Il est toujours difficile de protéger les marques et c’est pourquoi des experts existent… Il est encore plus difficile de les protéger lorsqu’elles utilisent des codes simples et forts, comme le bleu et blanc de cet Eléphant Bleu, qui sont eux-mêmes symboliques de l’eau et de la propreté. Les contrats étant en outre restrictifs, il y a lieu d’utiliser habilement la notion de signes distinctifs pour aboutir à une meilleure protection de l’identité du réseau.
Par Eric Schahl, associé (Inlex IP Expertise)
La question de la protection des éléments de l’image d’un réseau, et particulièrement des couleurs emblématiques des magasins et de la marque, n’est jamais simple. Il existe schématiquement deux modes de protection :
– le droit des marques (pour autant que l’on dispose d’une marque enregistrée couvrant bien la combinaison de couleurs) qui protège contre les tiers, anciens franchisés compris ;
– le contrat qui peut protéger contre le cocontractant (pour autant que celui-ci contienne des dispositions propres à la protection des signes distinctifs identifiés, en l’occurrence la combinaison de couleurs, et que l’ex-franchisé soit tenu de les imposer au repreneur de son fonds de commerce).
C’est précisément cette dernière voie de protection, le contrat, qui a été censurée par la cour d’appel de Paris dans un arrêt du 1er juillet 2020 (affaire n° 17/21498 Hypromat France (Elephant Bleu) contre Aulnoy Lavage et Jeu-mont Lavage).
Les premiers juges considèrent la clause de protection des couleurs bleue et blanche non écrite !
Pour résumer les faits, Aulnoy Lavage et Jeu-mont Lavage sont des franchisés Elephant Bleu ayant le même gérant et dont les contrats ne sont pas renouvelés. Aulnoy attaque Hypromat France sur la base de la rupture brutale de relations commerciales établies ce que les juges de première instance ne retiennent pas. Par contre, ils considèrent que la clause du contrat de franchise obligeant le franchisé à ne plus utiliser les couleurs bleue et blanche et faire repeindre le centre de lavage dans les 6 mois de la cessation du contrat de franchise, est réputée non écrite aux motifs qu’elle ne précise aucune limite dans le temps pour cette interdiction et peut avoir pour effet de restreindre la liberté d’exercice de l’activité commerciale de l’ex-franchisé en l’empêchant de rejoindre un réseau concurrent utilisant les mêmes couleurs.
Les juges d’appel confirment en application de l’article L. 341-2 !
La cour d’appel retient en effet que, contrairement aux affirmations d’Hypromat France, la combinaison de couleurs est utilisée par d’autres réseaux concurrents (preuve rapportée par Aulnoy Lavage avec le réseau Aquabloo) et que cette combinaison est aussi naturelle pour une activité de lavage, le blanc symbolisant la propreté associée au bleu symbole de l’eau. Les juges confirment donc que la clause est de nature à restreindre la liberté d’exercice de l’activité commerciale de l’exploitant.
Ils ajoutent aussi que l’article L. 341-2 est d’application immédiate c’est-à-dire pour des contrats conclus avant août 2015, les parties ayant pu alors prévoir des clauses de sortie avec une durée plus longue qu’une année.
Que doit-on retenir ?
– L’article L. 341-2 dispose que toute clause ayant pour effet, après l’échéance ou la résiliation d’un contrat de type franchise, de restreindre la liberté d’exercice de l’activité commerciale de l’ancien franchisé, est réputée non écrite (à moins d’être limitée aux terrains et locaux utilisés par l’ex-franchisé, être indispensables à la protection du savoir-faire transmis et ne pas excéder un an …) ;
– la protection par le contrat est donc restrictivement encadrée et cette limite d’un an entraîne la dilution automatique de l’élément concerné passé ce délai ;
– la dilution est l’ennemi mortel de la protection (comme le montre ici le fait que le réseau Aquabloo utilisait aussi la même combinaison de couleurs) ;
– mais cet article L. 341-2 n’empêche pas d’interdire à un ancien franchisé l’usage des signes distinctifs du réseau pour autant que ceux-ci soient protégés par un droit de propriété industrielle ;
– il est donc nécessaire pour les réseaux d’utiliser tous les droits de propriété industrielle ou intellectuelle à leur disposition pour protéger les éléments essentiels de leur identité (et ainsi de faire un audit des éléments actuellement non protégés hors contrat et de tout usage par un concurrent pouvant entraîner une dilution) ;
– une utilisation habile de cette notion de signes distinctifs peut aboutir à une meilleure protection de l’identité du réseau.
> Lire l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris le 1er juillet 2020
