Concernant les transferts de charges et de travaux au locataire, la Cour de cassation stipule que cela n’est possible qu’au moyen d’une clause claire et précise, dont la portée doit être interprétée restrictivement.
Par Me Jehan-Denis Barbier, docteur en droit, avocat à la Cour (Barbier-Associés)
Cet arrêt du 16 mars 2023 concerne la définition des charges, notamment des travaux, dont le bail peut prévoir le remboursement par le preneur au bailleur. La Cour de cassation rappelle que, pour faire peser des charges sur le locataire, il faut une clause claire et précise qui doit être interprétée restrictivement. Le sujet est d’actualité, vu notamment les multiples travaux prévisibles dans les années qui viennent en raison du décret Tertiaire (voir « L’Argus de l’Enseigne, avril 2023 Spécial décret Tertiaire »). Cet arrêt est conforme à la jurisprudence traditionnelle (I), qui a été confirmée par la loi Pinel (II).
I. La jurisprudence traditionnelle
En droit, la question posée est de savoir si, contractuellement, le transfert des charges et travaux au locataire peut résulter d’une clause générale, ou s’il faut au contraire des clauses spéciales et détaillées. La première thèse, selon laquelle le général inclut nécessairement le particulier, pouvait être admise au milieu du siècle dernier, à une époque où les baux étaient parfois manuscrits, ou rédigés sur des formulaires ne comportant que quatre pages. Mais l’évolution de la pratique, sous l’influence des méthodes américaines et des centres commerciaux a abouti à des rédactions de plus en plus volumineuses, longues et détaillées, les clauses concernant les charges, les travaux et taxes figurant à elles seules sur plusieurs pages.
La jurisprudence a sans doute été sensible à cette évolution de la pratique rédactionnelle, mais également à la nécessité d’informer clairement et loyalement le locataire, lors de la signature du bail, de l’importance des charges qu’il aura à supporter. Ainsi, on relevait déjà en 1991, l’orientation jurisprudentielle qui exigeait des clauses détaillées, les clauses générales, même très larges, devant être interprétées restrictivement (voir notre note sous Cass. 3e civ., 10 mai 1991, Administrer nov. 1991, p. 78).
Dans une étude de 2006, Marie-Laurence Sainturat notait la tendance de la jurisprudence à «tempérer la sévérité des clauses contractuelles pour le preneur par l’exigence d’une précision extrême des clauses du bail exorbitantes du droit commun», et que la jurisprudence exigeait «de plus en plus une extrême précision de la clause faisant peser sur le preneur toutes les charges. C’est ainsi qu’il a été jugé que la clause prévoyant un loyer net de charge pour le bailleur était trop générale pour avoir un contenu effectif» (M.-L. Sainturat, Entretien, réparations et mise en conformité de l’immeuble et du local loué, Loy. et copr. nov. 2006, p. 16). De plus, les stipulations doivent être précises et, conformément à l’article 1162 du Code civil, être interprétées strictement, en faveur de celui qui s’oblige, c’est-à-dire en faveur du preneur.
Dans l’affaire commentée, le litige portait sur des travaux de réfection de la toiture d’un centre commercial. Alors que la cour d’appel avait condamné la locataire au remboursement, au titre des charges, des travaux de réfection de la toiture, la Cour de cassation censure l’arrêt en relevant l’absence de clause claire et précise concernant de tels travaux.
Dans le même sens, il a été jugé qu’une clause, mettant à la charge du locataire les réparations visées à l’article 606 du Code civil, ne permet pas de lui faire supporter la réfection de la couverture entière (Cass. 3e civ. , 16 mai 2000, Gaz. Pal. 15 mars 2001, p. 24, note J.-D. Barbier). De même, toujours à propos d’une toiture, un locataire ne peut pas être jugé responsable d’infiltrations d’eau imputables à l’obstruction des chéneaux «sans rechercher si une stipulation expresse du contrat de bail commercial mettait à la charge de la locataire les travaux d’entretien et de réparation de la toiture» (Cass. 3e civ. , 21 janv. 2014, n° 12-25.760).
Malgré la clause du bail mettant le coût du ravalement à la charge du locataire, cette charge n’est pas due lorsque le ravalement a été prescrit par l’Administration, à défaut de clause expresse visant ce cas (Cass. 3e civ., 10 mai 2001, n° 96-22.442, Gaz. Pal. 9 févr. 2022, p. 22, note J.-D. Barbier). Une clause mettant à la charge du locataire les « réparations » ne permet pas de lui faire supporter des «réfections» (Cass. 3e civ. , 8 oct. 1996, Loy. et copr. 1997, n° 97), et la clause visant les réparations, même relevant de l’article 606 du Code civil et visant également les remplacements, ne permet pas de facturer des travaux de restructuration car « le terme restructuration ne figurait pas dans la clause relative aux charges incombant au locataire » (Cass. 3e civ. , 13 nov. 2013, trois arrêts, n° 12-23.980, n° 12-23.981 et n° 12-23.982).
Ainsi, l’arrêt commenté, qui exige «une clause claire et précise dont la portée doit être interprétée restrictivement» est conforme à la jurisprudence classique.
II. Confirmation de cette jurisprudence par la loi Pinel
L’arrêt commenté a été rendu avant la réforme de la réglementation des charges par la loi Pinel n° 2014-626 du 18 juin 2014. Cette réforme a ajouté un article L. 145-40-2 au Code de commerce qui dispose : «Tout contrat de location comporte un inventaire précis et limitatif des catégories de charges, impôts, taxes et redevances liés à ce bail, comportant l’indication de leur répartition entre le bailleur et le locataire». Le décret d’application a créé un article R. 145-35 dans le Code de commerce, excluant la refacturation de certaines charges au locataire.
Si la solution retenue par l’arrêt commenté aurait certainement été la même sous le nouveau régime, certains motifs, en revanche, n’auraient sans doute pas pu être maintenus.
1° La cour estime que le bailleur «peut, par une clause claire et précise dont la portée doit être interprétée restrictivement» transférer au preneur «la charge des travaux de réparations (…) qui intéressent la structure et la solidité de l’immeuble loué». Ce faisant, la cour vise les gros travaux de l’article 606 du Code civil qui ont été défi nis comme ceux concernant «la structure, la solidité et la préservation de l’immeuble» (Cass. 3e civ. , 13 juil. 2005, Gaz. Pal. 10 déc. 2005, p. 22, note J.-D. Barbier).
Or, le nouvel article R. 145-35 du Code de commerce, d’ordre public, interdit de mettre à la charge du locataire « les dépenses relatives aux grosses réparations mentionnées à l’article 606 du Code civil ». Une clause de transfert de charges, même claire et précise, n’est donc plus possible.
2° En revanche, la formule générale qui exige, pour un transfert de charges, « une clause claire et précise dont la portée doit être interprétée restrictivement » reste d’actualité. En exigeant un inventaire précis et limitatif des charges que doit supporter le locataire, le législateur est allé dans le sens de la jurisprudence antérieure.
En résumé, en l’état actuel du droit, seules les charges expressément et spécifiquement mentionnées au bail sont dues par le locataire, une clause générale étant insuffisante et la liste des charges devant être précise et détaillée, et d’interprétation restrictive. En outre, certaines clauses de transfert de charges sont réputées non écrites, si elles ne respectent pas les dispositions de l’article R. 145-35 du Code de commerce.
> Lire l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 16 mars 2023
