Lors d’une cession des murs de locaux commerciaux occupés, il est courant, si ce n’est systématique, de prévoir au sein de l’acte de vente une clause dite de subrogation. Ce mécanisme juridique – essentiel dans le monde des affaires – transfère les droits et obligations du vendeur à l’acheteur.
Cette substitution est bénéfique pour le cédant qui souhaite, entre autres, éviter tout contentieux à compter du transfert de propriété ; et ce même si la cause du litige est antérieure à la vente. Mercialys l’a appris à ses dépens : une telle clause est dépourvue d’efficacité dans certains cas. Comme le montre l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 16 mai 2024, le bailleur originaire, malgré la vente, peut toujours être inquiété si son ancien locataire veut le poursuivre.
Par Me Jean-Marc Noyer, avocat au Barreau de Paris (Cabinet Noyer)
Dans cette affaire, la société Mercialys avait donné à bail à l’enseigne Maisons du Monde des locaux commerciaux situés dans un centre commercial. Suite à des impayés, composés de charges, appelés par le syndicat des copropriétaires du centre commercial, un commandement de payer avait été délivré à l’initiative de la bailleresse.
L’enseigne avait accepté de verser les sommes réclamées pour éviter une procédure, tout en précisant au bailleur qu’il s’agissait d’un paiement à titre conservatoire. Cette mention avait son importance : elle signifiait que la locataire n’excluait pas d’en réclamer la restitution ultérieurement. C’est bien ce qu’il s’est passé. Immorente a fait l’acquisition des murs ; l’acte de vente contenait une clause de subrogation aux termes de laquelle le nouveau propriétaire ferait son affaire de la poursuite et/ou de la résiliation des baux ainsi que de «tout contentieux qui se déclarerait à compter du transfert de propriété, même si la cause en était directement ou indirectement antérieure». L’objectif était simple : permettre à Mercialys d’appeler en garantie la nouvelle propriétaire et/ou de solliciter sa mise hors de cause en cas de procédure intentée à son encontre. Quelques années plus tard, Maisons du Monde assigne Mercialys pour obtenir la nullité du commandement de payer délivré à l’époque ainsi que le remboursement des sommes versées, visées par l’acte, rappelons-le, à titre conservatoire. Logiquement, l’ancienne bailleresse fait intervenir dans la procédure la nouvelle, au motif que l’acte de vente contenait la clause de subrogation ci-avant retranscrite et donc que la propriétaire actuelle est seule concernée par ce litige. La bailleresse originelle demande en outre à être mise hors de cause. L’ex-tribunal de grande instance de Béziers refuse au motif que Mercialys a encaissé les fonds litigieux dont elle savait qu’elle pourrait devoir restitution en cas de succès des prétentions de son ancienne locataire. L’enseigne étant, au demeurant, déboutée de sa demande de remboursement. Cette dernière a donc fait appel du jugement. La cour d’appel de Montpellier, dans son arrêt du 19 avril 2022 (RG n°19/03730) a quant à elle accepté la mise hors de cause la société Mercialys car : – Au jour de la délivrance de l’assignation, soit trois ans et demi après la cession, c’est bien Immorente qui avait la qualité de bailleur et non plus Mercialys ; ce que Maisons du Monde ne conteste pas. – Le fait que Mercialys ait perçu les fonds dont la restitution est demandée ne peut justifier qu’elle soit maintenue en la cause en raison de l’existence de ladite clause de subrogation. La Cassation casse l’arrêt et, à l’instar du juge de Béziers, considère que le locataire pouvait valablement agir à l’encontre de sa bailleresse originelle qui a reçu les paiements sans que l’on puisse lui opposer la clause de subrogation. La Haute juridiction se base, entre autres, sur l’ancien article 1165 du Code civil, désormais abrogé, lequel rappelait que «Les conventions n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes ; elles ne nuisent point au tiers». Une telle solution semble toutefois toujours applicable. Car l’actuel article 1199 du même code affirme que «Le contrat ne crée d’obligations qu’entre les parties». Autrement dit, la clause de subrogation, puisqu’elle est insérée dans un contrat dans lequel n’est pas intervenue la locataire, n’a pas nécessairement d’effet à l’égard de cette dernière.
Vendeurs de locaux commerciaux occupés, ne vous méprenez donc pas : l’existence d’une clause de subrogation dans l’acte de vente n’empêchera pas votre locataire de vous poursuivre pour des causes antérieures à la cession. Seul un accord tripartite cédant – cessionnaire – locataire, aux termes duquel ce dernier s’engage à ne pas poursuivre le vendeur même pour des faits antérieurs à la vente, pourrait en fait se montrer efficace.
> Lire l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 16 mai 2024 en page 17



