirectement, au financement de ces améliorations, et ce même en l’absence de clause d’accession.
En l’absence de financement par le bailleur, ces améliorations pourront éventuellement justifier le déplafonnement lors du second renouvellement consécutif à leur réalisation, à condition que le bail prévoit une accession en fin de bail. Dans ce cas, les améliorations financées par le preneur en cours de bail ne pourront pas justifier le déplafonnement lors du premier renouvellement. Devenant cependant la propriété du bailleur lors de ce renouvellement, elles pourront justifier le déplafonnement lors du second renouvellement.
L’articulation des deux régimes
Il existe ainsi deux régimes distincts en fonction de la qualification des travaux effectués dans le local. Lorsque des travaux sont effectués dans le local, lors du premier renouvellement suivant ces travaux, le déplafonnement pourra être sollicité en toute hypothèse s’il s’agit de travaux modifiant de manière notable les caractéristiques du local, mais ils ne justifieront le déplafonnement qu’à la condition d’avoir été pris en charge directement ou indirectement par le bailleur s’il s’agit de travaux d’amélioration.
A l’inverse, lors du second renouvellement suivant ces travaux, les travaux modifiant les caractéristiques du local ne peuvent plus justifier de déplafonnement alors que les travaux d’amélioration pourront justifier un déplafonnement s’il est prévu une accession en fin de bail. On comprend l’importance de la qualification des travaux.
La qualification des travaux
De très nombreuses décisions abordent cette qualification. Il peut être cité un arrêt de la cour d’appel de Paris du 8 juin 2011 qui donne une définition des travaux modifiant les caractéristiques du local : «Considérant que les travaux affectant les caractéristiques des locaux au sens de l’article R. 145-3 du Code de commerce sont ceux apportant modification des structures, des volumes, des surfaces ou de la division des surfaces des locaux loués ou modification de la conformation des différentes parties des locaux». (3)
La Cour de cassation a par ailleurs donné une définition des travaux d’amélioration dans un arrêt du 3 mai 2016 : il s’agit des travaux d’aménagement, d’embellissement ou des travaux ayant pour conséquence une meilleure adaptation des locaux à la forme d’activité exercée. (4) Ajoutons que les deux qualifications ne sont pas exclusives l’une de l’autre, la Cour de cassation considérant de longue date que lorsque les deux qualifications sont applicables, alors le régime de l’amélioration doit prévaloir. (5)
La Haute juridiction l’a réaffirmé très clairement dans un arrêt du 17 septembre 2020 : «les travaux effectués au cours du bail expiré par le locataire […] avaient tout à la fois modifié notablement les caractéristiques des locaux et amélioré l’utilisation commerciale du fonds de commerce, de sorte que le régime des améliorations devait prévaloir sur celui des modifications». (6)
La cour d’appel de Paris a appliqué récemment ce principe de la primauté du régime de l’amélioration sur celui des modifications, considérant que des travaux d’une pharmacie pour supprimer la mezzanine et le monte-charge, aménager les caves et déplacer les accès aux sous-sols relevaient de la qualification des améliorations et de celle de modification des locaux. La cour a dès lors appliqué le régime des améliorations. (7)
II. L’arrêt du 12 décembre 2024
Quand est-il alors de l’arrêt commenté ? Le locataire qui avait, à ses frais, supprimé la majeure partie d’un mur porteur afin de relier le local en cause avec un local mitoyen, qu’il avait pris à bail auprès d’un autre bailleur, s’opposait au déplafonnement du loyer en arguant qu’il s’agissait de travaux visant à améliorer le local. Le bailleur quant à lui soutenait qu’il s’agissait de travaux modifiant notablement les caractéristiques du local, justifiant le déplafonnement dès le renouvellement suivant. Rappelons qu’il n’y avait pas eu d’augmentation significative (l’épaisseur du mur) de la surface louée suite aux travaux puisque le local mitoyen appartenait à un bailleur tiers.
Et on ignore si le bail prévoyait que le locataire devait reconstruire le mur à son départ, ce qui est probable mais non mentionné.
La cour d’appel de Paris (8) a considéré que ces travaux «ont profondément modifié les structures du bien loué à raison de la démolition de murs porteurs, ce qui dépasse le cadre du simple aménagement», précisant que ces travaux «dans la mesure où ils ont eu pour effet une modification notable de la structure», «ne peuvent être cumulativement considérés comme une amélioration intrinsèque du local…».
Cette décision peut paraître étonnante de prime abord du fait du rejet de la qualification d’amélioration, alors qu’il a été jugé à de multiples reprises que les deux qualifications peuvent coexister. En effet la jonction entre les deux locaux a permis au locataire de bénéficier d’un nouvel accès aux locaux loués pour la clientèle. Ce n’était sans doute pas suffisant pour caractériser une amélioration. L’importance des travaux effectués, avec la modification profonde de la structure du fait de la destruction d’un mur porteur a primé pour la cour d’appel.
Elle est approuvée par la Cour de cassation.
Doit-on en déduire que dans le cas d’une telle modification profonde de la structure du local les améliorations ne peuvent pas coexister ? Ce n’est pas certain à notre sens. Sans doute au cas d’espèce les améliorations étaient-elles inexistantes, ce que laisse entendre la motivation de la Cour suprême : «Ayant relevé que la locataire avait effectué d’importants travaux» qui avaient eu pour effet «une modification notable de la structure, la cour d’appel a pu, procédant à la recherche prétendument omise, en déduire que ces transformations constituaient des modifications notables des caractéristiques du local au sens de l’article L. 145-34 du Code de commerce et ne pouvaient être qualifiés d’améliorations intrinsèques du local au sens de l’article R. 145-8 du Code de commerce.»
Le sujet demeure inépuisable.
Notes
1. Cass 3e Civ., 12 décembre 2024, n° 23-14.800
2. CA Paris, Pôle 5, ch. 3, 12 oct. 2023, n° 20/05359 ; CA Paris, Pôle 5, ch. 3, 21 mars 2024, n° 20/16889
3. CA Paris, 8 juin 2011, n° 09/22395
4. Cass 3e Civ., 3 mai 2006, n° 05-17.421
5. Cass 3e Civ., 28 mai 1997, n° 95-17.486
6. Cass 3e Civ., 17 septembre 2020, n° 19-21.713
7. CA Paris, 20 juin 2024, n° 21/05865
8. CA Paris, 25 janvier 2023, n° 20/17972
> Lire l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 12 décembre 2024 N° 23-14.800
