On ne peut comparer que ce qui est comparable… Principe d’évidence. Déduire la taxe foncière de la valeur locative, aboutit à rompre l’égalité de traitement entre locataires d’un ensemble commercial. La valeur locative est un tout. Lui soustraire un prélèvement fiscal sans rapport avec le marché locatif est à la fois arbitraire et inéquitable. Un peu comme si sur un prix all inclusive, on retirait à certains les boissons et à d’autres pas. Comparaison ne peut évidemment qu’être raison.
Par Mes André Jacquin et Romain Aubessard, avocat-associé et avocat (Jacquin Maruani Avocats)
Dans sa dernière jurisprudence, la Cour de cassation considère que la refacturation de l’impôt foncier constitue une charge exorbitante du droit commun de nature à justifier un abattement sur la valeur locative en application de l’article R. 145-8 du Code de commerce (1). La déduction de la valeur locative de la taxe foncière, lors de la fixation judiciaire du loyer de renouvellement, pourrait constituer une rupture d’égalité entre les différents locataires dans les secteurs spécifiques dans lesquels les baux prévoient de manière systématique que la taxe foncière est imputée au locataire, comme les centres commerciaux, les bureaux ou les artères d’exceptionnelle commercialité.
Cette rupture d’égalité est contraire à l’esprit du législateur de 1953 qui souhaitait, par la prise en compte des paramètres de l’article L. 145-33 du Code de commerce, faire en sorte de créer une égalité parfaite de traitement entre les différents locataires situés dans un même secteur géographique et bénéficiant de baux imposant aux locataires les mêmes avantages mais également les mêmes contraintes. C’est la raison pour laquelle a été créé un système de pondération des surfaces permettant de définir un prix du mètre carré normatif quelle que soit la configuration des locaux en fonction de leur catégorie (boutique, moyenne surface, grande surface).
Ainsi, la position de la Cour de cassation soulève une difficulté certaine car aux termes du contrat initial, la volonté des parties consiste à imputer au locataire la taxe foncière, de sorte que ce dernier en supporte la charge financière effective. Or, malgré la règle selon laquelle les baux se renouvellent aux mêmes clauses et conditions, les juges déduisent le montant de la taxe foncière de la valeur locative en renouvellement, rompant ainsi l’équilibre économique contractuel initialement souhaité par les parties. Cela est d’autant plus problématique lorsque l’ensemble des termes de comparaison pertinents, choisis par l’expert et retenus par le juge, portent sur des baux stipulant que le locataire doit supporter le paiement de la taxe foncière.
Ainsi, par exemple, dans un centre commercial constituant selon la jurisprudence constante une «unité autonome de marché», si l’expert estime le prix unitaire d’une boutique de 100 m²p à 1 200 €/m²p, ce prix étant établi sur la base des loyers des boutiques du centre, le juge va fixer le loyer de renouvellement sur la base de 1 200 € x 100 m²p = 120 000 €, et il va ensuite déduire le montant de la taxe foncière, alors même que les locaux de comparaison ont permis de définir la valeur locative sans aucune prise en considération de ladite taxe qui est, pourtant, refacturée. Le déséquilibre ainsi créé est manifeste.
L’article R. 145-7 du Code de commerce précise, s’agissant des comparables à retenir, que «Les prix couramment pratiqués dans le voisinage, par unité de surfaces, concernent des locaux équivalents eu égard à l’ensemble des éléments mentionnés aux articles R. 145-3 à R. 145-6. (…)». Le texte conduit donc le juge à s’intéresser au marché par l’étude d’éléments de comparaison.
Or, pour déterminer les prix pratiqués dans le voisinage, il convient de retenir la réelle valeur à débourser pour l’exploitation d’un local à un emplacement déterminé, la notion de «prix» se définissant comme la «valeur estimée d’un bien ou d’un service» (2). Nous rappellerons que le loyer n’est que la contrepartie de la prestation assurée par le bailleur, c’est-à-dire la jouissance des lieux, et que figurent donc parmi les éléments des loyers les charges exorbitantes, c’est-à-dire les charges incombant normalement au bailleur dont celui-ci se serait déchargé sur le locataire. Il convient dès lors d’intégrer aux éléments de comparaison les charges dont le bailleur se serait déchargé sur le preneur pour retrouver un prix unitaire correspondant à la véritable valeur économique des locaux de comparaison.
Dans l’imperium du juge figure en effet la mission de fixer un loyer de renouvellement en fonction des différents paramètres ayant pour vocation de retrouver un prix unitaire équivalent pour l’ensemble des locaux de la zone ou du marché retenu. Les charges exorbitantes constituant des suppléments de loyer, elles obligent les experts à un travail d’information précis et complet de la juridiction, comprenant le détail intégral des charges exorbitantes imputées aux locataires des locaux de comparaison, et notamment le montant de la taxe foncière imputée aux preneurs dont les locaux servent de référence. Le travail de recherche et d’information des experts s’est jusqu’ici révélé insuffisant et ne répond pas au questionnement de la Cour de cassation qui impose aux juges du fond un examen du transfert des charges exorbitantes, lorsque les parties en font la demande (3). Du reste, la cour d’appel de Douai ne s’y est pas trompée en indiquant que cette recherche était nécessaire pour garantir «(…) notamment au bailleur, de ne pas perdre le bénéfice de la majoration de la valeur locative devant s’appliquer aux termes de références» (4).
Raisonner autrement reviendrait à remettre en cause la méthode de comparaison retenue notamment par la Charte de l’expertise, et alors même que celle-ci est expressément voulue par le législateur. En l’occurrence et contrairement au dicton, en l’espèce mal venu, «comparaison ne peut être que raison».
Notes
1. Cass. 3e civ., 8 févr. 2024, n° 22-24.268
2. Dictionnaire de l’Académie française.
3. Cass. 3e civ., 20 déc. 2018, n° 17-27.654
4. CA Douai, Chambre 2, Section 1, arrêt du 16 novembre 2023, n° 21/00007
