Le Covid a bon dos. Reprochant à son franchiseur de lui interdire la vente sur Internet, le franchisé Running de Grand Large (La Teste-de-Buch), qui n’est autre que l’adhérent Hyper U du centre commercial, décroche son enseigne et vend le stock dans sa grande surface moins d’un an après la signature du contrat – délai au-delà duquel il aurait d’ailleurs pu vendre en ligne. La cour d’appel de Pau le déboute… mais ramène à 10 000 € tout de même le montant des redevances dues jusqu’au terme du contrat.
Par Me Cécile Peskine, avocate à la Cour et associée (Link&A)
Les conséquences de la pandémie ne sauraient servir de prétexte à la résiliation prématurée d’un contrat de franchise. Moins d’une année après avoir signé son contrat, le franchisé d’un réseau de magasins dédiés à l’univers de la course à pied entend déjà se désengager. Au soutien de sa démarche, il estime que son franchiseur ne lui permet pas d’exploiter son activité pendant les périodes de confinement, dans la mesure où l’enseigne ne met pas à sa disposition un site Internet de commande en ligne et retrait en magasin.
Le franchisé sollicite dans un premier temps une résiliation amiable du contrat de franchise ; demande refusée par le franchiseur, qui considère que le franchisé savait dès la signature du contrat qu’il ne bénéficierait pas d’un tel service de «click and collect». Ce qui n’avait d’ailleurs pas empêché d’autres franchisés de mettre en œuvre un site Internet à leur initiative. Le franchiseur fait de son côté dresser un constat d’huissier attestant de la descente d’enseigne entreprise par le franchisé, et de l’écoulement des stocks dans le supermarché voisin.
Fort de ces constations, le franchiseur résilie le contrat de franchise aux torts du franchisé, et sollicite l’indemnisation des préjudices en découlant. L’affaire est rapidement portée devant les juridictions par le franchiseur, et questionne plusieurs sujets relatifs à la relation de franchise.
En premier lieu, le franchisé prétend ne pas avoir bénéficié d’une information précontractuelle suffisante avant de s’engager. L’argument n’emporte pas la conviction des magistrats, qui relèvent que le franchisé – commerçant aguerri – s’était adjoint les services d’un conseil avant de s’engager, et avait d’ailleurs négocié la signature d’un avenant à son contrat de franchise. La solution est conforme à la jurisprudence rendue en la matière : s’il incombe au franchiseur de démontrer avoir rempli son obligation de remettre un document d’informations précontractuelles, il appartient au franchisé de démontrer l’existence d’une faute du franchiseur en lien avec la résiliation du contrat.Et l’existence d’une telle faute doit se faire en tenant compte de la situation propre à chaque franchisé : l’existence d’une expérience préalable dans le domaine du commerce, et son accompagnement par un conseil doivent être pris en compte. La Loi Doubin – codifiée à l’article L. 330-3 du Code de commerce – ne saurait ainsi être instrumentalisée pour justifier la décision unilatérale d’un franchisé sachant de sortir du réseau.
En second lieu, le franchisé reproche à l’enseigne d’avoir refusé de mettre en place un site Internet et de ne pas avoir actualisé son savoir-faire pendant la pandémie liée au Covid-19.
La démarche ne convainc pas plus la cour d’appel, qui relève que le franchisé avait pleinement connaissance des limites de l’utilisation de la marque sur Internet. Le contrat de franchise subordonnait en effet la création d’un site Internet à l’accord préalable du franchiseur, et à une exploitation préalable du magasin depuis au moins une année. Le franchisé avait également connaissance de l’existence d’un litige entre l’enseigne (Rrun) et une marque concurrente (Irun) ne permettant pas aux franchisés d’utiliser la marque sur Internet.
L’on relèvera ici que les juges du fond n’ont pas pris la peine d’analyser la validité de la clause subordonnant la vente en ligne à une exploitation préalable au regard du droit de la concurrence. Un débat aurait pu être permis à ce titre, puisque la règlementation européenne sur les restrictions verticales circonscrit les interdictions de revente en ligne édictées par des enseignes à certaines situations bien précises. Au demeurant, le contrat de franchise ne prohibait en l’espèce pas toute vente en ligne, et permettait aux franchisés disposant d’une expérience de commercialiser leurs produits sur Internet. Le franchisé concerné ne démontrait en outre pas avoir été empêché d’exercer une activité en ligne.
Sur le plan procédural, le franchisé sollicitait que le constat d’huissier réalisé soit écarté des débats : la cour d’appel rejette l’argument, considérant que la galerie marchande du supermarché n’était pas un lieu privé réservé à la clientèle, et qu’un huissier pouvait valablement y réaliser des constatations matérielles «exclusives de tout commentaire ou de tout avis». Ce, même si l’huissier avait ensuite réalisé un achat lui-même dans le supermarché sans y avoir été autorisé. L’analyse est quelque peu succincte, et pourrait donner lieu à débat concernant la faculté pour un commissaire de justice de constater son propre achat effectué dans un magasin sans y avoir été autorisé par un juge.
Si les demandes du franchisé sont écartées, le franchiseur n’obtient pour autant pas totalement gain de cause. Les magistrats qualifient en effet de clause pénale l’article du contrat prévoyant l’obligation du franchisé de verser au franchiseur les redevances qu’il aurait perçu jusqu’au terme du contrat en cas de résiliation anticipée. Ils relèvent à cet égard que le franchiseur a rapidement conclu un nouveau contrat de franchise à quelques kilomètres de l’ancien magasin, pour minorer le montant sollicité par le franchiseur à une somme de 10.000 euros.
La Cour fait ici application de l’article 1235-1 du Code civil, considérant que la clause venant sanctionner un manquement est soumise au pouvoir de modération accordé aux juges du fond. L’on regrettera à ce sujet l’absence de détail des modalités de détermination de cette somme, alors même que le franchiseur pouvait légitiment attendre de son franchisé qu’il honore les redevances jusqu’au terme contractuel.
Cette décision réaffirme la responsabilité du franchisé lorsqu’il s’engage, qui ne saurait après coup se retrancher derrière des prétextes fallacieux s’il prend la décision unilatérale de cesser son activité, au mépris du terme contractuel.
> Lire l’arrêt rendu par la cour d’appel de Pau le 30 mai 2023
