Pour que les injonctions contentieuses faites à la Cnac d’émettre des avis favorables deviennent un outil efficient, la Commission nationale doit décider que tel sera le cas et s’attacher à ce que ses avis et décisions présentent une motivation complète.
Par Me Delphine d’Albert des Essarts, avocate-associée (Wilhelm&Associés)
Dans son rapport d’activité 2023, la Commission nationale d’aménagement commercial (Cnac), outre les chiffres clés de l’année, présente une synthèse du contentieux relatif aux avis et décisions rendus. Même s’il est délicat de vouloir tirer des enseignements généraux de telles données, les statistiques effectuées sont intéressantes.
On y voit ainsi que 57 décisions ont été rendues par les cours administratives d’appel, dont 67 % ont confirmé les avis et décisions déférés à leur examen, illustrant ainsi «la qualité des projets retenus par la Commission nationale ainsi que la solidité des décisions et avis qu’elle émet» (Rapport d’activité Cnac 2023, p. 7). Deux chiffres attirent alors l’attention, même s’ils ne font l’objet d’aucun commentaire particulier : – 14 injonctions de réexamen ont été prononcées par les juridictions administratives ; – Sur les 23 avis/décisions défavorables ayant fait l’objet de recours contentieux à l’initiative des pétitionnaires, seuls 9 d’entre eux ont été confirmés par les juridictions administratives, soit un taux de confirmation de moins de 40 %.
Pourtant, une clarification par la Commission nationale de sa position quant au traitement de ces injonctions administratives, et notamment des mesures qu’elle pourrait mettre en œuvre en pratique pour en tirer toutes les conséquences, serait la bienvenue et contribuerait à une plus grande sécurité juridique de ses avis et décisions.
En effet, c’est en réaction aux avis défavorables successifs opposés par la Commission nationale, malgré des avis ou décisions défavorables précédemment censurés par les cours administratives d’appel, que ces dernières ont admis, dès 2018, la possibilité d’assortir d’une injonction non plus simplement de réexamen des projets mais d’émettre un avis favorable, l’annulation d’un arrêté de refus de permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale (M-A. Renaux, «Vers une systématisation des injonctions contentieuses faites à la Cnac d’émettre des avis favorable», Constr.Urb. n° 9, Septembre 2021, comm. 107).
Plusieurs cours administratives d’appel ont jugé que ces injonctions d’émettre un avis favorable devaient nécessairement intervenir, lorsque l’ensemble des motifs de refus visés dans l’avis défavorable ou invoqués en cours d’instance, étaient censurés (CAA Lyon, 17 juin 2021, Commune de Scion-zier, req. n° 20LY02574 ; dans le même sens : CAA Versailles, 5 août 2021, Snc Alta Crp Aubergenville et Aubergenville 2, req. n° 19VE03316). Cette avancée notable a fini par convaincre les opérateurs malheureux de l’intérêt d’une procédure contentieuse, seule voie leur permettant d’envisager une issue favorable à leur projet de création ou d’extension, malgré le temps nécessaire au traitement judiciaire de leur demande.
Toutefois, le Conseil d’Etat est venu sensiblement modérer l’enthousiasme que ces jurisprudences avaient pu susciter, en censurant le raisonnement adopté par les cours administratives d’appel dans une décision rendue le 22 novembre 2021. La Haute juridiction a confirmé qu’effectivement aucun principe n’empêche d’enjoindre à la Cnac de délivrer un avis favorable sur le fondement de l’article L. 911-1 du Code de justice administrative.
Toutefois, elle a jugé également que cette possibilité dépend des motifs de l’avis et de ceux retenus par la Cour pour les censurer (CE, 22 novembre 2021, Société Les Cluses du Marais, req. n° 441118 ; confirmé par CE, 22 décembre 2021, Cnac et Société Rukim, req. n° 442095).
Ainsi, c’est uniquement lorsque la Cnac a analysé les trois objectifs, au vu des critères mentionnés à l’article L. 752-6 du Code de commerce (aménagement du territoire, développement durable et protection des consommateurs), et que le juge administratif les a censurés, qu’il peut être enjoint à cette Commission de délivrer l’autorisation ou de prononcer un avis favorable.
Or par ailleurs, le Conseil d’Etat juge de manière constante que la Cnac n’est pas tenue «de prendre explicitement parti sur le respect, par le projet qui lui est soumis, de chacun des objectifs et critères d’appréciation fixés par les dispositions législatives applicables» (CE, 4e ch. 13 déc. 2021, n° 437794 : JurisData n° 2021-020291). En d’autres termes, puisqu’elle a totalement la main sur la rédaction de la motivation de ses avis en l’absence de toute obligation à ce titre, la Cnac peut rester maître du jeu.
Selon la motivation de la décision censurée et les motifs de l’arrêt obtenu par les porteurs de projets, elle peut donc rester libre d’émettre un nouvel avis défavorable sans que ces derniers ne disposent de réels moyens d’action, sauf à ce qu’ils réussissent à établir devant la juridiction administrative que la Cnac a examiné l’ensemble des objectifs et critères légaux dans ses différents avis défavorables successifs.
C’est ce qu’a jugé la cour administrative d’appel de Toulouse : «les motifs d’annulation exposés précédemment, au regard tant des motifs retenus par la Commission nationale d’aménagement commercial dans son avis du 1er octobre 2020 et à la suite de son précédent avis du 29 mars 2018, que dans sa demande de substitution de motifs sollicitée dans la présente instance, impliquent nécessairement la délivrance d’un avis favorable.» (CAA Toulouse, 25 juillet 2023, n° 21TL20103, Sci Portes des Pyrénées). Dans cette affaire, ayant débuté le 18 janvier 2018 par une décision d’autosaisie de la Commission nationale, celle-ci vient seulement de prendre, le 12 octobre 2023, un avis favorable.
En l’état des textes et de la jurisprudence, l’injonction ne pourra devenir un outil efficace que si la Cnac décide que la rédaction de la motivation de ses avis et décisions sera désormais complète au regard des trois objectifs mentionnés à l’article L. 752-6 du Code de commerce comme le préconise le Conseil d’Etat.
> Lire la décision rendue par le Conseil d’Etat le 4 avril 2024 sur largusdelenseigne.com

