La cour d’appel de Rennes ne s’en est pas laisser compter. Dans un arrêt du 17 mars 2020, n° 17/0132, elle dénie au franchisé dont les affaires avaient tournées mal, le rôle de candide qu’il tentait de jouer face à une enseigne notoire qui avait eu tout lieu de lui accorder sa confiance sur un territoire qu’il connaissait comme sa poche.
Par Me Rémi de Balmann, avocat-associé (D, M & D),
coordinateur du Collège des experts de la Fédération française de la franchise
L’arrêt rendu par la cour d’appel de Rennes le 17 mars 2020 dans un litige opposant l’enseigne Bonobo à un affilié confronté à une situation d’échec s’inscrit dans le fil de la jurisprudence qui – avec raison – tient compte de l’expérience antérieure du candidat franchisé et sa compétence à apprécier la faisabilité de son projet. Trop facile en effet de se faire passer après coup pour profane ou béotien et invoquer la loi Doubin pour se dire victime d’une erreur sur la rentabilité du concept.
En l’espèce, l’affilié avait fait le choix d’ouvrir un magasin de vente de vêtements pour femmes et hommes à Villetaneuse (93) alors même que le réseau était principalement implanté en province et dans l’ouest parisien ; ayant essuyé un échec, l’affilié tentait d’en imputer la faute à l’enseigne à qui grief était fait de l’avoir trompé sur l’attractivité du concept.
Cet affilié s’avançait ainsi devant ses juges tel Booz, «vêtu de probité candide et de lin blanc» (1). Il n’allait toutefois pas échapper à la cour que cet affilié feignait l’innocence puisqu’il avait travaillé pas moins de deux ans au sein du groupe constitué par son père et comptant plus d’une dizaine de magasins de prêt-à-porter affiliés à de grandes enseignes… Voulant aussi sinon mieux que son père, cet affilié avait décidé de «voler de ses propres ailes» en créant son propre groupe en 2010, trois ans avant d’entrer en pourparlers avec la marque Bonobo et proposer lui-même plusieurs emplacements en région parisienne !
Ainsi donc, comment ne pas admettre avec la cour que cet affilié était, «malgré ses contestations selon lesquelles il n’a jamais exercé que des empois subalternes dans les magasins de son père, un dirigeant averti et expérimenté». Étant relevé qu’à la date de signature de son contrat de commission-affiliation, «il était ou avait été, certaines sociétés ayant été radiées, dirigeant de douze sociétés exploitant des commerces en grande région parisienne», il ne pouvait qu’en être déduit que «lors de l’examen du Dip, M. B. avait l’expérience requise pour se rendre compte que la marque Bonobo était (…) peu implantée dans le nord et l’est francilien, dont la population présente des spécificités indéniables et qu’ainsi, une part d’inconnu préexistait au projet envisagé».
L’adhésion à un réseau restera toujours une aventure commerciale et ce n’est pas pour rien que le Code de déontologie européen de la franchise invite les têtes de réseaux à ne sélectionner et n’accepter «que les franchisés qui, d’après une enquête raisonnable, auraient les compétences requises (formation, qualités personnelles, capacités financières) pour l’exploitation de l’entreprise franchisée». Et s’il est par ailleurs ajouté que «le candidat franchisé doit être loyal et sincère quant aux informations qu’il fournit à son franchiseur sur son expérience, ses capacités financières, sa formation en vue d’être sélectionné», c’est bien parce que ces données peuvent et doivent être prises en compte par les têtes de réseaux dans le cadre de leur recrutement.
Ayant pris des risques comme tout entrepreneur, un franchisé ou un affilié n’est pas fondé à «faire le singe» en excipant d’une fausse naïveté ! La Cour de cassation elle-même, notamment dans un arrêt en date du 7 octobre 2014, a jugé que la cour d’appel «n’a pas imposé à un profane une obligation de vérification des éléments communiqués par un professionnel mais a fait ressortir, dans le cadre d’une relation d’affaires entre professionnels, un manque de diligence». (Cass.com, 7 oct. 2014, pourvoi n° 13-23-119).
Dans la même veine et allant plus loin – puisqu’il était alors établi que la tête de réseau avait commis des fautes dans l’information précontractuelle («présentation désinvolte du marché et production de comptes d’exploitation prévisionnels standard»), la cour d’appel de Lyon a estimé, par un arrêt en date du 5 juin 2014, que : «Loin d’être des néophytes du monde des affaires, les franchisés sont des personnes d’expérience et d’une maturité certaine, ayant exercé de longue date des fonctions d’autorité dans le secteur du commerce, du management ou de l’entreprise ; Qu’ils ont pris le temps de la réflexion avant de signer leurs contrats de franchise (…) ; Que la plupart d’entre eux font état de leur connaissance du milieu économique et notamment du marché de leur région d’exercice». (C.A. Lyon, 5 juin 2014, RG 13/03651).
Est-ce à dire pour autant que les têtes de réseaux pourraient de leur côté évoquer systématiquement la clairvoyance d’un candidat pour le priver de la possibilité de se dire victime d’un vice du consentement ? Non car il peut advenir que les juges écartent l’argument et annule le contrat pour manquement à l’obligation d’information précontractuelle. En présence d’un candidat particulièrement éclairé, la solution peut surprendre.
Ainsi et par arrêt du 25 juin 2013, la Cour de cassation a approuvé l’annulation d’un contrat de franchise prononcée par les juges du fond et ce, alors même que le franchisé, en l’espèce, avait «repris avec succès un centre de lavage de la même enseigne dans une autre région quelques années auparavant» (Cass.com, 25 juin 2013, pourvoi n° 12-20.815)… Cependant et «même s’il n’était pas novice», ce franchisé était fondé à reprocher au franchiseur de lui avoir transmis un chiffre d’affaires prévisionnel qui «s’est révélé deux fois supérieur à celui réalisé (…)». Pour les juges, ce franchisé n’était pas en mesure de détecter pour son nouveau projet l’irréalisme des chiffres avancés par le franchiseur, même s’il était doté d’une mémoire d’éléphant…
Notes :
1. «Booz endormi» : Victor Hugo («L a légende des siècles»).
> Lire l’arrêt rendu par la cour d’appel de Rennes le 17 mars 2020
