La conjoncture étant ce qu’elle est, et un sou étant un sou, les frais de réinstallation défraient actuellement la chronique. Le sujet étant d’autant plus rude pour les enseignes que leur dogme du concept, renvoyant aux aménagements spécifiques, est soumis à la seule appréciation du juge. Panorama de jurisprudences permettant aux bailleurs et aux locataires de faire… l’état des lieux sur un point, qui n’est pas de détail. Ces sommes dépassent parfois l’indemnité principale !
Par Me Davina Susini-Laurenti, avocate au Barreau de Paris (Anders Avocats)
Conformément à l’article L. 145-14 du Code de commerce, l’indemnité d’éviction doit être «égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement», l’indemnité principale pouvant être augmentée «éventuellement» des frais normaux «de déménagement et de réinstallation». Les frais de réinstallation sont définis comme étant : «ceux que supporte le locataire évincé pour mettre en place dans ses nouveaux locaux des aménagements semblables à ceux qu’il perd» (CA Paris, 30 novembre 2022 n° 20/02478) ou encore «ceux supportés par le preneur évincé, nécessaires à la reprise de son activité dans les nouveaux locaux, les nouveaux aménagements devant être semblables à ceux dont il bénéficiait dans ses anciens locaux qu’il a été contraint de quitter» (CA Versailles, 19 janvier 2023 n° 21/03908). Ainsi, la jurisprudence n’indemnise que les frais «normaux» de réinstallation, ce qui signifie que ne seraient pas pris en compte des frais engendrés par des réinstallations successives provisoires, qui ne seraient que la conséquence de l’imprévoyance du locataire alors que ce dernier n’est pas contraint de quitter les locaux loués tant que l’indemnité d’éviction n’est pas payée. De même, le preneur ne sera pas indemnisé des travaux réalisés après la date d’effet du congé ou encore pour des aménagements nouveaux au regard de l’existant dans les locaux délaissés ou dont le caractère indispensable à l’activité n’est pas établi. Depuis un arrêt «Monoprix» du 21 mars 2007 (n° 06-10.780), la Cour de cassation considère que cette indemnité accessoire est due tant dans l’hypothèse du remplacement du fonds de commerce que dans celle de son déplacement, alors que, dans la première hypothèse, la valeur du fonds de commerce est censée inclure la valeur des aménagements. Un courant jurisprudentiel a vu le jour tendant à n’indemniser les frais de réinstallation que dans la mesure où il s’agirait d’aménagements spécifiques à l’activité du preneur et existants dans les locaux perdus. Ce sera notamment le cas pour les locataires appartenant à des enseignes nationales ou internationales pour lesquelles la clientèle s’attend à retrouver dans les locaux nouveaux les mêmes éléments de décoration, les mêmes aménagements, c’est-à-dire le même «concept». Toutefois, le fait pour le preneur d’appartenir à une chaîne ne suffira pas et il appartiendra au juge de vérifier in concreto la justification des frais participant à l’identité visuelle propre à l’exploitant La Cour de cassation abandonne le calcul des frais de réinstallation au pouvoir d’appréciation souverain des juges du fond, lesquels respectent usuellement trois grands principes : 1) L’éviction ne pouvant mener à un enrichissement sans cause, la jurisprudence retient de manière unanime une évaluation à neuf des aménagements sur devis ou factures ou en retenant un prix au mètre carré hors taxe, mais en appliquant un abattement forfaitaire en fonction de la vétusté ; lequel n’est pas nécessairement en lien avec le degré d’amortissement des équipements. C’est donc la valeur d’usage qui est retenue et non la valeur nette comptable (CA Paris, 26 septembre 2018 n° 16/24822).
2) L’existence dans le bail d’une clause d’accession au bénéfice du bailleur sans indemnité est sans incidence car l’article L. 145-14 du Code de commerce est d’ordre public de sorte qu’aucune clause contractuelle, y compris relative à l’accession, ne peut remettre en cause l’indemnisation du preneur (Cass., 3e civ., 13 septembre 2018 n° 16/26.049).
3) L’indemnité doit tenir compte de la part des locaux évincés accessibles à la clientèle, le fait que le preneur ait fait le choix de s’installer dans des locaux plus vastes ne donnant pas lieu à une augmentation de l’indemnité lui revenant (CA Amiens, 3 novembre 2022 n° 20/05326).
L’indemnisation des frais de réinstallation n’est, en toute hypothèse, pas automatique et ils ne sont notamment pas dus lorsque le bailleur rapporte la preuve que le preneur ne se réinstallera pas. La charge de la preuve d’une absence de réinstallation pèse en effet sur le bailleur, sans toutefois que l’âge de l’exploitant soit le seul critère. Il appartient néanmoins au preneur de démontrer le quantum de ses frais de réinstallation notamment par la production de devis ou de factures lorsque la réinstallation est effective au jour où le juge statue.
La jurisprudence reconnaît au bailleur une action en remboursement s’il s’avère que le preneur ne se réinstalle pas après décision judiciaire (Cass., 3e civ., 28 mars 2019, n° 17-17.501). Dans la même veine, il est possible pour le bailleur de demander au tribunal de consigner les frais de réinstallation dans l’attente de la réinstallation effective du preneur ou, à tout le moins, de la signature du nouveau bail.
Ainsi, les frais de réinstallation constituent un poste à ne pas négliger car l’indemnisation n’est pas systématique et les enjeux financiers sont parfois importants, pouvant aller jusqu’à dépasser l’indemnité d’éviction principale.

