Lorsque le juge accorde au locataire des délais de paiement, ces délais doivent être strictement respectés, même si le locataire a payé plus tôt que prévu une grosse somme, car le moindre retard, même pour un solde minime, fait jouer le couperet de la clause résolutoire. La Cour de cassation, par un arrêt du 26 octobre 2023, décide que la bonne ou la mauvaise foi du bailleur n’a pas à être prise en compte.
Par Me Jehan-Denis Barbier, docteur en droit, avocat à la Cour (Barbier-Associés)
Les délais de paiement sont dangereux.
C’est ce qui ressort d’un arrêt particulièrement sévère du 26 octobre 2023 (3e Chambre civile, n° 22-16.216), puisque la Cour de cassation décide que la clause résolutoire est définitivement acquise, même pour un solde minime, «sans que la mauvaise foi de la bailleresse à s’en prévaloir puisse y faire obstacle».
La formule peut choquer : a-t-on désormais le droit d’être de mauvaise foi ?
Malheureusement pour les locataires, cet arrêt est justifié au regard de diverses considérations purement juridiques. En l’occurrence, un locataire avait des arriérés de loyer importants. Il s’était adressé au juge des référés pour demander des délais de paiement qui lui avaient été accordés : il pouvait régler l’arriéré en vingt-quatre mois. Ce locataire avait fait un effort particulier, puisqu’il avait réglé en huit mois la quasi-totalité de sa dette. Mais il restait un «solde minime».
Or, ce «solde minime» n’avait pas été réglé, probablement par négligence, dans la limite des délais de vingt-quatre mois accordés par le juge des référés. Dès lors, le bailleur avait repris les poursuites pour procéder à l’expulsion du locataire sur le fondement de la clause résolutoire acquise.
La cour d’appel, au contraire, avait estimé que la clause résolutoire n’était pas acquise, en considérant précisément que le solde était minime. Mais l’arrêt est cassé : quel que soit le montant du solde ou quel que soit le retard, même d’un jour, le couperet tombe automatiquement.
Ainsi, il a été jugé qu’à défaut de respect strict des délais accordés, la clause résolutoire est définitivement acquise, même si le locataire a réglé en cours d’instance l’intégralité des sommes visées au commandement (Civ. 3e, 14 mai 2008, n° 07-17.17.121, Administrer octobre 2008, p. 48, note J.-D. Barbier).
En cas de violation des délais fixés par le juge, la clause résolutoire produit ses effets (Civ. 3e, 19 mars 2003, n° 00-22.422, Loyers et copr. 2003, comm. 156 ; Civ. 3e, 6 juill. 2017 n° 16-18.869), même si le délai de paiement n’a été dépassé que de quelques jours (Civ. 3e, 3 déc. 2003, n° 02-14.645, Administrer 2/2004.28) et même si l’ordonnance de référé, accordant les délais, n’a pas précisé expressément qu’à défaut de respect des délais la clause résolutoire serait acquise (Civ. 3e, 14 mai 2008, n° 07-17.121, Administrer octobre 2008, p. 48, note J.-D. Barbier).
Lorsque des délais de paiement sont accordés au locataire, de nouveaux délais ne peuvent pas lui être à nouveau accordés. Il faut donc respecter strictement les dates et les montants conformément à la décision du juge qui a accordé des délais.
Le risque est d’autant plus important lorsque le juge des référés précise que les loyers courants doivent être payés à bonne date. En effet, dans ce cas, qu’il s’agisse du retard d’un seul jour concernant les arriérés ou du retard d’un seul jour concernant les loyers courants, la clause résolutoire joue automatiquement. Ainsi, si vingt-quatre mois de délais ont été accordés, comme dans l’affaire commentée, et si le juge a précisé que les loyers courants devaient être ponctuellement payés, le moindre retard ou la moindre erreur de montant pendant ces vingt-quatre mois permet au bailleur de faire jouer définitivement la clause résolutoire.
Moralité : lorsque des délais de paiement sont accordés, pendant deux ans, il faut noter, pendant deux ans, les dates des paiements ainsi que celles des loyers courants et prévoir chaque paiement par prudence avec une semaine d’avance en conservant précieusement le justificatif.
Ainsi, on peut parfois se demander s’il n’est pas plus risqué d’obtenir judiciairement des délais de paiement plutôt que de poursuivre des procédures dilatoires ou de s’engager dans des négociations ou médiations.
Revenons à la question de la bonne foi ou de la mauvaise foi.
Le propriétaire qui poursuit l’expulsion alors que le solde était minime peut paraître de mauvaise foi. Cependant, en droit, ce sont les conventions qui doivent être exécutées de bonne foi, non les décisions de justice. Une décision de justice est rendue au nom du peuple français et doit être exécutée comme telle. La question de la bonne ou de la mauvaise foi de celui qui exécute ne se pose pas. Elle ne se pose que pour l’exécution des contrats entre des personnes privées, non pour un acte qui relève de la puissance publique.
En raison de ces considérations juridiques, il est inopérant de démontrer la mauvaise foi d’un propriétaire qui poursuit l’exécution d’une décision d’expulsion définitive.
> Lire l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 26 octobre 2023
