Pour qu’un bailleur puisse voir le loyer de renouvellement d’un bail commercial fixé à la valeur locative, encore faut-il, à défaut de clause expresse, qu’il y eut, au cours de la période échue (et non de la précédente !), une modification notable et favorable de l’un des paramètres suivants (art. L. 145-33 et 34 du Code de commerce) : «1) Les caractéristiques du local considéré ; 2) La destination des lieux ; 3) Les obligations respectives des parties ; 4) Les facteurs locaux de commercialité» -ceux-ci devant découler de la bonification des abords et non pas seulement de la seule libéralité de la commune d’autoriser l’extension d’une terrasse…
Par Me Olivier Jacquin, avocat à la Cour (Olivier Jacquin Avocats)
Deux arrêts d’appel à Besançon et Dijon et deux de Cassation, dont le dernier pris en juillet 2024 : rien que ça !
Il faut dire que le jeu en valait la chandelle.
Dans cette espèce, le bailleur soutenait que l’exploitation d’une terrasse au cours de la période échue d’un bail constituait une modification notable et favorable des caractéristiques des locaux loués justifiant le déplafonnement du loyer, au sens des articles L. 145-33, L. 145-34 et R. 145-6 du Code de commerce. La cour d’appel de Besançon, par un arrêt du 11 septembre 2019, déboutait le bailleur de sa demande au motif que la terrasse ne faisait pas partie des locaux loués, n’appartenait pas aux preneurs et se trouvait sur le domaine public dont le caractère précaire résulte de ce que l’autorisation municipale est révocable à tout moment.
Le bailleur a alors formé un pourvoi et en 2021, la Haute cour rendait un arrêt publié qui avait fait couler beaucoup d’encre concernant l’appréciation des motifs de déplafonnement. (Cass. Civ. 3e, 13 octobre 2021, n° 20-12901).
Aux termes de celui-ci, la Cour de cassation a, à juste titre retenu que l’extension, au cours du bail expiré, de la terrasse de plein air devant l’établissement, installée sur le domaine public et exploitée en vertu d’une autorisation administrative, ne pouvait être retenue comme une modification des caractéristiques des locaux loués, dès lors qu’elle ne faisait pas partie de ceux-ci. Elle reprochait toutefois à la cour d’appel de n’avoir pas recherché les motifs de déplafonnement autres que ceux évoqués par le bailleur, en ces termes : «En se déterminant ainsi, alors que l’autorisation municipale accordée, en permettant d’étendre l’exploitation d’une terrasse sur le domaine public, contribue au développement de l’activité commerciale, la cour d’appel, qui n’a pas recherché, comme elle y était pourtant invitée, si cette situation modifiait les facteurs locaux de commercialité et constituait par là-même un motif de déplafonnement, n’a pas donné de base légale à sa décision.»
On comprend de cet arrêt, que l’extension d’une terrasse sur le domaine public ne constitue pas une modification des caractéristiques des locaux, mais une modification des facteurs locaux de commercialité pouvant justifier le déplafonnement du loyer, pour autant que cette telle extension était susceptible d’avoir une incidence notable et favorable pour le commerce considéré, comme l’impose la jurisprudence constante en la matière. (Cass. Civ. 3e, 14 septembre 2011, n° 10-30.825, D. 2011. 2273, obs. Y. Rouquet ; ibid. 2012. 1844, obs. M.-P. Dumont-Lefrand ; Ajdi 2011. 867 ; ibid. 829, point de vue A. Confino ; Rtd com. 2012. 84, obs. J. Monéger ; Loyers et copr.
2011, n° 321, obs. P.-H. Brault ; Tgi Verdun, 12 juillet 2012, n° 10/00289, Dalloz actualité, 24 septembre 2012, obs. Y. Rouquet ; ibid. 733, étude P. Mélin ; Paris, 28 octobre 2016, n° 14/18317, Administrer 12/2016. 35, obs. M.-L. Sainturat ; Civ. 3e , 14 septembre 2017, n° 16-19.409, Ajdi 2017. 778).
Cette décision est intéressante en ce qu’elle propose d’étendre le périmètre d’analyse des facteurs locaux de commercialité à des éléments matériels dont seul le preneur bénéficie directement. En effet, habituellement, par «facteurs locaux de commercialité», on comprenait des éléments objectifs et extérieurs au commerce en question et situés dans sa zone de chalandise (de manière non exhaustive : évolution de la commercialité du secteur, rotation des enseignes, gentrification d’un quartier, évolution de la fréquentation des usagers du métropolitain, baisse de la vacance commerciale, augmentation de la population, création d’une station de métropolitain, édification de constructions à proximité etc…).
La cour d’appel de Paris a même précisé dans un arrêt que «la commercialité comme son évolution peut varier dans un quartier, d’un secteur à l’autre, d’une rue à l’autre, voire d’une partie de rue à une autre partie, et même d’un trottoir à un autre.» (CA Paris P. 5 Ch. 3, 29 mars 2017, n° 14/25780). Or, retenir comme motif potentiel de déplafonnement, l’extension d’une terrasse, bénéficiant par nature et a fortiori au seul commerce concerné, et faisant l’objet de la procédure de fixation de loyer de renouvellement, constitue une approche nouvelle.
S’agissant d’un arrêt de cassation, la Haute cour, a ainsi renvoyé l’affaire devant la cour d’appel de Dijon qui devait alors statuer sur le fond du litige, savoir si l’extension de la terrasse constituait une modification suffisamment notable et favorable des facteurs locaux de commercialité, justifiant le déplafonnement du loyer ? Par son arrêt en date du 1er décembre 2022, cette dernière, statuant sur renvoi après Cassation, a alors écarté la demande de déplafonnement du bailleur au motif que le preneur bénéficiait déjà, antérieurement à la date d’effet du renouvellement, d’une large terrasse, de sorte que le bailleur échouait à rapporter la preuve d’une extension notable et favorable de ladite terrasse permettant d’être retenue comme motif de déplafonnement. Bien plus, le preneur versait aux débats, une attestation d’une ancienne serveuse de l’établissement exploité par ce dernier, évoquant une terrasse se prolongeant «jusqu’aux marches de l’église» venant ainsi contredire les affirmations du bailleur.
La cour d’appel de Dijon a précisé à toute fin, que même si cette attestation ne répond pas aux exigences de l’article 202 du Code de procédure civile, «elle n’en demeure pas moins probante comme étant parfaitement circonstanciée». Mécontent d’une telle décision, le bailleur formait alors un nouveau pourvoi sur l’arrêt rendu par la cour d’appel de Dijon.
La Cour de cassation, par un arrêt en date du 4 juillet 2024, met fin à cette longue procédure, et rejetait le pourvoi du bailleur, et en profitait pour rappeler deux points essentiels en matière de déplafonnement, savoir (Cass. Civ. 3e, 4 juillet 2024, n° 23-13515) :
– L’appréciation du caractère notable de la modification relève du pouvoir souverain des juges du fond.
– Une autorisation municipale permettant d’étendre l’exploitation d’une terrasse sur le domaine public contribuait au développement de l’activité commerciale, de sorte qu’il y avait lieu de rechercher si cette situation avait pu modifier les facteurs locaux de commercialité constituant un motif de déplafonnement, et qu’il appartient au bailleur de rapporter la preuve de son caractère notable et favorable pour le commerce considéré.
Perdre après tant d’années de procédure, on peut comprendre que pour le bailleur, les motifs de déplafonnement ne sont finalement pas sa tasse de thé. Il ne lui restera donc plus que d’aller en terrasse pour consommer un ou plusieurs remontant(s)… Avec modération bien sûr !
> Lire l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 4 juillet 2024 N° 23-13.515
