Jusqu’ici, le débat portait sur le déplafonnement à la hausse. Les basses eaux de la conjoncture ouvrent la porte à une situation nouvelle : le renouvellement judiciaire à la baisse. On est toujours à la valeur locative, bien entendu, mais dans l’autre sens. C’est le monde à l’envers, sauf pour les bailleurs avisés… qui ont prévu une clause de «cliquet» assise sur la dernière quittance.
Par Benjamin Robine, expert immobilier, Mrics, gérant (Robine&Associés)
Le bail commercial est principalement structuré autour du droit au renouvellement protecteur du fonds de commerce et de la valeur locative assurant l’équilibre financier du rapport contractuel. En période de croissance économique, d’inflation contenue et de consommation soutenue, les valeurs locatives ont eu tendance à progresser plus rapidement que les loyers contractuels réglementés dans leurs évolutions indiciaires et plafonnés lors du renouvellement des baux.
Dans ce contexte, les praticiens des baux commerciaux s’interrogeaient essentiellement sur le risque (ou l’opportunité) de déplafonnement du loyer lors de l’échéance contractuelle, la valeur locative se trouvant supérieure au loyer issu du plafonnement. Le débat était alors focalisé sur les motifs de déplafonnement dont le plus notoire consiste en l’étude des facteurs locaux de commercialité.
L’immobilier commercial post-Covid est marqué par une croissance faible, une forte inflation, quoique dernièrement décroissante, et une consommation en net retrait. Certains secteurs d’activité tels que l’équipement de la personne, qui servaient auparavant de valeur étalon, connaissent depuis plusieurs années un fort repli et des défaillances significatives.
Les praticiens recourent fréquemment à l’un des principes clés du bail commercial suivant lequel le montant du loyer du bail renouvelé doit correspondre à la valeur locative (article L. 145-33 du Code de commerce), la circonstance que le loyer issu du plafonnement lui soit supérieur étant parfaitement indifférente. On rencontre parfois la notion contestable de «déplafonnement à la baisse», témoignant hélas d’une acception du marché principalement à la hausse et qu’accessoirement à la baisse.
Sauf dispositions contractuelles contraires, la baisse du loyer à l’occasion du renouvellement du bail est conditionnée à la seule preuve que la valeur locative est inférieure au loyer indexé ou issu de la règle du plafonnement. Ce retour aux fondamentaux est illustré par trois décisions récentes rendues par les juridictions parisiennes sur des artères commerçantes par des enseignes internationales.
OBSERVATIONS
– Le loyer d’origine peut être supérieur à la valeur locative (Starbucks). En effet, le Code de commerce ne réglemente pas le loyer à l’entrée qui se forme strictement par le jeu du marché et l’autonomie de la volonté. Le loyer est fixé pour la durée contractuelle du bail, les fenêtres de révision du loyer à la valeur locative étant étroites et limitées aux dispositifs des articles L. 145-38 al.2 et L. 145-39 du Code de commerce.
– L’évolution du loyer par le jeu des indices ne suit pas celle de la valeur locative (Lacoste, Tissot). L’indice Ilc est en progression annuelle moyenne de 5,5 % depuis deux ans, rythme supérieur à la croissance du commerce de détail et ayant servi de justification au plafonnement à hauteur de 3,5 % pour les Pme.
– La valeur locative peut s’avérer inférieure au loyer plafond (Starbucks, Lacoste), le plancher au loyer du bail renouvelé étant précisément la valeur locative.
– La valeur locative lors du renouvellement peut s’avérer inférieure au loyer d’origine (Starbucks, Tissot).
Il n’aura pas échappé au lecteur que la valeur locative estimée dans ces trois illustrations judiciaires relève de la définition légale de l’article L. 145-33 du Code de commerce qui correspond à la «valeur locative en renouvellement» ou encore à la «valeur locative judiciaire».
Cette valeur composite, issue notamment des «prix couramment observés dans le voisinage», s’avère ici protectrice du fonds de commerce, mais destructrice de valeur en capital pour les bailleurs dont le revenu se trouve durablement diminué pendant la durée du bail renouvelé, sauf exercice du droit d’option en vue de relouer après versement de l’indemnité d’éviction dans des conditions de marché.
C’est dans ces conditions que l’on retrouve fréquemment dans les baux à l’initiative de bailleurs avisés et conseillés des clauses «cliquet» prévoyant la fixation du loyer à la valeur locative de marché lors du renouvellement, assortis d’un plancher constitué par le dernier loyer annuel quittancé.
> Lire le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Paris le 15 mai 2023
> Lire l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris le 9 novembre 2023
> Lire la décision rendue par le tribunal judiciaire de Paris le 22 décembre 2023

