Signer un contrat de franchise avec un franchisé auquel on cède en plus un fonds de commerce pour 240 000 €, n’allège pas l’obligation d’information précontractuelle prévue par la loi Doubin. Bien au contraire, et notamment lorsque les deux exploitants antérieurs ont capoté et que le franchiseur l’a récupéré sans autre forme de procès. La cour d’appel de Paris, qui ordonne sa restitution, trouve qu’en l’occurrence, Ada a poussé le bouchon un peu loin…
Par Me Cécile Peskine, avocate à la Cour (conseil en réseaux Linkea)
L’affaire trouve place dans le secteur de la location de véhicules : un franchiseur cède à son franchisé le fonds de commerce qu’il exploite à Paris depuis trois ans, lui accordant au passage le bénéfice d’un crédit-vendeur permettant le paiement du prix de vente en 84 mensualités. En amont de la vente, le franchiseur remet au franchisé un document d’informations précontractuelles, ainsi que des comptes d’exploitation prévisionnels de nature «très optimiste ». Pour autant, le franchiseur n’omet pas de mentionner les difficultés rencontrées par les deux précédents franchisés du secteur, dont il signale qu’ils ont fait l’objet de liquidations judiciaires.
Hélas, le sort semble se répéter pour le nouveau franchisé, dont l’affaire prend rapidement l’eau. Ce dernier cesse de régler les mensualités du crédit-vendeur, amenant le franchiseur à décider de reprendre les locaux, à prononcer la résiliation du contrat de franchise, et à solliciter la résolution judiciaire de la cession de fonds de commerce.
Le franchisé contre-attaque, sollicitant l’annulation des contrats de franchise et de cession, estimant que son consentement aurait été entaché d’un dol.
Ce n’est toutefois pas le dol qui amène la cour à prononcer l’anéantissement du contrat de cession de fonds de commerce, mais le manquement du franchiseur-vendeur à son obligation d’information loyale sur les éléments essentiels de la chose vendue. De la sorte, si le franchiseur avait bien informé le franchisé des liquidations judiciaires survenues à l’égard des deux précédents franchisés, la cour relève que la tête de réseau avait en revanche expressément refusé de communiquer au franchisé les bilans de ses prédécesseurs lorsque celui-ci en avait fait la demande quelques semaines avant la cession du fonds de commerce.
Pour la juridiction, le refus de communiquer ces comptes, alors même qu’ils étaient en possession du franchiseur, a contribué à «rendre ineffective la possibilité pour le franchisé de se renseigner utilement auprès d’un professionnel du secteur pendant la phase précontractuelle», et justifie la résolution de la cession aux torts du franchiseur.
Par là-même, les magistrats font peser sur le franchiseur une obligation d’information pré-contractuelle plus que renforcée :
– le franchiseur avait en effet pris soin de remettre un document d’informations précontractuelles conformément à l’article L. 330-3 du Code de commerce ;
– l’acte de cession de fonds de commerce comportait bien (semble-t-il) les chiffres d’affaires réalisés par le cédant, conformément à l’article L. 141-1 du Code de commerce.
Le franchiseur n’était ainsi pas en manquement avec l’une des obligations d’information préalable expressément édictées par le Code de commerce, mais voit malgré ce sa responsabilité engagée. Avec pour conséquence l’obligation de rembourser au franchisé les sommes versées par lui au titre de l’achat du fonds de commerce, ainsi que d’indemniser ce dernier à hauteur de 10.000 €, somme destinée à couvrir le préjudice découlant de la reprise «sauvage» du fonds de commerce par le franchiseur.
La leçon à en tirer est de poids – tant pour les franchiseurs, que pour les vendeurs de fonds de commerce – que la prudence invitera à porter à la connaissance de leur acquéreur tous les éléments en leur possession sur la situation du fonds et leurs prédécesseurs, sans se limiter aux seules informations légalement obligatoires. Relevant au passage que le vendeur d’un fonds de commerce n’est pas en droit de reprendre possession du bien cédé s’il n’y a pas été autorisé par une décision de justice, ce même si l’acquéreur n’est pas à jour des paiements au titre du crédit-vendeur.
> Lire l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris le 16 septembre 2020
